[Etude Saper Vedere/Shan] – Activisme en ligne : Que retenir de la stratégie déployée par L214 ?

Qu’on les adore ou qu’on les abhorre, il est impossible de passer à côté des percutantes campagnes digitales de l’association L214 qui lutte contre les violences faites aux animaux. Le cabinet de veille et d’influence Saper Vedere et l’agence de communication Shan ont décortiqué pendant plusieurs mois les leviers de la stratégie de communication de ces militants de la cause animale. Quels enseignements retirer des mécanismes empruntés pour susciter de l’écho médiatique ?

Ces dernières années, les élevages et les abattoirs sont devenus la cible privilégiée des militants de L214. Avec une professionnalisation accrue des moyens mis en œuvre et de la systémique de contenus à base d’images choquantes d’animaux violentés et tués selon les deux auteurs du rapport d’études, Nicolas Vanderbiest, conseiller spécial chez Saper Vedere et Amaury Bessard, directeur réputation et communication sensible chez Shan. Résultat : l’association n’a jamais autant occupé les devants de la scène médiatique depuis deux ans alors qu’elle affiche officiellement 10 ans d’existence et n’en est pas à ses premiers coups. Eléments de décodage.

Une stratégie duale pour amplifier

Le canal vidéo est l’archétype même du mode de communication de L214. Qu’il s’agisse d’images tournées en caméra cachée ou récupérées par le biais de discrets complices, l’association mise tout sur le choc des images. Rien n’est épargné au spectateur. Sang, cris de douleur, brutalités des humains, piètres conditions d’existence, actes de maltraitance, les films se ressemblent et rassemblent automatiquement les mêmes ingrédients anxiogènes et révoltants.

Lesquels vont fortement inciter l’internaute à s’indigner et à viraliser pour peu qu’il soit en plus réceptif à la cause animale. Avec trois espaces digitaux prioritaires : YouTube évidemment mais aussi Facebook qui touche le grand public et Twitter qui touche les médias et les influenceurs.

Pour accentuer l’effet, les campagnes vidéo de L214 font également l’objet d’un « partenariat » avec un média bien établi. Les auteurs de l’étude citent trois exemples emblématiques où à chaque fois le média est associé en amont de la révélation et sélectionné en fonction de son public. En septembre 2017, L214 s’attaque ainsi à un élevage de poulets qui serait sous contrat avec le géant industriel de la volaille, Doux. Les images sont alors confiées en exclusivité à l’émission « Le Quotidien » sur TMC qui les diffuse dans la foulée du déclenchement de l’opération activiste en ligne. Avec un retentissement non négligeable : 1,2 millions de téléspectateurs exposés. En décembre 2017, L214 récidive cette fois contre des élevages de lapins qui fourniraient de la fourrure pour de grandes marques de couture. Cette fois, c’est Le Monde qui se voit accorder le scoop avec une vidéo relayée de surcroît sur Brut, un média spécialisé en pastilles courtes et sous-titrées qui cartonnent auprès des internautes.

En février 2018, l’association décide de s’appuyer sur Kim Glo, un acteur issu de la téléréalité sur W9. Ce dernier s’investit auprès de sa grosse communauté pour relayer et dénoncer les conditions d’élevage et d’abattage des animaux servant pour le secteur de la fourrure. Ce cas montre au passage la sensible évolution stratégique de L214 qui sollicite de plus en plus des personnalités aussi diverses que suivies comme l’actrice Vahina Giocante, la couturière Lolita Lempicka, le journaliste Henry-Jean Servat, l’animateur Stéphane Bern ou l’ex-présidente du MEDEF, Laurence Parisot. L’objectif est clairement d’élargir l’audience de L214 et de recruter des soutiens qui vont au-delà des militants de la première heure et des engagés de la cause animale.

Beaucoup de bruit pour rien … ou pas ?

Sur l’instant, le bruit médiatique généré par L214 est indéniable. Les multiples reprises dans les médias sont là pour en attester, avec notamment le quotidien Le Parisien qui fait fréquemment l’écho des actions menées par les militants. Or, lorsqu’on sait que ce journal est abondamment épluché par les rédactions audiovisuelles (et notamment les chaînes d’info continue) pour nourrir leurs propres grilles, on saisit vite l’amplitude médiatique qui peut être obtenue.

Autre point que relèvent les deux experts : l’approche radicale de la narration vidéo de L214 est efficace pour couper l’herbe sous le pied à ses détracteurs, en premier lieu, les agriculteurs et l’industrie alimentaire. Face aux émotions déclenchées par les images d’animaux maltraités, il devient compliqué pour ces derniers de trouver un argumentaire pouvant constituer un contrefeu. Parce qu’ils brassent des enjeux commerciaux conséquents, l’émotion n’est pas forcément un registre crédible pour ces acteurs auprès de l’opinion publique ; et si jamais, ils se lancent dans des explications plus rationnelles, le décalage devient grand en termes de perception avec le positionnement volontiers cru de L214. Ce qui fait dire à Nicolas Vanderbiest et Amaury Bessard qu’industriels et agriculteurs devraient opter pour une stratégique plus asymétrique et qui s’inscrit dans le temps plutôt qu’essayer de réagir vainement au bruit émotionnel provoqué par L214.

Ceci d’autant plus que L214 n’est pas si influent que pourrait le laisser supposer sa démarche brute de fonderie. C’est un autre enseignement de l’étude très intéressant et presque paradoxal. Si les campagnes fonctionnent bien et sont vues par un public plutôt large, L214 peine pourtant à sortir de son socle de supporters indécrottables. Lequel est constitué essentiellement de personnes se situant la plupart du temps aux extrêmes de l’échiquier politique (à droite comme à gauche) et/ou se réclamant de courants de pensée stricts comme l’antispécisme et le veganisme. Certes, L214 parvient à porter régulièrement le débat au-delà de ces cercles inflexibles mais sans pour autant réussir pleinement à élargir durablement la palette des personnes prêtes à s’investir à leur tour.

Pour aller plus loin

Pour disposer de l’étude gratuite dans son intégralité, vous pouvez la télécharger sur le lien suivant
Pour suivre l’actualité et le travail des auteurs, abonnez-vous à leur compte Twitter :
– Nicolas Vanderbiest : @Nico_VanderB
– Amaury Bessard : @amo_thinktwice



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