Grève VTC : La communication d’Uber est-elle en train de rouler sur la jante ?

D’ordinaire, la multinationale américaine du VTC, Uber faisait ses choux gras dès qu’un conflit surgissait avec de tatillons législateurs ou des taxis traditionnels, tous accusés de vouloir indûment protéger des rentes de situation obsolètes au détriment des clients mais aussi de ceux qui veulent entreprendre partout dans le monde en s’affiliant justement comme chauffeur sur la plateforme Uber. Malgré de récurrentes polémiques et l’arrogance patentée de son PDG, Trevor Kalanick, Uber a continué de tracer sa route et se bâtir une image d’entreprise avant-gardiste et à l’expérience utilisateur unique. Sauf qu’à force de rouler à tombeau ouvert, le pare-brise réputationnel d’Uber commence à se craqueler sérieusement. Et cette fois, ce sont les chauffeurs eux-mêmes qui jouent du poing contre celui qui entend toujours jouer les premiers prix de vertu. La fin d’un mythe ?

L’image a fait le tour des réseaux sociaux le 18 décembre. Ce jeudi, 300 chauffeurs VTC ont décidé d’adopter les bonnes vieilles méthodes musclées de leurs homologues taxis parisiens en engorgeant des axes centraux de Paris et en bloquant les accès aux aéroports. Les chauffeurs ont alors troqué costume tiré à quatre épingles et sourire impeccable pour l’uniforme du gréviste pur et dur n’hésitant pas à faire le coup de poing pour dénoncer les conditions de travail exécrables auxquelles Uber (mais aussi d’autres compagnies VTC) les astreint sans aucun dialogue. En cause : les politiques tarifaires décidées unilatéralement par Uber, les commissions prélevées et les déconnexions brutales envers les récalcitrants qui confinent à l’« esclavage moderne » pour les contestataires.

Il était une fois Uber …

uber-4-chauffeurCréée en 2009 à San Francisco, Uber a tous les attributs de la success story à l’américaine au point de connaître un développement planétaire foudroyant. Il faut bien avouer que l’idée de départ relève du coup de génie : proposer une application mobile qui met en relation des utilisations avec des chauffeurs au volant de rutilantes berlines noires, avec en prime plein de petites attentions comme une bouteille d’eau, des confiseries, une connexion Wifi et autres babioles dont les urbains sont friands. Le concept fonctionne d’autant mieux qu’il vient heurter de plein fouet le business captif vieillissant des taxis où les chauffeurs maugréent en permanence et ne sont pas toujours très regardants sur la propreté du véhicule ou la qualité du service à bord. Et même lorsque ces derniers organisent des piquets de grève pour dénoncer une concurrence déloyale, bien peu de personnes ont la larme à l’œil tant cette profession s’est engoncé des années durant dans le statu quo et le mépris du client. Au contraire, plus les manifestations se durcissent et dérapent, plus Uber rafle la mise en termes d’image en passant pour la jeune société dynamique et technologique qui vient secouer des rentiers du volant vermoulus.

Cette légende, Uber n’a jamais raté une occasion de la promouvoir sur tous les tons. Même lorsque les législateurs locaux tentent de mettre un coup de frein aux visées expansionnistes et disruptives de la compagnie californienne, Uber pousse des cris d’orfraie, mobilise les communautés technophiles et charme les médias pour lesquels il est bien difficile de trouver des arguments volant au secours de taxis poussiéreux et souvent en situation de monopoles abusifs que le pouvoir politique a largement contribué à asseoir. Et non content de pourfendre des situations figées où le consommateur n’a guère son mot à dire, Uber développe très rapidement un deuxième pan de communication autour de ses chauffeurs. L’entreprise ne manque aucune opportunité de rappeler qu’elle est une arme anti-chômage, particulièrement pour les jeunes des quartiers déshérités aux perspectives souvent inexistantes ou alors illégales. Il suffit d’aller faire un tour sur le site Web corporate pour prendre la mesure du rêve professionnel qu’Uber met à portée de volant. Et d’aligner si besoin des preuves comme le récent rapport de la Coface qui salue le bénéfice induit par Uber et ses confrères VTC en France en termes de création d’emplois (1). Il souligne notamment qu’entre 2013 et 2016, les défaillances de taxis traditionnels ont augmenté de 58% tandis que, sur la même période, les créations d’entreprises de VTC s’élevaient à plus de 30.000.

Uber, tu ne critiqueras point

uber-4-koppDans cette saga, oser critiquer Uber revient à s’exposer à des retours de bâtons. Les journalistes et les blogueurs par exemple qui ne lustrent pas la légende dans le sens attendu peuvent avoir droit à des retours de bâton pas toujours aimables, ni élégants. Ce fut le cas de Sarah Lacy en octobre 2014. Sur le site Pando, elle expliquait s’être désabonnée de son compte Uber à cause d’une campagne publicitaire menée en France qu’elle jugeait sexiste. L’affaire aurait pu en rester là. Pas pour Uber qui goûta fort peu la pique journalistique au point qu’un dirigeant d’Uber (cité par Buzzfeed) sous-entende que des enquêteurs privés avaient été mandatés par l’entreprise pour dénicher quelques infos embarrassantes au sujet de journalistes un peu trop acerbes. L’entreprise démentira par la suite.

