Documentaire « Jeu d’influences » de France 5 : Comme un sale arrière-goût qui pourrit notre métier de communicant

Très attendu et médiatisé comme il se doit, j’ai donc regardé le documentaire « Jeu d’Influences » réalisé par le journaliste Luc Hermann et diffusé le 6 mai sur France 5. Si le reportage comporte d’indéniables et nécessaires tacles sévères à l’égard de certaines dérives communicantes, il cède également à l’amalgame racoleur et réducteur qui n’honore pas la carte de presse que détient le reporter. A trop s’adonner au raisonnement binaire où les gentils journalistes sont forcément manipulés par de vils communicants, ce dernier pourrit gratuitement toute une profession à cause d’une minorité de spin doctors contestables et méprisables. Coup de gueule en 3 points.

Point n°1 : Des caricatures ne font pas règle générale

Les spin doctors au sommet de leur forme lors de l'affaire Cahuzac

Les spin doctors au sommet de leur forme lors de l’affaire Cahuzac

Les professionnels de la communication sont environ 150 000 en France. Pourtant, Luc Hermann a choisi de focaliser sur ce qui se fait probablement de pire et de moins éthique dans la profession en allant titiller Stéphane Fouks et cette classe biberon héritière de cette communication manipulatoire qu’incarnent Marion Bougeard et Anne Hommel. La première a défendu mordicus le mensonger Jérôme Cahuzac allant jusqu’à orchestrer une théorie du complot contre Mediapart avant de battre en retraite suite aux aveux de l’ex-ministre et vite se laver les mains de toute collusion avec celui qu’elle défendait aveuglément auparavant. La seconde qui a pris le relais dans l’affaire Cahuzac, est encore plus cynique. Elle ose déclarer dans le film de Luc Hermann au sujet de l’acte de contrition de son client : « Quand on écrit sur un blog, on dit ce qu’on veut. Y’a pas de questions ». Outre la crasse ignorance qu’un blog est un espace interactif où l’on peut se faire interpeler, on voit là tout le mépris arrogant de ces spin doctors qui gangrènent la réputation du métier de communicant.

Pour enfoncer le clou et montrer que son propos fait loi, Luc Hermann est également allé exhumer Ramzi Khiroun, un apprenti sorcier devenu roi du carnet d’adresses et de l’intimidation par la grâce de Dominique Strauss-Kahn dont il a été l’homme lige pendant plusieurs années. Dans le documentaire, on le voit à la manœuvre pour faire avaler un bobard à l’ensemble de la presse suite au contrôle positif à la cocaïne du tennisman Richard Gasquet. Au point même d’être baptisé « artisan de la vérité » par l’avocat Jean Veil. Forcément, en prenant de pareilles références, le téléspectateur ne pourra que penser que le job de communicant consister à intoxiquer, menacer et fourguer les arguties les plus invraisemblables pourvu que la face du client soit sauve. Ne soyons pas naïfs, ni de mauvaise foi. Ces dérives existent bel et bien. Mais de là à en ériger le fonctionnement général de toute une profession, c’est un excès journalistique fort regrettable. Il aurait été souhaitable d’accorder plus de temps de parole à d’autres communicants trop prestement évacués dans le reportage. Sans doute parce qu’ils n’étaient pas assez croustillants aux yeux de Luc Hermann.

Point n°2 : Quand on enquête, on se documente

Jean-Luc Mano, ex-journaliste et "coupable" d'avoir changé de métier !

Jean-Luc Mano, ex-journaliste et « coupable » d’avoir changé de métier !

En matière d’amalgames en tout genre, le documentaire de Luc Hermann y va gaiement. A l’entendre, un lobbyiste et un publicitaire sont la même chose qu’un communicant. C’est pratique car cela permet de réduire et simplifier de le propos pour démontrer à tout prix que le communicant, vocable ô combien usité avec dédain à moult reprises dans le reportage, est un vil personnage prêt à toutes les bassesses et mensonges. Il aurait pourtant été souhaitable d’être un peu plus pédagogique et d’expliquer les différences fondamentales entre un fabricant de pubs pour pots de yaourt et un authentique communicant. Ne serait-ce qu’en allant faire un tour sur le site de Communication & Entreprise pour se dérouiller les neurones ! Heureusement que dans le débat qui a suivi, Edwy Plenel a pris soin de faire le distinguo entre les communicants qui portent le message de l’entreprise ou de l’institution et les fieffés manipulateurs.

