Et si bientôt un patron se faisait recruter pour sa vision des réseaux sociaux ?

A mesure que le temps passe, les dirigeants peuvent de moins en moins faire l’économie d’une présence sur les médias sociaux pour assurer leur leadership. Cette observation m’est tout particulièrement inspirée par deux récents faits d’actualité : la nomination de Satya Nadella à la tête de Microsoft et le recrutement très original effectué par l’entreprise écossaise de pulls Lyle & Scott pour désigner son nouveau PDG. Sans s’égarer dans un prosélytisme digital exacerbé et sans conscience, les patrons d’entreprise vont devoir se positionner plus significativement sur l’agora numérique.

L’initiative de Lyle & Scott est étonnamment passée inaperçue et n’a suscité que très peu d’échos, y compris dans les blogs spécialisés. Pourtant, elle est emblématique du changement qui s’opère peu à peu envers les dirigeants d’entreprise et leur approche des médias sociaux. Encore souvent perçus comme un gadget pour ados attardés, geeks compulsifs ou boss décalés à la Richard Branson, les réseaux sociaux demeurent une « terra incognita » pour nombre de managers de haut niveau. Fondée en 1874, la séculaire entreprise textile écossaise a néanmoins décidé de trouver son futur PDG en recourant à la viralité des médias sociaux !

Historique société cherche patron qui twitte

Social CEO - 1 - Annonce Lyle and scott CEOQui aurait pu croire qu’une société aussi classique et âgée que Lyle & Scott, spécialisée dans la fabrication artisanale de pulls en laine d’agneau d’Ecosse, oserait lancer une campagne de recrutement de son futur PDG sur les réseaux sociaux ? C’est cependant le pari que s’est fixé l’entreprise avec le concours de Beringer Tame, un cabinet de chasse tout aussi motivé par cette expérimentation très pionnière.

L’idée émane de la propriétaire de Lyle & Scott, Sue Watson. Dans le mandat qu’elle fixe à ses recruteurs pour trouver la perle rare, elle impose les médias sociaux comme canal de prospection. A ses yeux, il s’agit de dénicher un dirigeant apportant du sang neuf et à l’aise dans sa perception des technologies digitales quel que soit son background professionnel ou son secteur d’activité initial. Le cabinet Beringer Tame lance donc en août 2013 un compte Twitter dédié intitulé « Next Great Leader » avec un hashtag éponyme et un alias sans ambages : @LyleandScottCEO.

Même si le compte en lui-même n’a pas drainé un grand nombre d’abonnés, il a en revanche suscité un taux de réponses assez vertigineux (1) : 1 million de candidats issus de 30 pays ont adressé leur CV avec parmi eux, des pointures du management d’entreprise et des « social CEOs » patentés. Mais plus original encore dans le processus de sélection : les candidats conservés par le cabinet devaient alors accomplir une deuxième étape : réaliser certaines tâches en recourant aux médias sociaux, créer une vidéo Vine et un tableau Pinterest pour illustrer leur CV !

Le digital comme critère d’embauche ?

Philip Oldham, le nouveau CEO repéré sur Twitter par Sue Watson, propriétaire de Lyle & Scott

Philip Oldham, le nouveau CEO repéré sur Twitter par Sue Watson, propriétaire de Lyle & Scott

Résultat : dans la short-list ainsi constituée, 5 des 8 candidats retenus provenaient de la campagne de recrutement numérique ! Et contre toute attente, l’heureux appelé ne fut pas un manager iconique du monde du luxe et de la mode mais Philip Oldham, un manager ayant évolué dans le secteur pharmaceutique chez Astra Zeneca et de la grande consommation chez Kimberley Clark sans jamais avoir occupé auparavant de poste de PDG. L’homme a fait la différence en présentant notamment une vidéo de 8 minutes sur YouTube où des collègues témoignaient sur ses capacités de leadership et de conviction. Fin 2013, il était alors officiellement nommé à la tête de Lyle & Scott.

