L’Express : Une couverture et un dossier pas à l’honneur du journalisme

La montée du communautarisme religieux est un indéniable fait qu’il ne convient de ne surtout pas négliger. Faut-il pour autant concevoir des Unes tapageuses et pleines de sous-entendus raccourcis pour vendre son reportage ? L’Express s’y est aventuré cette semaine. Pas sûr que l’hebdomadaire en sorte grandi journalistiquement parlant.

Chaque semaine, figure en exergue du sommaire du magazine cette citation du fondateur de l’Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber : « Dire la vérité telle que nous la voyons ». C’est effectivement un magnifique mantra éditorial qui rappelle à tout journaliste sa position d’observateur des faits qu’il couvre et qu’il tente le plus honnêtement possible de contextualiser et expliquer. Ce principe aurait dû inspirer la dernière couverture de l’Express consacrée à l’islam et le danger communautariste et le dossier qui va de pair.

Un contenu vraiment sulfureux ?

Une couverture lourde en sous-entendus

Une couverture lourde en sous-entendus

Les géniteurs de la couverture tant décriée peuvent au moins être satisfaits sur un point. Ils auront réussi à faire gloser autour de leur dernière création. Il est également fort à parier que le visuel de Une choisi par L’Express pour incarner le communautariste islamique, ne passera pas inaperçu en kiosques et sur les étagères des marchands de journaux. On y voit des poupées Barbie, symbole même de la représentation de la femme occidentale, voilées selon les principes rigoureux du Coran. Le tout barré du mot « islam » en si gros caractères que même les myopes les plus tenaces ne peuvent le manquer. Dans l’air ambiant actuel où les tensions religieuses se crispent plus que jamais en France entre musulmans, chrétiens et juifs, un tel concept de couverture ne peut évidemment que titiller les instincts à fleur de peau et prêts à en découdre.

De prime abord, on aurait pu croire que la couverture tendancieuse n’était qu’un de ces malheureux viatiques marketing auxquels la presse succombe régulièrement pour appâter le chaland et l’inciter à acheter le contenu. Lequel est généralement ensuite plus pondéré. Or, en lisant l’abondant dossier de 12 pages que l’Express déroule, on comprend vite que la ligne anxiogène a nettement pris le dessus sur la ligne informative. L’ouverture du dossier donne le ton : une femme voilée avec un hidjab en train de manifester et une introduction qui renforce le ton alarmiste de ce qui va être évoqué dans les pages suivantes.

Le reste du dossier est effectivement à l’aune de la promesse de la couverture avec un scrupuleux tour d’horizon de toutes les dérives les plus marquantes de ces derniers temps, l’ensemble étant assorti de photos choc : crèche Baby-Loup, guerre communautariste souterraine à la RATP, absence de dortoir mixte dans une garderie, etc. La suite est du même acabit : inquiétude des élus socialistes qui veulent des mesures plus dures pour ne pas se prendre une raclée aux municipales, échec du maire PS d’Argenteuil dans ses gestes d’ouvertures envers les musulmans.

Pour contrebalancer, une seule malheureuse page est dédiée au poison islamophobe ainsi qu’un encadré sur le livre de Claude Askolivitch, « Nos mal-aimés ». Un choix qui n’est pas forcément le plus pertinent pour nourrir des débats sereins tant ce journaliste n’adore rien d’autre que les contre-pieds personnels pour exister médiatiquement avec des thèses partiales et partielles.

Un désagréable opportunisme éditorial

Laissons plutôt VA à ses obsessions anxiogènes

Laissons plutôt VA à ses obsessions anxiogènes

Que L’Express ait décidé de consacrer des reportages à la montée du communautarisme musulman, n’est absolument pas blâmable en soi. Le phénomène est suffisamment consistant et préoccupant pour qu’un magazine d’information s’efforce d’en comprendre les ressorts, d’en tracer les perspectives et d’en souligner les possibles dangers pour la sérénité de la société française. Aucun sujet ne doit effectivement être tabou dans une rédaction en dépit de l’aspect sulfureux et potentiellement clivant du sujet de l’islam radical. Celui-ci existe et il est hors de question qu’il prolifère en France.

En revanche, la démarche éditoriale procède d’un opportunisme désagréable et étonnant à la fois de la part de l’Express, un hebdomadaire d’ordinaire de très bonne facture et soucieux d’apporter des points de vue équilibrés. La tonalité de son actuel dossier n’a en revanche rien à envier avec la ligne outrancière ultra-droitière sur laquelle surfe actuellement sans vergogne un autre hebdo, Valeurs Actuelles. De ce dernier, on peut plus facilement comprendre tant il a décidé de faire fonds de commerce tous les poncifs vus et revus de la France frileuse et peureuse de tout. Dans le cas de l’Express, le journalisme n’en sort guère grandi.

Alors on sort le carton jaune ?

Un filon qui est loin d'être nouveau pour les hebdos

Un filon qui est loin d’être nouveau pour les hebdos

A flirter ainsi avec les lignes jaunes éditoriales, L’Express brouille son image de média respectable. Certes, l’islam est probablement moins sujet à polémiques médiatiques et rebours de bâton violents que si une Une similaire avait été consacré à l’ultra-radicalisme de certaines communautés juives ou les catholiques intégristes de Saint-Nicolas du Chardonnet dont l’étroitesse d’esprit n’a absolument rien à envier à la bêtise bornée de ces groupuscules islamiques. Dans ce cas précis, L’Express avait pourtant deux options qu’il n’a pas retenues.

La première aurait été de conserver ce sujet de l’islam communautariste mais en déclinant une Une moins tape-à-l’œil et un dossier plus équilibré, abordant aussi des cas où l’œcuménisme n’est pas une chimère mais une réalité atteignable. Il existe suffisamment de cas concrets pour faire des reportages. La seconde option aurait été de faire un dossier sur tous les communautarismes religieux qui empestent les débats publics et radicalisent la société française dans des postures de haine et de rejet dont le pays n’a vraiment pas besoin en ces temps pénibles. Dans ce cas-là, cela supposait passer en revue les principaux mouvements, expliquer leur origine et argumenter sur des solutions à mettre en place pour éviter que l’obscurantisme religieux ne vienne polluer la gouvernance de la société française.

Dommage que l’Express ait préféré cédé à des tentations probablement commerciales et opportunistes. Le magazine dirigé par Christophe Barbier mérite beaucoup mieux que ces couvertures qui touillent le délétère et l’anxiogène. Il y a déjà assez de politiciens qui s’y adonnent pour qu’un média de référence n’y succombe pas à son tour.

A voir en complément

Pour être totalement complet sur le sujet, voici la vidéo éditée par Christophe Barbier où le directeur de la rédaction de l’Express explique le sens de la démarche éditoriale adoptée par son magazine. Une argumentation intelligente en effet mais qui (je le crains) risque de ne pas être perçue aussi profondément et pertinemment que l’explique l’auteur. Dans tous les cas, l’implication de Christophe Barbier est à saluer. Rares sont les dirigeants de presse à autant s’impliquer dans la pédagogie de leur ligne éditoriale !



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