Toutefois, en guise de preuve de sa supposée compréhension du métier de communicant, Luc Hermann s’érige notamment en procureur contre ces ex-collègues journalistes coupables d’être désormais à la solde du « côté obscur de la force ». En parlant par exemple de Jean-Luc Mano, Jean de Belot et d’autres encore, reviennent à chaque fois les gimmicks verbaux plein de morgue comminatoire comme « il a changé de camp » ou « il est passé de l’autre côté ». En gros, il s’agit de suggérer que les journalistes devenant communicants (j’en suis moi-même un) sont des pourritures patentées et des défroquées au service de causes critiquables. Comme si dans la très noble profession de journaliste (métier que je défendrai éternellement), il n’y avait pas des chèvres incompétentes et des adeptes de la collusion peu regardante et prêts à quémander des téléphones portables et autres babioles.

Point n°3 : La com’ n’est pas l’unique apanage des patrons

Jérôme Kerviel "n'aime pas la communication" mais s'en est servi !

Jérôme Kerviel « n’aime pas la communication » mais s’en est servi !

Autre point caricatural du documentaire : la communication serait l’instrument abominable des puissants et des patrons. Et d’embrayer joyeusement sur l’affaire Kerviel où un obscur trader devient l’innocente victime d’une banque immonde. Le tout en faisant fi d’une réalité autrement plus complexe où la banque a certes commis de belles boulettes mais où le personnage Kerviel n’est pas forcément le crucifié de service qui « n’aime pas la communication » selon ses propres mots dans le reportage. Personne ne lui a mis le couteau sous la gorge pour se convertir à son tour à la communication dans sa lutte sans merci contre son ex-employeur. L’impétrant semble pourtant habilement l’oublier pour mieux renier et dénoncer ce qui l’a un temps servi dans sa croisade médiatique contre la Société Générale.

Le problème du documentaire de Luc Hermann est qu’il est exclusivement construit à charge. A ses yeux, la communication est l’outil abrutissant qui biaise les débats et intoxique les journalistes. Comme si les syndicats (pour ne citer qu’eux !) ne recouraient jamais à ces fâcheuses habitudes ! A cet égard, l’exemple du sujet sur l’autorisation d’ouverture dominicale des magasins de bricolage est un summum de parti-pris. Le journaliste s’offusque que les syndicats se soient vus opposer des salariés favorables au travail dominical avec des patrons les soutenant. Comme s’il était interdit d’en débattre publiquement, chacun avec ses arguments et de sensibiliser les médias. Certes, le propos du communicant de service sur ce sujet n’aide guère à rendre sympathique la démarche tant celui-ci se gargarise et blâme « les journalistes de n’avoir pas fait leur métier » ! Pour autant, pourquoi n’aurait-on pas le droit de répliquer à la rhétorique cégétiste ? Deux poids, deux mesures ?

Au final, que retiendra-t-on ? Que nous sommes des Raspoutine de la communication, des adversaires de la démocratie, des envoûteurs prêts à tous les bobards et des rats quittant prestement le navire quand la tempête se fait trop forte ? Dans ce blog, j’ai à maintes reprises déploré les dérapages de cette caste clairement circonscrite qui pollue injustement la réputation de milliers de personnes communicantes qui œuvrent honnêtement et avec un sens profond de l’éthique. Dommage, M. Luc Hermann, que vous n’ayez pas pris la peine de les rencontrer et de donner la parole à quelques-unes de ces personnes qui sont bien loin des cellules cancéreuses de la profession que vous stigmatisez trop facilement.

