Pourquoi la communication reste le meilleur vaccin face au virus antivax ?

Alors que l’espoir renaît avec la récente annonce conjointe des laboratoires Pfizer et BioNTech sur un vaccin anti-Covid 19 potentiellement efficace à 90%, les discours antivaccins redoublent de d’ardeur sur les réseaux sociaux. Cette propagation digitale qui date déjà depuis quelques années, a carrément enflé à l’occasion de la crise du coronavirus et a gagné en réceptivité auprès de l’opinion publique. Quels sont les mécanismes de cette communication obscurantiste et comment enrayer l’infodémie extrêmement préoccupante qui en découle ?

Le coup de massue est tombé. Avant même que Pfizer et BioNTech ne dévoilent leurs nouvelles avancées dans l’élaboration d’un vaccin contre le coronavirus, l’institut de sondage et d’étude de l’opinion Ipsos publiait les résultats d’une nouvelle enquête réalisée entre le 8 et 21 octobre 2020. Seulement 54% des Français envisagent de se faire vacciner lorsqu’un vaccin sera commercialement disponible pour se prémunir de la Covid-19 (1). C’est le taux d’intention le plus bas observé dans le monde mais c’est aussi un taux qui ne cesse de refluer. Dans une étude similaire effectuée entre le 24 juillet et le 7 août, l’institut Ifop relevait que 59% des sondés se déclaraient prêts à adopter le vaccin dès sa mise sur le marché. Derrière ces chiffres, il y a le permanent travail de sape des communautés antivaccins.

Une mobilisation qui ne se dément pas

En quelques années, les militants antivaccins ont trouvé avec Internet et les réseaux sociaux, une formidable chambre d’écho pour répandre leurs théories anxiogènes. Lors du premier trimestre 2018 (alors que le gouvernement venait de promulguer une loi étendant à 11 vaccins obligatoires pour les enfants et les bébés), l’agence de conseil en politique de santé Nile et Antidox, cabinet de conseil en communication spécialisé dans l’analyse de l’opinion en ligne, ont passé au peigne fin les contenus évoquant les vaccins sur les réseaux sociaux. Ils ont identifié plus de 840.000 publications sur ce thème. Consultant chez Antidox, Vincent Hospital précise (3) : « Cela représente environ 8 200 articles en ligne, 250.000 partages d’articles sur Facebook, 46 000 tweets et 1500 discussions chaque mois ».

Cette prégnance du sujet est corrélée par d’autres critères relevés par l’étude. Il y a ainsi en moyenne 300 000 requêtes par mois sur les moteurs de recherche à propos des vaccins. Un volume vertigineux (avec des pics encore plus prononcés lors d’annonces gouvernementales) qui enregistre une croissance de 130% sur les cinq dernières années (NDLR : 2013-2018). Enfin pour parler vaccination, les antis sont trois plus actifs que les pros qui n’interviennent que plus ponctuellement et avec un impact moindre. Une disproportion qui s’explique notamment par la passivité des autorités sanitaires pendant plusieurs années. Sociologue à l’École des hautes études en santé publique (Ehesp) à Rennes, Jocelyn Raude confirme (4) : « La question des vaccins sur les réseaux sociaux a longtemps été abandonnée aux militants. Ce n’est que récemment que les autorités sanitaires ont pris conscience de l’impact que cela pouvait avoir ».

Hétéroclites mais influents

Si la thématique est abondamment discutée, les groupes antivax qui en parlent sont en revanche de nature nettement plus hétéroclite. On trouve d’abord des communautés sceptiques et/ou indécises qui sont avant tout mues par l’anxiété avec deux arguments principalement invoqués : les possibles effets secondaires qu’un vaccin peut provoquer sur la santé humaine mais aussi la crainte que les essais cliniques ne soient bâclés pour cause d’urgence sanitaire et de compétition commerciale entre les laboratoires engagés dans la course à la recherche d’un vaccin anti-Covid 19. Ces acteurs constituent le ventre mou de l’écosystème antivaccin. Beaucoup ne font qu’exprimer des doutes et des inquiétudes mais peuvent potentiellement basculer dans la partie plus « hardcore » des réfractaires inflexibles et de fait, alimenter à leur tour quantité de théories justifiant le « non » au vaccin.

