Pour que la téléréalité cesse précisément d’être notre réalité télévisuelle
D’ordinaire, je ne porte guère d’intérêt aux programmes de téléréalité dont certaines chaînes de télévision nous abreuvent constamment jusqu’à l’overdose écœurante tellement la vacuité intersidérale de ces émissions et des potiches qui les composent sont consternantes. Toutefois, un récent fait divers et l’excellent billet de mon ami Arash Derambarsh m’ont amené à réfléchir sur cette dérive de plus en plus marquée que notre société gavée d’images cultive volontiers.
Le 9 août dernier, un candidat déchu de la « real TV » s’est donné la mort en se jetant volontairement sous les roues d’une voiture du côté de Nantes. Ce candidat s’appelait François-Xavier plus connu sous le pseudo de « FX ». Il avait participé l’an passé à l’émission de TF1 produite par Endemol et intitulée « Secret Story ». Une émission où les participants entassés comme des cloportes dans une maison factice doivent comploter les uns contre les autres pour deviner le secret que chacun recèle en lui. Plus récemment, « FX » avait récidivé comme une luciole addictive en s’engageant pour « Carré ViiiP » qui fut prestement retiré de l’écran tellement le niveau d’indécence et d’inculture avait même réussi à faire fuir l’audience la plus crétine.
Back to the reality
Pour « FX », cet arrêt a véritablement assommé ses rêves de gloire, de notoriété et de nuits parisiennes dont les médias « people » et les paparazzis se repaissent goulument. Eteints les sunlights factices qui transformaient en « FX » en animal du show-business. Finies les extravagances diverses qui alimentaient les colonnes de Voici, Closer et consorts pour lui donner un semblant d’existence et de consistance. L’androgyne nantais a été brutalement renvoyé dans son placard à balais provincial sans aucune perspective que celle d’avoir été un temps donné, l’une de ces pseudo-célébrités que les caméras de télévision disséquaient sous toutes les coutures en prime time.
Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour clouer au pilori la société de production Endemol et les chaînes friandes de ce type d’émissions. D’aucuns vont même jusqu’à les accuser d’être responsables de la mort de feu « FX », de n’avoir pas accompagné les candidats fragiles durant cette période de décompensation qui suit leur éphémère gloriole télévisuelle. Le billet rédigé récemment par Arash Derambarsh (1), directeur du département personnalités politiques et publiques pour la maison d’édition Cherche Midi, pointe avec acuité les failles du système Endemol et autres sociétés de production qui rivalisent de vulgarité pour concevoir des émissions toujours plus provocatrices, racoleuses et pleines de paillettes fallacieuses.
A faux-cul, faux-cul et demi
On peut effectivement s’insurger contre la faiblesse, pour ne pas dire l’absence, de l’accompagnement psychologique dont peuvent bénéficier ceux qui se sont prêtés aux programmes de téléréalité et qui se retrouvent ensuite lâchés comme des chiens errants dans le morne quotidien duquel la TV les avait temporairement extirpés. La question mérite d’autant plus d’être posée qu’Endemol s’était en son temps fièrement érigé en garant de la morale télévisuelle en constituant à grand renfort de bruit médiatique, un comité de déontologie.
Dans son plaidoyer pro domo, les phrases de bonne volonté sont sans aucune ambivalence sur la responsabilité qu’entend justement s’incomber Endemol et ses personnalités de haute moralité (2) : « La téléréalité est à la fois un reflet et un révélateur de certains aspects de notre société. Née hors de France elle a connue, dans de nombreux pays des dérives qu’il faut, autant que faire se peut, éviter dans notre pays. C’est sur ce dernier aspect, et sur la contribution modeste que nous pensons pouvoir y apporter, que nous souhaitons revenir aujourd’hui. En espérant par là-même, répondre aux interrogations, pas toujours de bonne foi, qui se sont exprimées sur l’action du Comité de Déontologie ».
Plus loin dans cette flamboyante déclaration de foi, on peut encore lire ces quelques lignes (3) : « La place que la télévision a prise dans le divertissement collectif et dans la formation des opinions nous parait justifier le rassemblement de toutes les bonnes volontés pour maintenir les programmes dans les limites de l’acceptable. Nous l’avons donc accepté, et nous poursuivrons cette mission, sans nous ériger pour autant en arbitres du bon goût ».
Faut-il bannir la téléréalité ?
Force est de constater que « FX » n’est pas le premier candidat tombé au triste monument aux morts de la téléréalité si l’on se réfère à l’article du Nouvel Observateur que cite Arash Derambarsh. Sans jouer les oiseaux de sinistre augure, il est fort à parier que d’autres obsédés naïfs de gloire télévisuelle succomberont à leur tour aux impitoyables sables mouvants de la téléréalité. Celle-ci aspire, manipule et recrache ce qui lui sert à alimenter une formidable machine à pognon et faire vivre toute une filière de presse qui n’hésite pas à multiplier les couvertures et les reportages sur ces extravagants zozos.
