Taxis parisiens : Peuvent-ils se défaire de l’image calamiteuse qui les plombe ?

Furieux de la victoire juridique remportée récemment par leurs concurrents VTC honnis, les taxis parisiens repartent à l’assaut du macadam pour faire entendre leurs revendications corporatistes. Avec un axe de communication délibérément victimaire pilonnant l’inégalité des charges sociales entre eux et les nouveaux entrants et le risque de paupérisation (voire de disparition) de la profession de chauffeur de taxi. En dépit de certains arguments valides, leur combat suscite au mieux l’indifférence des usagers, au pire une critique virulente contre ceux qui ont abîmé depuis longtemps leur propre réputation auprès de la clientèle. Rebond d’image possible ou hallali inexorable ?

Il y a 109 ans, le comte André Colonna-Walewski révolutionnait l’univers des transports parisiens. Féru d’automobile, il était intimement convaincu que la voiture à moteur à explosion pouvait idéalement s’imposer comme moyen de transport urbain à la place des véhicules hippomobiles qui trustaient le pavé de la capitale. En 1904, il créa ainsi la Compagnie française des automobiles de place qui deviendra ultérieurement la célèbre société G7 qui englobe actuellement avec ses filiales (1) 10 000 des 18 000 taxis parisiens. La calèche tira alors rapidement sa révérence devant le succès des voitures à pétrole.

Cet historique épisode semble se rejouer aujourd’hui à travers l’affrontement farouche que livrent les taxis traditionnels indépendants et affiliés à des centraux d’appel contre les VTC et les motos taxis mobilisables eux en un clin d’œil grâce à une application mobile sur téléphone. Dans cette radicale évolution du marché, les premiers partent avec un sérieux handicap d’image qui pourrait bien finir de les laminer. Explications.

Une communication d’une autre planète

Nicolas Rousselet, PDG du groupe 7 (photo Le Monde)

Nicolas Rousselet, PDG du groupe 7 (photo Le Monde)

Depuis que les véhicules de tourisme avec chauffeur n’en finissent plus d’investir les rues parisiennes et séduire les clients avides de service efficace, les taxis parisiens ont choisi d’alternativement montrer les gros bras en créant ponctuellement des opérations escargots (voire de démolir des voitures de concurrents) et de crier au loup en invoquant une compétition commerciale totalement déséquilibrée. Cette posture communication s’est encore vérifiée récemment avec l’interview de Nicolas Rousselet, PDG du groupe G7 dans Le Monde. Aux yeux du leader français du marché du radio-taxi, l’heure est grave. Mais pas forcément pour les raisons qu’on imagine en tant que client !

Pour tenter de sensibiliser l’opinion et la rallier à sa cause, il adopte un positionnement victimaire et alarmiste (2) : « Si je m’exprime aujourd’hui, c’est parce qu’il y a le feu. Il faut protéger les revenus et les emplois des 55 000 taxis français ». Et de dépeindre dans la foulée des chauffeurs de taxis endettés jusqu’au cou par l’achat de leur licence valant au bas mot 230 000 € là où un VTC se contente d’une simple immatriculation pour la modique somme de 100 €. D’où en conclusion de son argumentation, une allégorie frappante (3) : « Nous nous battons contre de nouveaux concurrents les deux bras liés dans le dos ».

Quand on aborde avec le PDG la question épineuse du service procuré à la clientèle, la communication de ce dernier se retranche alors dans un déni assez hallucinant où l’usager devient presque « l’emmerdeur » qui en veut toujours plus (4) : « Le taxi n’est pas un tapis volant. Il ne peut pas arriver pile au moment où son client descend de chez lui. Si les courses sont chères, c’est parce qu’elles sont longues à cause de la circulation. Et il n’est pas possible d’avoir assez de taxis en heure de pointe – soit 4 heures sur 24 heures – sinon ils feraient tous faillite aux heures creuses. Moi je dis qu’on a parmi les meilleurs taxis du monde ! ».