Étonnamment, Philip Oldham n’est pas pour autant franchement présent et actif sur les réseaux sociaux. Impossible par exemple de le trouver sur Twitter et Linkedin en dépit d’une flopée d’homonymes pouvant semer la confusion. En revanche, il a séduit Sue Watson, la propriétaire de l’entreprise, par sa capacité à intégrer le numérique et ses modes de fonctionnement parfois disruptifs pour le business traditionnel. Interrogée sur ce mode de recrutement original, Sue Watson déclare (2) : « Nous avons déjà un large savoir industriel dans l’entreprise. Je voulais quelqu’un qui puisse challenger les normes, les préjugés et nous apporter une perspective rafraîchissante ». Selon elle, la capacité à embrasser la complexité parfois volatile et évolutive d’un écosystème numérique est un critère clé pour mener une entreprise au succès.

De son côté, le cabinet de recrutement n’est pas en reste pour expliquer la démarche originale (4) : « C’était une expérimentation qui a dépassé toutes nos attentes. Il s’agit d’un cap significatif dans le marché britannique de la chasse de dirigeants. Le Royaume-Uni a longtemps souffert d’un leadership faible ou léthargique dans les comités de direction. Bien que ce processus ne s’applique pas pour beaucoup d’entreprise, nous avons montré qu’avec un peu d’imagination, il y a une alternative ». Force est de reconnaître que la compréhension des médias sociaux chez les dirigeants est un atout qui va peser de manière croissante dans la conduite des affaires d’une entreprise tant le digital bouleverse de fond en comble les schémas et les recettes parfois éculées dont d’aucuns rechignent à se défaire. En cela, l’intégration de la dimension digitale va devenir clé pour tout prétendant à des fonctions managériales élevées.

Pendant ce temps-là chez Microsoft …

Moi président de Microsoft, je twitterai plus souvent !

Moi président de Microsoft, je twitterai plus souvent !

Tandis que Lyle & Scott cherchait son prochain PDG sur Twitter, le feuilleton de la succession de Steve Ballmer à la tête de Microsoft a abondamment nourri les spéculations médiatiques en tout genre tentant de deviner pour qui sortirait enfin la fumée blanche annonçant le nouvel élu.

Après des mois de conjectures et de discussions, c’est Satya Nadella qui a emporté la mise. Homme du sérail au service de la firme de Redmond depuis 22 ans, il connaît les moindres recoins de l’entreprise et affiche de surcroît de jolis succès comme le déploiement de Microsoft dans les infrastructures d’informatique en nuage, le fameux « cloud computing ».

Sitôt sa nomination officiellement confirmée, je me suis empressé de chercher l’heureux récipiendaire sur Twitter. L’homme est présent depuis le 11 février 2009 mais ne se distingue guère par le côté prolifique ou bavard de ses tweets : 25 émis au total entre l’ouverture de son compte et le dernier en date de juillet 2010. Depuis son intronisation, Satya Nadella a d’ailleurs rebondi humoristiquement avec un nouveau tweet annonçant que son premier engagement en tant que nouveau CEO, serait de ne pas attendre 4 ans pour tweeter à nouveau !

Il semble donc avoir vite compris qu’il lui est désormais indispensable d’être plus visible et impliqué maintenant qu’il conduit les rênes d’un des géants historiques du Web et de l’informatique. A cet égard, on peut noter qu’entre le moment où son nom n’était pas encore cité formellement comme successeur de Steve Ballmer, son compte Twitter affichait près de 26 000 abonnés (ce qui dénotait déjà d’un intérêt fort de la communauté !) et qu’aujourd’hui officiellement investi, son compte est soudainement passé à plus de 78 000 abonnés en quelques jours (décompte arrêté à la rédaction de cet article). Autant dire que le nouveau n°1 est largement attendu par la sociosphère à l’instar de ses camarades de la Silicon Valley et de l’écosystème digital de Seattle. Cela souligne également que dans certains secteurs d’activités, une présence numérique est même probablement devenue consubstantielle aux responsabilités managériales d’un dirigeant de haut niveau.

Point trop n’en faut non plus !

Social CEO - 1 - Next Great leader twitter opPour autant, il convient de ne pas verser abusivement dans une évangélisation forcenée où un n°1 d’une entreprise doit systématiquement se plier aux fourches caudines des réseaux sociaux. S’il est évident que pour certains secteurs économiques, la prise de parole digitale fait sens et correspond aux exigences des publics concernées, cela ne doit pas pour autant déclencher une conversion doctrinaire sous peine d’excommunication numérique et managériale.