Pour en savoir plus

– Découvrez le jeu interactif « Jeu d’influences » de France 5 où vous vous glissez dans la peau d’un spin doctor



14 commentaires sur “Documentaire « Jeu d’influences » de France 5 : Comme un sale arrière-goût qui pourrit notre métier de communicant

  1. Georges Peillon  - 

    Merci Olivier pour cette intervention salutaire. Cela ne fait que me confirmer que certains journalistes germano-pratins ne connaissent strictement rien au monde de l’entreprise, ni au monde de la communication, ni au monde réel… Et qu’ils confondent gourous de la com avec les communicants d’entreprise ou d’organisation. C’est toujours l’effet de loupe qui fait des ravages dans la compréhension du monde réel. Le mythe de la caverne n’est pas mort.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Oui Georges. L’effet de loupe est véritablement un fléau qui conduit aux amalgames les plus erronés … J’ai eu l’occasion de longuement discuter le lendemain de mon billet avec le journaliste auteur du documentaire. Dialogue courtois même si divergent sur certains points. C’est dommage qu’il n’ait pas voulu (pu ?) plus équilibrer les points de vue plutôt que focaliser sur les éternels fossoyeurs de notre profession …

  2. Erwan  - 

    Bonjour, je suis assez d’accord avec votre position sur les points que vous soulevez. J’ai néanmoins été intéressé par ce documentaire et les pratiques qu’il met au jour, en dépit de son manichéisme évident ; il reste très sain d’évoquer ces sujets auprès d’un large public. Je pense qu’il aurait été souhaitable de donner un nom plus précis aux stratèges évoqués dans le documentaire, notamment dans le sous-titre (« les stratèges de la communication »), afin de ne pas éclabousser toute une profession. Le documentaire aurait gagné a souligné que ces pratiques sont très anciennes et à prendre au moins un ou deux exemples à l’étranger. Par exemple lorsqu’il s’agit de convaincre le CIO de choisir sa ville pour accueillir de prochains JO…

    Mais je veux aussi souligner ce que le documentaire met en évidence, plus en creux peut-être : une profession journalistique devenue très influençable et manipulable, sans doute en partie car elle n’a plus le temps de vérifier. Dans ce jeu l’influences qui implique toujours la profession journalistique à un moment où à un autre, la vrai nouveauté problématique est-elle le machiavélisme storytelleur des spins doctors ou la candeur des rédactions (faute de temps bien plus que d’intelligence)? Je trouve surprenant que les auteurs ne pointent le doigt que sur l’extrême noirceur et jamais sur l’extrême blancheur – la quasi transparence même – de certains protagonistes qui ont un rôle de filtre à assumer et qui l’assument de plus en plus difficilement. Mediapart est ici une exception qui, en quelque sorte, confirme la règle.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Erwan

      Vous avez effectivement parfaitement pointé les deux problématiques sous-jacentes : le manque de temps et de moyens des journalistes qui les limite dans leur travail de recoupement et d’enquête … Faiblesse dont les spin doctors usent et abusent …

      Ensuite, je suis d’accord que les faits montrés dans le reportage sont vrais et particulièrement condamnables. Le seul souci à mes yeux est qu’ils prennent une place trop disproportionnée par rapport au reste et alimentent l’impression que la communication n’est … que çà … Soit il aurait fallu faire un reportage annonçant clairement qu’il ciblait les pires pratiques de la profession, soit on donnait plus la parole à ceux qui ont une vision plus saine et éthique du métier. Or le documentaire ne fait ni l’un ni l’autre et accentue simplement sur les spin doctors les plus discutables !

  3. François CASSIGNOL  - 

    Cher Communicant,
    Merci pour cette tribune. Elle présente l’énorme avantage de couper net toute envie de regarder cette émission … Je ne la visionnerai donc pas. Merci ! Luc Hermann est en train de se saborder, tout comme Aymeric Caron.
    À toute chose, malheur est bon : les nuisibles se font écarter un jour ou l’autre.
    Vive la com à l’écoute, ouverte, sincère, vraie, … et critique !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci pour votre message. Je vous conseillerai quand même de regarder le sujet. D’abord parce tout n’est pas à jeter dans le documentaire de Luc Hermann et ensuite parce que cela permet justement de mieux comprendre le travail que nous les communicants devons faire pour que cessent d’exister les spin doctors montrés dans le film … En dépit de certains biais agaçants du reportage, il y a des choses à retenir … Et le jeu interactif a l’air pas mal !