Ce déni qui mène droit au fossé réputationnel

Trouver un taxi est souvent une gageure à Paris

Trouver un taxi est souvent une gageure à Paris

Si décalée des réalités semble la réponse de Nicolas Rousselet, cette dernière n’en demeure pas moins symptomatique du petit entre-soi que les taxis parisiens se sont toujours ingéniés à cultiver et à préserver en toutes circonstances. On se souvient encore comment leurs coups de gueule oscillant entre gémissements corporatistes et menaces inflexibles ont conduit en 2008 à l’enterrement de première classe des propositions du rapport Attali sur la libéralisation du marché des taxis. Pas question de faire bouger d’un iota la chasse gardée que quelques sociétés privées se sont taillées à leur profit exclusif et pas toujours en effet avec des conditions de travail reluisantes pour les chauffeurs artisans franchisés.

Résultat de cette pénurie organisée : une réputation déplorable qui n’a cessé de s’accroître auprès des clients au fil des ans. Qui n’a pas un jour expérimenté un refus de prise en charge pour des motifs à la mauvaise foi caractérisée ? Qui n’a pas eu à subir les doléances populistes et la mauvaise humeur du chauffeur ? Qui n’est jamais monté dans un véhicule où le balai et l’aspirateur étaient probablement en option ? Qui n’a pas dû négocier vaillamment pour avoir la possibilité de payer en carte bancaire ? Qui n’a pas désespérément cherché un taxi aux heures de pointe en appelant un terminal toujours occupé et en contemplant des stations de taxi toujours vides ? La liste des récriminations est loin d’être exhaustive. Mais à force d’expériences minables à répétition, s’est imposé l’idée collective d’une corporation détestable plus obnubilée par sa juteuse rente des plaques de taxi que par le souci de procurer un service efficace, poli et flexible.

Ce sont précisément sur ces failles réputationnelles conjuguées au manque chronique de véhicules dans la capitale que les concurrents comme les VTC et les motos taxis se sont engouffrés. En termes d’image, ils ont immédiatement (et sans mal) capitalisé sur un service impeccable à mille lieux des motifs de grogne des clients à l’égard des taxis traditionnels. Même si certains de ces nouveaux acteurs ne sont pas toujours exemplaires (lire le billet à ce sujet sur la compagnie Uber), la perception de ces nouveaux entrants a vite gagné en sympathie et en proximité d’autant que ces derniers misent sur la technologie mobile pour répondre aux demandes des passagers et sur une expérience confortable durant le trajet. Pas étonnant dans ces conditions que la réputation des taxis classiques soit calamiteuse à souhait !

Dans l’impasse pour toujours ?

Les taxis vont-ils finir à pied ?

Les taxis vont-ils finir à pied ?

A force d’être résolument crispés sur leur pré carré et totalement hermétiques aux attentes de la clientèle actuelle, les taxis s’enferment eux-mêmes dans un combat stérile d’arrière-garde qui ne fait qu’aggraver encore un peu plus leur image déjà bien peu reluisante. La pagaille routière engendrée ce lundi 10 février (sans compter un possible appel à la grève le 13 mars) va achever de consumer le peu de crédit qui leur reste. Croient-ils qu’ils s’assureront du soutien de l’opinion publique en leur rendant la circulation automobile encore plus infernale que d’ordinaire ?

De même, pensent-ils qu’en s’affichant seulement comme des galériens précarisés (situation par ailleurs avérée pour de nombreux chauffeurs), ils emporteront les faveurs du corps sociétal qui continue par ailleurs de se coltiner leur attitude bougonne, leurs voitures à la propreté aléatoire et leur système de paiement anachronique ? Si la profession des taxis parisiens souhaite réellement subsister, il est impératif que sa stratégie de communication évolue en dehors des terrains corporatistes. A la condition expresse également qu’elle s’accompagne d’une véritable transformation concrète de leurs pratiques commerciales. Tant que celle-ci persistera dans son déni obtus criant famine et prenant en otage des milliers d’automobilistes, elle se coupera de son écosystème jusqu’à en disparaître si les politiques (les derniers à encore les craindre) les lâchent définitivement.

Taxis - dessin rigolo

Sources

(1) – Julien Dupont-Calbo – « Les taxis se battent les deux bras liés dans le dos » – Le Monde – 9 février 2014
(2) – Ibid.
(3) – Ibid.

A lire en complément

– Eric Mettout – « Jacques Attali : les taxis n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes » – L’Express.fr – 10 janvier 2013
– Pierre Peyrard – « Le taxi prend du retard » – Mediapart – 9 février 2014



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