Il n’en demeure pas moins qu’Uber n’aime guère la contestation. La société est même prompte à grossir le trait pour défendre ses intérêts. Le dernier exemple en date provient justement du mouvement de grève des 18 et 19 décembre derniers à Paris. Parmi les grévistes, certains ont en effet commis des dégradations de véhicules et ont molesté des passagers et des chauffeurs VTC non-grévistes. L’argument fut aussitôt repris en boucle comme un seul homme par le PDG d’Uber France, Thibaud de Simphal qui s’offusque dans Le Parisien et La Tribune des violences commises et qui annonce qu’il refusera tout dialogue avec les organisations syndicales tant que perdureront ces dérives. Et de faire référence entre autres à une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux où l’on voit des menaces à peine voilées émanant de VTC grévistes. Sur Twitter, c’est le chargé de communication d’Uber France, Grégoire Kopp qui entonne le même refrain sur la face cachée des manifestants épris de violence.

Attention, com’ borderline

uber-4-taxationSi les dégradations commises sont de toute évidence blâmables, la communication d’Uber n’esquive-t-elle pas un peu trop prestement certaines questions clés loin d’être anodines, tant pour la réputation de l’entreprise que pour la cohésion sociale et économique. D’ailleurs, il est assez surprenant de voir que les autres compagnies de VTC (hormis le Cab) ne se sont guère empressées d’embrayer dans les traces d’Uber. N’en déplaise aux thuriféraires d’Uber et de son agilité techno sans limites, l’aspect social tant vantée par la société californienne n’est pas forcément au rendez-vous comme annoncé sur le site corporate.

Nombreux sont les chauffeurs Uber qui déchantent des conditions imposées par le géant américain. Entre grille tarifaire imposée sans concertation, charges totalement assumées par le chauffeur, déconnexions autoritaires d’Uber sans parler des contorsions fiscales de la société qui minore au maximum son chiffre d’affaires en France, la romance entrepreneuriale vendue par Uber tourne quelque peu à l’aigre.

Et sur ce point, on n’entend guère de dirigeants de la société dont le discours est parfaitement huilée et verrouillée depuis San Francisco par l’équipe communication et affaires publiques dirigée par Rachel Whetstone. Pourtant, Uber aurait tout intérêt à savoir s’affranchir de temps à autre du discours lénifiant de la gentille start-up qui bouscule les vieux croûtons de taxi et créé des emplois par milliers. Les créations sont certes effectives. Mais lorsqu’on lit par exemple les discussions sur le forum « Uber People » où des chauffeurs parlent ouvertement de leurs conditions de travail, le mythe Uber n’est plus vraiment proche des éléments de langage inlassablement rabâchés par les porte-paroles officiels du n°1 mondial des VTC. Une erreur ? Potentiellement oui. Même si (Uber ne s’en cache pas vraiment) l’entreprise mise avant tout sur sa force de frappe en termes de lobbying pour parvenir à imposer ses vues plutôt qu’entretenir son image globale. Ceci d’autant plus que le service lui-même continue d’être plébiscité par les consommateurs eux-mêmes. Alors approche cynique ? Sans doute mais sur le long terme, il est en revanche moins acquis que les bénéfices d’image perdurent. S’aliéner excessivement l’engagement des chauffeurs, c’est prendre le risque à un moment donné de faire face à un renversement d’image. Et dans ces cas-là, une crise ne vient jamais seule. Uber serait bien inspiré d’arrêter de jouer les gentils caïds à la légende dorée. Le top management serait également avisé de se souvenir des conseils prodigués par Vineet Nayar, le PDG de HCL Technologies et auteur du célèbre essai « Employee first, Customer second« . S’aliéner les premiers n’est pas le meilleur moyen de protéger sa réputation !

Sources

– (1) – « L’ubérisation » crée plus d’emplois qu’elle n’en détruit » – Les Echos – 13 décembre 2016

Pour en savoir plus

– Florence Beauchard – « Les 6 plaies d’Uber » – Les Echos – 25 novembre 2016
– Sarah Pacheco – « Uber: A Comprehensive Strategic Communications Plan » – 25 juin 2015 (vidéo)



6 commentaires sur “Grève VTC : La communication d’Uber est-elle en train de rouler sur la jante ?

  1. Yves Gervasoni  - 

    « ..de rutilantes berlines noires.. »…
    L’adjectif rutilant indique la couleur rouge…..
    Du journalisme bas de gamme, même si Uber n’est pas forcément un bon exemple social, il convient de ne pas rémunérer les journalistes au mot mais à l’idée…
    Qu’au moins l’article fasse preuve de réelles bonnes idées, et ne se surcharge pas de poncifs et de marronniers…

  2. Jean-Paul  - 

    Bonjour,
    il est fort agréable d’enfin constater qu’un média digital regarde la vérité en face et ose une critique sur un acteur digital. Ce qui n’allait pas de soi, on aurait dit comme une sorte d’omerta . . . corporatisme digital ou solidarité digitale . . . allez savoir. Mais bon, mieux vaut tard que jamais.

    Joyeux Noel

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