Grand Prix F1 de Belgique : Shell en pole position pour un bad buzz ?

On savait que Shell et Greenpeace n’étaient pas les meilleurs amis du monde au sujet des forages en Arctique. Le mano a mano entre le pétrolier et l’ONG écologiste a connu le week-end dernier, un étonnant rebondissement lors du Grand Prix de F1 de Belgique. Le premier a obtenu le retrait de YouTube de la vidéo retraçant le coup d’éclat activiste du second pendant la cérémonie de remise des trophées aux pilotes. Serait-ce une stratégie hasardeuse qui pourrait au contraire augurer d’un prochain bad buzz plein gaz pour Shell.

La passe d’armes que Shell, sponsor principal du Grand Prix de Formule 1 en Belgique, et Greenpeace, adversaire irréductible du pétrolier, fut l’autre course dans la course principale que se livraient les monoplaces sur les lacets du circuit de de Spa-Francorchamps le 25 août dernier. En 2012, les deux protagonistes avaient déjà ferraillé sévèrement l’un contre l’autre au sujet des forages exploratoires qui doivent être menés sur la banquise arctique. La bagarre a repris de plus belle dans les tribunes de la 11ème manche du championnat du monde de Formule 1.

Greenpeace sur la grille de départ

La course Shell vs Greenpeace s'est jouée en tribunes !

La course Shell vs Greenpeace s’est jouée en tribunes !

Alors que les 22 pilotes étaient en train d’accomplir leur tour de chauffe, plusieurs militants de Greenpeace sont partis à l’assaut du toit de la tribune principale pour déployer une immense banderole hostile à Shell et ses projets d’exploration pétrolière en Arctique. Fin du premier acte qui aura (volontairement ?) échappé aux caméras de télévision mais pas celles des autres militants occupés à immortaliser en vidéo les exploits de leurs camarades.

La course achevée sur la victoire du pilote allemand Sebastian Vettel, d’autres activistes sont alors entrés en scène en descendant en rappel la tribune VIP avec des pancartes explicites : « Artic Oil : Shell No ». Puis durant la remise des trophées aux héros du jour, deux petits drapeaux signés des mêmes messages contestataires ont circulé le long de la rambarde du podium grâce à un astucieux système de téléguidage à distance avant qu’un officiel ne vienne les supprimer du décor. Le tout sous le regard interloqué de Sebastian Vettel qui déclare au micro (1) : « Je ne comprends pas, il y a des gens qui applaudissent et d’autres qui sifflent, c’est troublant ». Là encore, la retransmission officielle du Grand Prix occultera les événements mais pas Greenpeace qui, fier de son forfait, s’empresse alors de publier sur YouTube, la vidéo de ses exploits dominicaux contre Shell.

Un bad buzz tué dans l’œuf ?

L'opération n'aura pas eu le retentissement espéré

L’opération n’aura pas eu le retentissement espéré

A peine déposé sur la célèbre plateforme de partage vidéo, le petit film enregistre très rapidement plus de 250 000 visionnages (2). Il faut bien avouer que les images sont plutôt amusantes avec notamment ce drapeau qui apparaît comme une marionnette improbable et qui circule au nez et à la barbe des officiels du podium en pleine cérémonie des hymnes nationaux. Greenpeace signe d’ailleurs en conclusion de son pied-de-nez vidéo : « Bannières = 50 €. Quatre voitures radiocommandées = 88 €. Mettre Shell dans l’embarras pendant sa plus grosse opération RP de l’année = sans prix ! ».

C’est peu de dire que Shell a modérément goûté la blague. Dès le jour suivant la course, la vidéo est prestement retirée de YouTube. Motif apparemment invoqué pour justifier le retrait sine die : atteinte au droit de propriété intellectuelle. Aussitôt, Greenpeace s’en émeut dans un communiqué publié sur son site officiel (3) : « Alors que le retrait semble avoir été ordonné par les organisateurs de la Formule 1, nous soupçonnons Shell d’être satisfait. Ils pourraient même être derrière ceci. Pourquoi pensons-nous cela ? Tout simplement parce que cela ne serait pas la première fois qu’une grosse entreprise tente de réduire une parodie ou un message critique de Greenpeace au silence en se plaignant de l’utilisation de leur nom et de contenus les citant ». Et de rappeler dans la foulée la fameuse affaire en date de 2010 où Nestlé avait agi de la sorte lors de l’attaque virale de Greenpeace contre la marque de barre chocolatée KitKat.