En 2018, le cabinet belge d’analyse et de veille digitale Saper Vedere s’est précisément penché sur les communautés en ligne les plus résolument opposées en France. On y trouve des courants assez disparates, notamment politiquement puisque les détracteurs les plus virulents se situent au sein de la droite souverainiste, l’extrême-droite mais aussi les écologistes. Autre fraction non négligeable qui s’additionne à cet entrelacs : les conspirationnistes adeptes des théories du complot et les contestataires des mouvances d’extrême-gauche. Bien que la plupart ne soit pas scientifique de formation ni n’ait un bagage étendu, tous se piquent de sciences et de médecine en s’autorisant à tenir des discours opposés aux provaccins sur la base de vrais acteurs de la santé souvent révoqués ou très controversés (comme par exemple le Pr Joyeux ou le Pr Perronne) ainsi que de naturopathes et autres profils plus exotiques.

Paradoxalement, ces clusters hétérogènes ne sont pas les plus nombreux sur le Toile dès qu’il s’agit de conversations autour de la vaccination. En revanche, ils sont extrêmement viraux, se mêlent aux discussions et s’agglomèrent les uns aux autres grâce à des milliers de partages de contenus antivaccins. Le physicien américain Neil Johnson de l’Université George Washington, à Washington, a longuement étudié leurs interactions sur Facebook dans une étude publiée en mai dernier dans la prestigieuse revue scientifique Nature. Il en ressort que les antivaccins actifs ciblent des groupes qui n’ont pas forcément d’opinion forgée sur la santé et les vaccins mais qui s’interrogent et qui ont également une certaine perte de confiance à l’égard de la médecine traditionnelle et des laboratoires pharmaceutiques. Cet entrisme est redoutable car il parvient à convaincre nombre de personnes à l’aide de différentes contre-vérités. Contre-vérités qui produisent tout particulièrement leurs effets durant une période de pandémie angoissante comme celle traversée à l’heure actuelle.

JOHNSON ET AL., NATURE, 13 MAY 2020

Entre rhétorique politique et épandage d’infoxs

La rhétorique des antivaxs ne s’arrête pas au discours médical et sanitaire qui laisse entendre que les vaccins tuent des enfants ou leur font développer des maladies graves. C’est effectivement un pan important de l’arsenal argumentaire mais ce n’est pas le seul. Dans nombre de discours et de contenus, il affleure deux autres dimensions qu’affectionnent particulièrement les conspirationnistes : la politique et l’économie avec en substrat récurrent, le contrôle et l’asservissement des peuples. Historien des sciences à l’université de Bourgogne, Laurent-Henri Vignaud relève (5) : « Les deux thèmes dominants sont politique – le combat contre « Big Brother » – et économique – le combat contre « Big Pharma ». Quoique anciens, ils obsèdent l’antivaccinisme moderne. Cela donne des discours selon lesquels les vaccins contre la Covid-19 serviraient à glisser des puces électroniques sous la peau pour nous contrôler, ou uniquement à faire du profit ».

Autre critère de la mécanique discursive des opposants aux vaccins : le mélange fallacieux (mais techniquement habile) de faits avérés (et souvent tronqués ou distordus) et d’infoxs patentées mais qui polarisent aussitôt l’émotion et l’indignation des personnes. Laurent-Henri Vignaud fournit une illustration (6) : « Dans les discours antivaccin, il y a souvent une étude parue qui a tenté de prouver que tel ou tel adjuvant était toxique, par exemple celle du professeur Romain Gherardi sur les sels d’aluminium. Sauf qu’elle n’a jamais pu être reproduite. Dans le cas d’Andrew Wakefield, la publication scientifique existe, mais a été rétractée car les données étaient erronées […] Tout l’art de la manipulation, de l’argumentation antivax consiste à aboutir, à partir de ces faits réels, à des discussions fausses ou discutables ».

Le discours scientifique se délite

Le problème est en tout cas suffisamment patent pour que l’Organisation Mondiale de la Santé ait fait de « l’hésitation vaccinale » (autrement dit, la réticence ou le refus de vacciner malgré la disponibilité des vaccins) l’une des 10 menaces sanitaires mondiales. L’usage des médias sociaux a largement contribué à cet état d’alerte au sujet de la perception des vaccins. En procurant des espaces d’expression comme Facebook, YouTube et Twitter (les trois réseaux en pointe sur l’anti-vaccinisme) à des gourous, des experts improvisés ou même des scientifiques marginalisés, le discours scientifique s’est éparpillé dans des flux gigantesques d’information. Dès lors, il devient vite difficile de trier le bon grain de l’ivraie d’autant que le contexte général est de surcroît à la remise en cause et à la méfiance de ce qui a longtemps fait autorité sur les questions de santé.

