Dijon drague l’abstentionniste : Troubles de l’élection ou troubles de la vision ?

Face à l’abstentionnisme qui se profile pour les municipales de mars 2014, la mairie de Dijon a choisi de sonner le tocsin auprès des jeunes pour les inciter à s’inscrire sur les listes électorales. Avec une option plutôt gonflée : une campagne qui manie jeu de mots et références facebookiennes pour essayer de recruter. Est-ce avec ce type d’opération de communication qu’on peut faire revenir les abstentionnistes ?

Au moins, ça fait du buzz !

Sut Twitter, la campagne n'a pas laissé insensible !

Sut Twitter, la campagne n’a pas laissé insensible !

Le jeu de mots est plutôt rigolo même s’il emprunte un peu lourdement au registre des calembours à la Jean-Marie Bigard. Il a en tout cas le mérite de détonner dans un univers institutionnel où la communication est trop souvent amidonnée à l’excès et très didactique. Bref rasoir et répulsive ! D’ailleurs, l’effet recherché a été largement atteint puisqu’aujourd’hui, médias et réseaux sociaux en font tous leur miel. Certes pas au point de devenir un « trending topic » sur Twitter mais suffisamment pour alimenter un brouhaha de clins d’œil amusés et de coups de griffes effarés, les premiers venant comme par hasard plutôt de la gauche et les seconds de la droite. Décidément, même l’humour ne parvient pas à susciter le consensus politique !

S’il en est un qui est satisfait du buzz engendré, c’est bien le sénateur-maire PS de Dijon, François Rebsamen. Alors qu’il vient d’être investi à une écrasante majorité par les militants locaux pour conduire la liste socialiste aux municipales (1), il se réjouit ouvertement du tohubohu suscité (2) : « C’est sur le ton de l’humour. Certains vont dire que c’est gonflé mais au moins on va en parler. Les jeunes connaissent moins leurs droits. Ils pensent être inscrits et découvrent à la dernière minute qu’ils ne peuvent pas voter. Par l’humour, on essaie de les interpeler ».

De fait, le fameux visuel qui s’inspire largement de l’icône « like » de Facebook a déjà été publié dans le magazine municipal avant de poursuivre prochainement sa campagne sous forme d’affiches, de flyers et sur le site Web de la ville jusqu’à la clôture des inscriptions le 31 décembre prochain. Une chose est sûre. Dijon est coutumière du fait. Déjà en 2011, la municipalité avait appelé à rejoindre les registres électoraux en concevant une campagne de communication où l’on voyait un paquet de cigarettes avec la mention « Ne pas s’inscrire sur les listes électorales tue la démocratie ».

Est-ce vraiment répondre à l’enjeu ?

La mairie de Dijon plutôt satisfaite de son coup (photo Michel Schmid)

La mairie de Dijon plutôt satisfaite de son coup (photo Michel Schmid)

Pour le maire sortant et son équipe, cette campagne s’avérait nécessaire car sa ville est confrontée à une problématique particulière. Dans un article publié dans le quotidien local Le Bien Public, un représentant de la Ville détaille les arguments d’une telle opération de communication (3) : « Le taux d’inscription sur les listes électorales est « d’environ 55 % ». Cela est dû au fait, notamment, que la ville accueille chaque année près de 30 000 étudiants qui restent inscrits dans la commune de résidence de leurs parents. Et puis, Dijon est une cité qui bouge, avec beaucoup de mutations professionnelles ».

Pourtant, lorsqu’on regarde de plus près les résultats des dernières élections, à savoir la présidentielle et les législatives de 2012, Dijon ne brille guère par son empressement à glisser en masse des bulletins dans les urnes. Si le taux d’abstention n’était que d’environ 17% pour l’élection du nouveau président de la République, celui a carrément doublé lors des législatives pour osciller entre 36% et 38% durant les deux tours. Une désaffection qui montre que la campagne du paquet de cigarettes électoral n’a guère porté ses fruits même si elle avait pu faire marrer ou interpeler sur le moment.

N’y avait-il pas mieux à faire ?

N'y a-t-il pas risque d'un effet boomerang pervers ?

N’y a-t-il pas risque d’un effet boomerang pervers ?

Si l’objectif de sensibiliser et mobiliser les jeunes pour les inciter à s’inscrire et à participer à la vie citoyenne n’est nullement critiquable (bien au contraire), on peut s’interroger en revanche sur la démarche adoptée. En ces temps où le corps politique souffre d’un taux de défiance record et où le chômage des jeunes s’envole concomitamment, on est en droit de se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux de recourir à des campagnes de terrain et sur les réseaux sociaux autrement plus étoffées, conversationnelles et argumentées plutôt qu’un simple slogan de carabin potache. Au-delà de la touche humoristique usitée qu’on peut aimer ou rejeter, une telle campagne constitue surtout une malheureuse bouteille à la mer qui sera bien loin de convaincre les électeurs, jeunes ou moins jeunes d’ailleurs, de revenir fréquenter les isoloirs et accorder leur scrutin.

Ce n’est pas avec une blague Carambar que l’abstentionnisme se réglera mais plutôt avec des campagnes où le citoyen est considéré comme autre chose qu’un vecteur de bulletins. Si la cantonale partielle de Brignoles dans le Var a atteint les 66% de déserteurs des urnes, ce n’est pas par hasard. Dans son immense majorité, la classe politique est perçue comme désolante, égoïste, coupée des réalités, voire malhonnête et uniquement aux services d’intérêts privilégiés.

Ce n’est pas une malheureuse action de com’ rigolarde qui fera soudainement évoluer la perception désastreuse du corps électoral à l’égard des élus et/ou futurs élus. Dommage qu’on alimente à nouveau le slogan soixante-huitard « Elections, piège à cons ! » par tant de communication primesautière.

Sources

(1) – « Le PS investit François Rebsamen » – Le Bien Public – 11 octobre 2013
(2) – « Municipales : Dijon perturbé par les « troubles de l’élection » – Le Parisien – 11 octobre 2013 –
(3) – « Dijon : la campagne de communication qui enfle » – Le Bien Public – 11 octobre 2013

 



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