Dérapage contrôlé ou tête-à-queue en formation ?

Une manche gagnée pour Shell mais avec un risque réputationnel important

Une manche gagnée pour Shell mais avec un risque réputationnel important

Dans un premier temps, la suppression de la vidéo semble avoir produit son effet puisque très peu de médias ont repris l’affaire, excepté quelques sites spécialisés. Ceci d’autant plus que les rediffusions télévisuelles de l’événement sportif ont en parallèle édulcoré tous les plans où apparaissaient les activistes de Greenpeace. Résultat : un petit buzz cantonné à Twitter et quasiment aucun téléspectateur pour voir en direct les actions de Greenpeace en dépit du record d’audience enregistré par le Grand Prix de Spa Francorchamps depuis 5 ans.

Si Shell semble donc avoir remporté cette manche réputationnelle et largement réussi à estomper l’écho recherché par Greenpeace, le pétrolier n’est pas forcément sorti d’affaire pour autant. Tout d’abord, la vidéo censurée sur YouTube au motif qu’elle ne respectait pas les droits d’image liés à Shell, demeure visible sur une autre plateforme Vimeo. Nul doute que les internautes les plus engagés auront pris soin de la dupliquer et de la viraliser même si Greenpeace a incité à ne pas diffuser les images devant les risques juridiques brandis par Shell et YouTube.

Ensuite, le motif du retrait est quelque peu surprenant. En surfant sur YouTube, on trouve assez étonnamment d’autres vidéos qui « pompent » littéralement et sans autorisation expresse les images du Grand Prix de Belgique où Shell apparaît d’ailleurs de temps à autre. La cohérence réglementaire voudrait alors que YouTube les retire au même titre que la vidéo de Greenpeace ou que les organisations de la FIA en charge de la Formule 1 déposent une requête de suppression. De même, on déniche quantité de vidéos mentionnant explicitement Shell, logo en tête, dont certaines avec une tonalité négative. Pourquoi alors ne pas non plus s’y attaquer ?

Conclusion – Attention, casse-cou ?

Empêcher la libre expression en recourant à la propriété intellectuelle : une tactique payante ?

Empêcher la libre expression en recourant à la propriété intellectuelle : une tactique payante ?

Shell a pris un risque non négligeable en arguant le fait que la vidéo contrevenait aux droits de la propriété intellectuelle. Même si la manœuvre juridique a pu être opérée par le truchement des organisateurs du championnat de Formule 1, c’est Shell au final qui bénéficie de ce black-out. Or bizarrement, les choses semblent s’être arrêtées là. Depuis le retrait de la vidéo, Greenpeace a déclaré n’avoir pas été contacté concernant une violation de droits relative à celle-ci. Ce qui tendrait à laisser supposer que l’argument légal n’a finalement été brandi que dans une optique de censure d’un discours déplaisant aux yeux d’un annonceur.

Si tel est le cas, l’affaire pourrait alors prendre une autre tournure si jamais Greenpeace choisit de contre-attaquer sur le terrain de la libre expression. Un terrain que YouTube est pourtant le premier à revendiquer et qui dans ce cas précis, a plutôt surpris par son empressement à obtempérer devant les injonctions des requérants anti-Greenpeace. A l’heure actuelle, les signaux indiquent plutôt un apaisement mais au regard de la pugnacité caractéristique de Greenpeace, il n’est pas exclu de penser que Shell pourrait se retrouver en porte-à-faux avec un flagrant délit de censure corporate qui n’est guère du meilleur effet à l’heure des médias sociaux et de la transparence accrue.

Sources

(1) – « Greenpeace proteste contre Shell » – L’Equipe.fr – 25 août 2013
(2) – Brian Fitzgerald – « YouTube takes down Greenpeace Shell video » – Greenpeace.org – 27 août 2013
(3) – Ibid.

A lire ou relire sur le Blog du Communicant

– « Or noir ou ours blanc : Shell ignore et Greenpeace réplique » – 1er août 2013



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