Chercheurs à l’Université de Stellenbosch, Marina Joubert et François van Schalkwyk décortiquent depuis longtemps cette percolation des propos antivaccins auprès de personnes qui n’ont au départ pas d’opinion précise, ni d’opposition irréductible (7) : « Les points de vue des gens sur les questions scientifiques contestées sont polarisés en fonction des « préjugés cognitifs » et du « raisonnement motivé » qui résultent de leurs croyances personnelles et de leurs valeurs. S’ils sont enclins à aimer les nouvelles informations scientifiques, ils les verront d’un œil plus positif. Mais si ces nouvelles informations dissipent leurs points de vue préexistants, ils ne seront pas réceptifs. Ce que l’on appelle l’« effet négatif » qui entre également en ligne de compte. Les gens sont plus enclins à partager des histoires et des images sur les préjudices et les tragédies que des contenus neutres ou positifs. C’est pourquoi les messages sur les dangers allégués des vaccins, souvent accompagnés d’images émotives d’enfants malades, sont relayés plus largement sur les médias sociaux que les messages pro-vaccins ».

Les réseaux sociaux au cœur de la propagation

Le grossissement des troupes antivax est un scénario à ne surtout pas exclure dans les mois et années qui viennent. Les atermoiement et les contradictions du gouvernement français (mais d’autres acteurs également) et la polémique irrationnelle où le Pr Didier Raoult est vénéré comme un sauveur, ont consolidé les croyances et damé un terrain propice aux affabulations et aux résistances de tout genre. Surtout lorsque le vaccin deviendra alors une réalité qu’il faudra produire massivement puis le distribuer aux populations tout en définissant des priorités et un coût financier acceptable ainsi que fournir des preuves de son efficacité et de son innocuité.

Nombre d’indices laissent à penser que les antivaxs se sont arrogés un écho qui n’est pas forcément proportionnel à leur véritable représentativité de base mais qui est capable de faire plonger des groupes entiers de personnes dans l’exacerbation des peurs et l’exploitation des croyances. Preuve en est avec le documentaire vidéo intitulé « Plandémic » diffusée en mai 2020 sur YouTube et fortement viralisé par la suite. Imbibé d’arguments scientifiques non-fondés et/ou biaisés sur fond de complotisme qui serait orchestré par Anthony Fauci, le professeur conseiller de la Maison-Blanche sur la crise du coronavirus, ce film a été visionné et partagé près de 2,5 millions de fois en l’espace de deux semaines et a même atteint les 7 millions de vues sur YouTube avant que la plateforme ne se décide à retirer le contenu contestable. A ce stade, un tel chiffre n’est plus anodin d’autant que la vidéo continue de circuler sur d’autres réseaux.

Quelle riposte engager ?

La réplique à ce courant antivaccin à consonnance conspirationniste, ne passe pas pour autant par la suppression systématique des contenus litigieux (sauf dans les cas les plus graves). Cette tentation de censurer ne fait qu’attiser et accréditer paradoxalement qu’on veut réduire au silence ceux qui s’insurgent contre les vaccins. A ce jour, l’écosystème des provax peut déjà s’appuyer sur un certain d’initiatives individuelles sérieuses comme Les Vaxxeuses, un collectif citoyen de parents qui lutte contre la désinformation sur les vaccins sur Facebook. Autre page Facebook qui s’active dans la réplique : « Vaccins France-Information et discussions ». Créé en 2017 par des médecins, des pharmaciens, des scientifiques et des férus de science, ce groupe Facebook entend répondre avec pédagogie aux membres qui s’interrogent.

Dans le même registre, on peut citer également la chaîne YouTube de vulgarisation scientifique Asclépios du Dr Jérémy Descoux qui a pu constater l’ampleur de l’enjeu (8) : « J’ai été confronté à la sphère des antivaccins après avoir réalisé deux vidéos sur la vaccination. J’ai reçu beaucoup de réactions très violentes, que je n’ai pas l’habitude de voir en consultation. Il est clair que nous traversons une crise de confiance vis-à-vis de la médecine ». Avec Facebook, YouTube est un univers où le discours rationnel sur les vaccins doit donc impérativement reprendre pied. Aujourd’hui, on y compte près de 100 000 vidéos traitant du thème. Vincent Hospital, consultant d’Antidox, est sans ambages (9) : « Parmi les 25 vidéos les plus populaires sur ce thème, plus de la moitié développe un argumentaire contre la vaccination et seulement 10 % y sont favorables ».

