Uber embauche un ex-conseiller com’ d’Obama : une stratégie pertinente ?

Alors qu’Uber ne cesse de ferrailler dans le monde entier contre les taxis traditionnels, la start-up californienne vient de s’adjoindre les services d’une recrue de poids : David Plouffe, ancien conseiller de Barack Obama. Il est surtout connu pour son rôle déterminant de communicant et de directeur dans la campagne présidentielle de 2008 où les réseaux sociaux furent un des leviers du succès du premier président noir des Etats-Unis. Aujourd’hui, il lui revient de lever les résistances qu’affronte Uber et de convaincre les publics que l’entreprise œuvre pour le meilleur du transport des personnes. Mission impossible ou coup de maître tactique ?

PDG et fondateur d’Uber, Travis Kalanick n’est pas peu fier de son dernier recrutement en date. Depuis le 19 août, il compte dans ses rangs un poids lourd de l’influence aux Etats-Unis en la personne de David Plouffe. Après avoir dirigé avec succès la campagne de Barack Obama en 2008, ce stratège politique ouvertement proche du parti Démocrate en a d’ailleurs tiré un essai que fait aujourd’hui encore référence en matière de tactiques de campagne d’influence et de relations publiques : « The Audacity to Win: The Inside Story and Lessons of Barack Obama’s Historic Victory ». Autant dire que ce calibre de choc ne sera pas superflu pour renforcer Uber et tenter de mettre à mal les tirs de barrage nourris et récurrents que suscite cette compagnie de taxis d’un autre genre aux USA et ailleurs.

Une recrue célébrée haut et fort

Uber 2 - David Plouffe influenceFidèle à son franc-parler souvent outrecuidant, voire agressif, Travis Kalanick n’a pas fait dans la demie mesure pour annoncer l’arrivée de David Plouffe comme directeur des Affaires Publiques, de la Stratégie et de la Communication d’Uber. Sur le blog de la jeune société, le nouveau renfort est carrément présenté comme un leader de campagne et un général en chef par analogie à peine masquée avec les états de service de David Plouffe du temps de sa collaboration avec Barack Obama. Il faut bien avouer que depuis la création d’Uber en 2010, cette dernière a toujours choisi d’opérer délibérément comme un chien dans un jeu de quilles sur le marché ô combien verrouillé et austère du taxi urbain. D’où d’incessantes passes d’armes avec d’autres acteurs du secteur.

Chantre assumé de l’innovation disruptive, activiste patenté contre les corporatismes et les blocages administratifs et homme d’affaires impitoyable, Travis Kalanick est un rentre-dedans sans état d’âme pour imposer Uber dans le monde entier. Actuellement, la start-up est présente dans une centaine de villes américaines et près de 70 pays par ailleurs au point d’être valorisée à ce jour (1) à 17 milliards de dollars et d’avoir en son sein des investisseurs puissants comme Goldman Sachs et Google Ventures.

Uber sonne la charge

Uber 2 - Travis KalanickNon content de ce déploiement et de ce statut déjà acquis, Travis Kalanick n’en continue pas moins à mitrailler à tout va tout ce qui s’oppose de près ou de loin à l’expansion triomphale de sa société. Récemment, il n’a ainsi pas hésité à déclarer (2) : « Nous sommes engagés dans une bataille politique. Notre adversaire est un connard, qui s’appelle Taxi. Personne ne l’aime, personne n’aime ce qu’il fait mais il est tellement impliqué dans les rouages politiques que beaucoup de personnes lui doivent des faveurs ». Et d’embrayer aussi sur les enjeux auquel doit faire face Uber pour ne pas disparaître (3) : « Nous n’avons pas voulu cette bataille. Pendant longtemps, nous n’avons pas réalisé qu’elle était en cours. Maintenant, nous devons commencer à combattre ».

Dans cette optique de conflit politico-commercialo-juridique, l’arrivée de David Plouffe a effectivement du sens et sur son blog, le PDG d’Uber ne se prive guère d’en rajouter une louche. En préambule du mot d’introduction de Travis Kalanick, le lecteur est ainsi abreuvé avec une série de citations panégyriques émanant de figures de l’establishment américain. Un peu à l’instar de ces mots de recommandation que l’on trouve sur les profils Linkedin des individus, des gouverneurs d’Etats américains, des conseillers de l’entourage de Barack Obama, le maire de Chicago et même Eric Schmidt, président exécutif du conseil d’administration de Google, tressent sans compter des lauriers envers David Plouffe qui sera forcément l’homme idoine pour Uber.

Autant dire que la feuille de route de l’ex-éminence grise d’Obama est limpide : briser les régulations trop contraignantes aux yeux d’Uber. Le magazine Wired a également relevé un autre point (4) qui a très probablement motivé l’intégration de David Plouffe chez Uber : son expertise avérée du Big Data et sa capacité à le traduire en stratégie d’influence auprès des publics visés. Si David Plouffe a en effet tant marqué l’élection d’Obama en 2008, c’est précisément parce qu’il était un des rouages du maillage digital très fin sur lequel le candidat s’appuyait pour viraliser ses messages, encourager les dons financiers pour la campagne électorale et exploiter les données recueillies.