  4. Jacques GEROME  - 

    Bonjour,
    D’accord avec ce commentaire professionnel. Mais rassurez-vous, comme téléspectateur moyen, j’ai plutôt retenu les impressions positives suivantes :
    – les communicants présentés, ressemblent à des avocats, qui défendent des causes même lorsqu’elles sont moralement peut défendables,
    – les communicants constituent un contre-pouvoir au contre-pouvoir des journalistes,
    – les deux catégories mentionnées chez les communicants se retrouvent dans la disctinction à faire entre journalistes et journaleux. Ces derniers, colporteurs de ragots ou exhausteurs de sensasionnel, méritent d’avoir en face d’eux des communicants sans scrupules capables de les rouler dans la farine.
    Pour un vrai communicant, être amalgamé à un spin doctor est sans doute pénible. Mais l’image que j’ai retenue, malgré le parti pris du journaliste, est plutôt favorable à cette profession qui, au pire, équilibre le bla-bla des journaleux et, au mieux, met en relief des informations qui resteraient noyées dans un bruit de fond … créé par les journaleux.

    1. Jacques GEROME  - 

      Bonjour,
      D’accord avec ce commentaire professionnel. Mais rassurez-vous, comme téléspectateur moyen, j’ai plutôt retenu les impressions positives suivantes :
      – les communicants présentés ressemblent à des avocats qui défendent des causes même lorsqu’elles sont moralement peu défendables,
      – les communicants constituent un contre-pouvoir au contre-pouvoir des journalistes,
      – les deux catégories mentionnées chez les communicants se retrouvent dans la disctinction à faire entre journalistes et journaleux. Ces derniers, colporteurs de ragots ou exhausteurs de sensasionnel, méritent d’avoir en face d’eux des communicants sans scrupules capables de les rouler dans la farine.
      Pour un vrai communicant, être amalgamé à un spin doctor est sans doute pénible. Mais l’image que j’ai retenue, malgré le parti pris du journaliste, est plutôt favorable à cette profession qui, au pire, équilibre le bla-bla des journaleux et, au mieux, met en relief des informations qui resteraient noyées dans un bruit de fond … créé par les journaleux.

    2. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour

      Au moins vous me rassurez ! Notre rôle est en effet d’équilibrer les points de vue dans l’agora médiatique. Mais en aucun cas d’intoxiquer et/ou créer des faux-semblants … Ce qui semble malheureusement être la ligne de conduite de certains témoins du reportage. Et qui du coup pourrait laisser accréditer l’idée que nous sommes tous des bonimenteurs professionnels. Journalistes et communicants ne sont pas forcément ennemis mais complémentaires. Mon rôle en tant que communicant est de mettre à dispo des informations et expliciter les positions d’une entreprise. Le journaliste est là pour intégrer ces points tout en élargissant le spectre éditorial avec d’autres voix et en contextualisant les choses. Sans artifice, ni biais intellectuel qui dépasse les limites de l’éthique

  5. MICHOKO  - 

    Encore une illustration de l’intoxication, la désinformation dont le public est abreuvé.
    Très souvent, les médias nous montrent ce qu’ils ont déterminé eux même.
    Les reportages neutres et clairement renseignés, objectifs sont finalement très rares, et ce, quelque soit le domaine.
    Ces manœuvres reposent sur l’inertie intellectuelle du public.
    Pour les organisateur de ces « show », le jeux vaut le coup, même si quelques « réveillés-cérébraux » réagissent…ils auront fait passer leur message à la masse…Voilà comme je ressens toutes ces émissions.
    Catherine

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