Quentin Hugon – Le Monde

Réduire le fossé informationnel

Ces initiatives louables ne sauraient en revanche être à elles seules la tête de pont digitale de la riposte. En dépit de la perte de confiance dans les organismes sanitaires et le corps scientifique et médical mais aussi la défiance forte envers l’industrie pharmaceutique, ceux-ci doivent tous se remobiliser et mieux investir les réseaux sociaux. Non pas pour entamer une bataille frontale contre les détracteurs qui serait vouée de toute façon à l’inanité. Mais pour se rapprocher de cette majorité de personnes qui oscillent entre l’indécision, la peur et le doute ou qui ne disposent pas d’assez d’éléments pour se forger leur propre opinion. Le Dr Olivier Mariotte de l’agence Nile tire la sonnette d’alarme (10) : « Il faut que l’on soit en mesure d’apporter des messages rationnels et scientifiques en flux constant, sans quoi la communication vaccino-sceptique prendra le dessus ».

Il ne s’agit pas de confiner à la théosophie, ni à la guerre de chapelles mais clairement d’éviter que les discours complotistes encouragent des catastrophes sanitaires. La résurgence de la rougeole aux Etats-Unis et en Europe est en partie due au refus de vaccination de leurs enfants par des parents convaincus que le vaccin présente plus de risques que de bénéfices santé. En Fédération de Wallonie Bruxelles, l’Office national de l’enfance a mis au premier rang de ses priorités, une communication offensive pour sensibiliser la population contre les fake news et anticiper avant qu’il ne soit trop tard (11) : « Nous ne sommes pas dans une situation comme celle de la France qui a été contrainte de passer à l’obligation vaccinale pour améliorer ses taux de couverture. Chez nous, l’impact des théories anti-vaccins semble encore limité […] mais il a été décidé d’avancer le rappel de vaccin rougeole-rubéole-oreillons de 12 ans à 7-8 ans car si le taux de couverture est bon (95 %) pour les jeunes enfants, il tombe à un niveau trop bas (environ 75 %) chez les ados ».

En parallèle du discours officiel et scientifique qui reste nécessaire pour objectiver la lutte informationnelle, il conviendrait de repenser, de redéployer et d’intensifier la communication santé vers d’autres dimensions. Sans verser dans l’infantilisation du public ou la moquerie excessive envers les détracteurs, il s’agit néanmoins de rééquilibrer les flux d’information pour espérer retisser la confiance. Cela peut prendre de multiples formes comme des témoignages de patients, le relais avec des influenceurs sérieux, l’éducation pédagogique et l’investissement plus massif sur les réseaux sociaux où les antivax ont réussi à avoir pignon sur rue. Sans une stratégie de communication mieux articulée et plus intensive entre tous les acteurs, il sera difficile de faire reculer le virus des antivaccins.

Sources

– (1) – Nicolas Boyon – « COVID-19 vaccination intent is decreasing globally » – Ipsos – 5 novembre 2020
– (2) – Julie Kern – « Covid-19 : la part de la population souhaitant se vacciner suffira-t-elle à stopper l’épidémie ? » – Futura Sciences – 11 septembre 2020
– (3) – Cécile Thibert – « Les antivaccins contaminent les réseaux sociaux » – Le Figaro Santé – 16 mai 2018
– (4) – Ibid.
– (5) – William Audureau – « Les discours antivaccins, bien implantés en France, ont redoublé de vigueur avec la crise sanitaire » – Le Monde – 10 juin 2020
– (6) – Marina Joubert et François van Schalkwyk – « Pourquoi les croyances et opinions des antivaccins se diffusent-elles si vite sur Internet ? » – The Conversation – 14 février 2019
– (7) – Damien Leloup – « « Plandemic », itinéraire d’une vidéo antivaccination particulièrement virale » – Le Monde – 25 mai 2020
– (8) – Cécile Thibert – « Les antivaccins contaminent les réseaux sociaux » – Le Figaro Santé – 16 mai 2018
– (9) – Ibid.
– (10) – Ibid.
– (11) – Michaël Kaibeck – « L’ONE mise sur la communication pour lutter contre les anti-vaccins » – Le Soir – 16 septembre 2020

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