Uber, le grand vilain du VTC

Uber 2 - pubSi côté consommateurs, l’accueil est encore globalement bienveillant à l’égard d’Uber, c’est peu de dire a contrario que la compagnie pionnière du VTC suscite d’innombrables crispations partout où elle décide de s’implanter. Accusations de concurrence déloyale, d’optimisation fiscale abusive, de tarification plutôt opaque et volatile, voire de sécurité traitée avec désinvolture, Uber n’en finit plus d’empiler les contentieux comme ce mois-ci, l’interdiction faite à l’usage de l’application mobile de réservation Uber par la mairie de Berlin pour défaut d’assurance suffisante en matière de sécurité des passagers. Si l’arrêté municipal a été cassé quelque temps plus tard, il n’en demeure pas moins qu’Uber collectionne trop de conflits pour espérer continuer à se développer sereinement dans les grandes villes qui figurent dans son plan stratégique.

Nul doute que fort de son entregent, son carnet d’adresses et son expertise, David Plouffe saura mettre progressivement de l’huile dans les rouages avec les autorités politiques et les régulateurs là où son PDG a nettement tendance à transformer l’huile en feu polémique. A court terme, jouer la carte agressive contre les taxis traditionnels a certes globalement porté ses fruits tant la profession des taxis est engoncée dans un conservatisme d’un autre temps. Les clients en redemandent d’ailleurs même si Uber est loin d’être exempt de plaintes à cause d’additions excessivement salées. Néanmoins, Uber est désormais à un virage où il ne peut décemment plus se limiter au rôle du gosse innovant et turbulent de l’industrie du taxi. D’autres compagnies de VTC se sont créées depuis (comme par exemple en France, SnapCar, Le Cab, Chauffeur-privé, etc) où les clients ne sont pas traités comme des vaches à lait et avec des services plus adaptés.

Quel axe de campagne pour David Plouffe ?

Uber 2 - carteDe toute évidence, David Plouffe ne va pas révolutionner la stratégie de communication et d’influence d’Uber. Il va au contraire capitaliser sur les fondamentaux qu’a toujours cultivés Uber : la révolution technologique pour rendre le transport des personnes en taxi plus accessible, plus flexible et plus personnalisé. C’est d’ailleurs sur cette ADN « révolutionnaire » que s’appuient toutes les start-ups pour justifier leur volonté de faire bouger les lignes de secteurs d’activités trop souvent ankylosés, oligarchiques et abusifs pour le porte-monnaie des clients. La plus-value de David Plouffe résidera sûrement dans sa capacité à atténuer les attaques frontales souvent excessives de son PDG à l’encontre de tout ce qui n’abonde pas en son sens. Si Travis Kalanick est indubitablement un entrepreneur hors-pair, il est aussi une personnalité très clivante et pas toujours respectueuse. Sur Twitter par exemple, il n’en finit pas d’envoyer sur les roses des clients mécontents de certains tarifs ou de morigéner des journalistes à cause d’articles lui déplaisant.

Sur le plan purement politique, David Plouffe est sans nul doute l’homme de la situation car il conjugue à la fois la connaissance des arcanes administratifs et un goût pour l’innovation. Particulièrement aux USA où Uber est devenu le symbole d’un combat quasi dogmatique entre les deux grandes formations politiques du pays. Aux yeux des Républicains, Uber est une ode à l’entrepreneuriat et à l’ultralibéralisme. Aux yeux des Démocrates, Uber est plus contestable du fait de sa propension à s’affranchir de certaines règles en vigueur. Ceci étant dit, cette dichotomie symbolique ne doit pas occulter un autre enjeu d’image autrement plus crucial pour le rayonnement d’Uber.

Attention, Uber n’est pas infaillible !

Uber 2 - strategyChanger le regard des politiciens est une chose mais préserver le capital sympathie auprès des clients en est une autre. Pour le moment, Uber n’est pas totalement entré en zone de turbulences mais les litiges et les critiques de l’opinion publique ont tendance à augmenter entre expériences non-satisfaisantes d’Uber et réactions méprisantes reçues suite à leurs requêtes. Or, si David Plouffe souhaite rééditer pour le compte d’Uber, la mobilisation populaire réussie sur les réseaux sociaux pour porter Barack Obama à la Maison Blanche en 2008, il va vite devoir se pencher sur un dialogue en ligne un peu moins contempteur et tranchant tel que le pratique le PDG d’Uber, Travis Kalanick. Etre disruptif est une chose plutôt sympathique mais savoir tenir compte de son écosystème est tout autant un atout incontournable en termes d’influence. Le lobbying institutionnel auquel se livrera forcément David Plouffe n’est pas l’unique clé de la réputation d’Uber. L’opinion a son mot à dire.

N’en déplaise à son outrecuidant PDG, le corps sociétal n’est pas idiot. En avril 2014, il s’était d’ailleurs vivement rebellé contre la nomination de Condoleeza Rice au conseil d’administration de Dropbox, l’un des acteurs majeurs du stockage de données en ligne. Figure de proue de l’ex-gouvernement Bush et surtout fer de lance du programme d’écoutes mis en place à l’époque, l’arrivée de Condoleeza Rice avait déclenché un tollé général sur les réseaux sociaux estimant un tel recrutement incompatible avec le respect des données privées dont Dropbox s’est toujours prévalu. Uber serait bien avisé d’intégrer cette dimension et d’arrêter de croire que la « magie » politicienne d’un seul homme, si talentueux soit-il, fera le reste.

Sources

(1) – « Pourquoi Uber dérange-t-il autant ? » – Le Monde.fr – 21 août 2014
– (2) – Jérôme Marin – « Travis Kalanick, l’homme qui veut tuer l’industrie du taxi » – Blog Silicon 2.0 – Le Monde.fr – 9 juin 2014
– (3) – Ibid.
– (4) – Marcus Wohlsen – « Why Uber just hired Obama’s campaign guru » – Wired – 9 juin 2014



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