Spécialiste de haute volée en transformation digitale des marques et des entreprises, le consultant indépendant américain Minter Dial tire fort justement la sonnette d’alarme pour ceux qui seraient tentés par un excès de zèle. Pour lui, la seule question préalable qui vaille avant de débarquer avec armes et bagages digitaux, est de se demander si les médias sociaux peuvent être bénéfiques pour l’entreprise. Dans un récent billet très pertinent, il interpelle ainsi (4) : « La réponse à cette question n’est pas toujours oui. Cela dépend largement de votre état d’esprit sur les médias sociaux. Autant que je peux être un aficionado et un évangéliste pour les médias sociaux, autant la réalité est que ceux-ci ne sont pas la panacée pour toutes les entreprises ».

Cette remarque de bon sens est pourtant fréquemment zappée par certains gourous ou zélateurs inconditionnels de la communication digitale. Au risque de mettre en position délicate des personnes, des marques ou des sociétés qui n’ont pas forcément des atouts à faire valoir ou qui trimballent une réputation controversée. S’exposer sans réflexion préliminaire au prétexte que c’est tendance de digitaliser le discours patronal est paradoxalement le meilleur moyen de carboniser les volontés les plus enjouées à cause d’expériences mal conduites et de de bad buzz saignants à la clé.

« The Big L »

Social CEO - 1 - The Big LDans son analyse, Minter Dial préconise à ce propos une grille d’analyse tout à fait sagace avant de débouler comme un chien dans un jeu de quilles numériques. Elle repose sur ce qu’il appelle « The Big L », un concept composé de 4 étapes à accomplir impérativement en préambule de toute stratégie d’expression digitale : « Listen, learn, let go, loop back ». Ce n’est qu’en appliquant scrupuleusement cette démarche que les véritables opportunités et bénéfices potentiels se dessineront ou a contrario les obstacles à résoudre avant d’être plus proactif. Il n’en demeure pas moins que les dirigeants vont en revanche de moins en moins pouvoir se permettre de faire l’impasse sur cet exercice.

Même si la communication digitale dérange les classiques et sécurisants schémas managériaux des entreprises, l’extinction de ces derniers est en cours. L’expérience de Lyle & Scott montre qu’on peut s’y aventurer sans craindre automatiquement des retours de bâton. La nomination de Satya Nadella prouve également que l’attente sociétale est forte à l’égard des grands dirigeants. Particulièrement lorsqu’on conduit la destinée d’un mastodonte du numérique. A-t-on déjà vu un cuisinier refuser de goûter ses plats ?

Sources

– (1) – Beringer Tame – “#NextGreatLeader social media search” – Read all about it – 14 janvier 2014
– (2) – Carly Chynoweth – “Been there, done that” – The Sunday Times – 12 janvier 2014
– (3) – Beringer Tame – “#NextGreatLeader social media search” – Read all about it – 14 janvier 2014
– (4) – Minter Dial – “Is social media actually good for my business” – The Myndset – 4 février 2014



4 commentaires sur “Et si bientôt un patron se faisait recruter pour sa vision des réseaux sociaux ?

  1. delcroix  - 

    Votre article m’interpelle puisque j’ai été contacté par un chasseur de tête en France, pour le compte d’un « grand groupe » pour un poste de directeur marketing et communication… Toutefois, j’étais dans les repérés de « second plan »… ils ont gardé en 1er étude, les profils « traditionnel » selon les infos qu’ils m’ont fourni… mais comme quoi le mouvement apparait je pense également en France 😉
    Sans vouloir faire de « pub », je « raconte » un peu cette expérience ici ! http://les-zed.com/directeur-marketing-communication/

  2. Geoffrey Bressan  - 

    Merci pour ce superbe article bien rédigé et très détaillé ! Je pense que dans les années à venir, de moins en moins de professionnels pourront prétendre à une position de cadre dirigeant sans une présence digitale signe de ce nom. D’ailleurs, aux USA, le « social résumé » existe déjà depuis quelques temps, avec le score Klout comme critère principal (ce qui est un peu stupide, car il peut être facilement manipulé). Un excellent article de Forbes en a récemment parlé.

    http://www.forbes.com/sites/jeannemeister/2014/01/06/2014-the-year-social-hr-matters/

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