Là réside précisément tout le problème fondamental de la téléréalité : celui de faire croire aux rêves de carrière les plus fous à toute une génération déjà suffisamment repue par ailleurs de flux imagiers. Là repose toute la duplicité de cette industrie du divertissement : laisser entendre qu’on peut devenir célèbre et riche à souhait en osant montrer un bout de fesse, en roulant des abdos et en multipliant les phrasés approximatifs pourvu qu’on fasse rire ou qu’on choque. Ainsi fonctionne cette mécanique sans états d’âme qui presse jusqu’au moindre pépin, la moelle bien candide à en désespérer des candidats.
Halte à la supercherie
Certains s’en sortent et parviennent tant bien que mal à perdurer dans cet univers télévisuel où la date de péremption peut s’accélérer à n’importe quel moment. C’est le cas par exemple d’un Steevy repêché par Laurent Ruquier pour endosser le rôle du bouffon neu-neu dans ses talk-shows et ses pièces de boulevard. Mais pour un Steevy qui incarne encore quelque chose (si tant est qu’on puisse s’extasier devant ce rôle ?), combien ont sombré corps et âme dans les égouts de la télévision comme de vulgaires scories condamnées désormais à mendier des shows un peu coquins dans d’improbables discothèques de province profonde ou inventer moult ficelles pour tenter de revenir dans le jeu tentateur de la « real TV » ?
Personnellement, j’en veux à ceux qui entretiennent ce miroir aux alouettes, notamment au sein des générations les plus jeunes auxquelles on promet gloire fulgurante sans aucun effort, ni talent particulier. J’en ai plus qu’assez de cette supercherie où l’on va même jusqu’à faire passer les pantins de la téléréalité pour des intellectuels de haut rang.
C’est ainsi qu’en juin dernier, un cran supplémentaire a été franchi avec la constitution d’un groupe d’anciennes stars de la téléréalité. Emmené par l’inénarrable Cindy Sander, reine hors catégorie du massacre de la langue française et de la syntaxe, le combo a créé un clip et une chanson pour défendre une cause : l’illettrisme ! Là, on se dit vraiment qu’on touche le fond. Si désormais un trépané de la téléréalité a plus d’impact auprès du public qu’un authentique bénévole œuvrant sans compter pour faire avancer sa cause, la télévision et sa cohorte de coucous rapaces doit urgemment se repenser. Non décidément, Benjamin Castaldi et Jean-Marc Morandini ne peuvent pas être l’équivalent d’un Jacques Martin ou même du lénifiant Michel Drucker.
Sans déraper dans une soviétisation des programmes de divertissement, ni s’abandonner à un excessif élitisme intellectuel, la télévision doit désormais pouvoir s’affranchir de ces programmes creux pour privilégier d’autres émissions où les jeunes générations auront de vrais modèles et d’authentiques motifs d’espoir plutôt que croire dans ces attrape-nigauds télévisuels. Arrêtons cette société de l’image « bulle de savon ». Faire de la bonne télé divertissante existe. Elle ne requiert pas automatiquement d’exploiter de manière éhontée des gens déjà suffisamment fragiles qui croient que la TV va leur donner la cohérence qui manque à leur propre vie. En guise de méditation, je suggère aux apprentis sorciers de la téléréalité de ré-écouter la superbe et cruelle chanson de Daniel Balavoine intitulée « Le Chanteur ». De quoi réfléchir !
Sources
(1) – Arash Derambarsh – « Endemol : la machine à broyer » – Blog « La Bibliothèque d’Arash Derambarsh » – 11 août 2011
(2) – Charte déontologique publiée sur le site d’Endemol France
(3) – Ibid.
(4) – Marion Le Roy – « Les suicidés de la téléréalité » – Nouvel Observateur.fr – 11 août 2011
2 commentaires sur “Pour que la téléréalité cesse précisément d’être notre réalité télévisuelle”-
Arash Derambarsh -
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Olivier Cimelière -
Je suis bien évidemment d’accord avec ton analyse Olivier. Derrière Endemol, personne morale, tu as des personnes physiques qui sont les concepteurs des émissions. Et il faut dorénavant s’adresser à eux directement. D’où ma lettre ouverte à Virginie Calmes. Trop facile de se cacher lâchement derrière Endemol…
Je suis clairement en ligne et c’est d’ailleurs pourquoi je m’étonne que le fameux (fumeux) comité de déontologie d’Endemol rassemblant soi-disant des personnalités morales au-dessus de tout soupçon ne se soit guère manifesté. Seule Michèle Cotta en son temps, avait osé s’en prendre à la daube de « Carré Viiip » et quitter ce qui ressemble de plus en plus à un alibi bien pratique pour les dirigeants d’Endemol.
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