Orpéa & EHPAD : Communication de crise suicide ou aveuglément cynique ?
Les révélations du livre-enquête de Victor Castanet, les Fossoyeurs, ont constitué une énorme déflagration réputationnelle pour Orpéa, l’un des plus gros réseaux privés d’Ehpad en France et en Europe. Une onde de choc qui continue à l’heure où diverses enquêtes sont en cours et où le rapport accablant de l’IGAS et l’GF vient d’être remis. Dans un contexte de surcroît où les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendants voient leur image décliner encore un peu plus dans l’opinion publique. Laquelle commence à privilégier par exemple des solutions alternatives comme le maintien à domicile des seniors face aux dérives de certains Ehpad. Décryptage d’une stratégie de communication virulente et des remèdes éventuellement possibles.
Orpéa pourra-t-il s’affranchir un jour de la catastrophique réputation qui colle à ses basques ? La minutieuse enquête du journaliste indépendant Victor Castanet sur les maltraitances et les dérives nombreuses au sein du groupe Orpéa vient en effet s’ajouter lourdement à une longue litanie de reproches et de manquements déjà constatés et dénoncés depuis plusieurs années par divers observateurs (chez Orpéa et chez leurs concurrents directs comme Korian et DomusVi). Alors même que les besoins en capacité d’accueil sont au bord de la saturation (voire déjà en déficit) et que les perspectives démographiques laissent entrevoir l’arrivée de 8,7 millions de personnes de plus de 75 ans en 2030 (1), les réseaux privés d’Ehpad, Orpéa en tête, font face à une grave crise de confiance et de réputation auprès du grand public. Est-ce irréversible ?
Article mis à jour le 27 mars 2022 à 17h00
« Grand Age » : défiance record envers les Ehpad
Plus que jamais, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées s’est imposée comme un sujet sociétal incontournable. La plupart des projections indique que le nombre de seniors en perte d’autonomie va quasiment doubler entre 2015 et 2050. D’après l’Insee, la France comptait près de 2,5 millions de personnes âgées en situation de perte d’autonomie en 2015.
Pour soi-même ou pour ses proches, chacun se sent donc étroitement concerné par l’idée d’être pris en charge à mesure qu’il avance en âge. En mai 2021, un sondage Odoxa pour la fédération Adédom et l’Ocirp établissait que 3 Français sur 4 (74% en moyenne et 83% des 65 ans et plus) allaient conditionner leur vote aux élections présidentielles au programme qui saura tenir compte de la perte d’autonomie (2).
Or, une autre enquête plus ancienne réalisée par Odoxa mettait en évidence une défiance croissante de l’opinion publique envers les Ehpad. En 2019, les deux tiers des Français (68%) avaient une mauvaise image des Ehpad, contre 56% en 2017 (3). A la lumière du livre de Victor Castanet qui est par ailleurs un véritable succès en librairie pour ce type d’ouvrage – quatre réimpressions (4) et 135 000 exemplaires vendus -, nul doute que les indicateurs de réputation ne se seront guère améliorés aux yeux du grand public, des pouvoirs publics, voire de certains investisseurs.
Dans les coulisses implacables d’Orpéa
Trois ans d’enquête et plus de 250 témoignages recueillis plus tard, l’opus de Victor Castanet est un coup dur pour le groupe Orpéa qui concentre l’essentiel des dysfonctionnements relevés par l’auteur. La liste est longue et surtout empreinte d’une implacable inhumanité. Le journaliste s’attarde notamment sur le cas de la résidence Les Bords de Seine située à Neuilly-sur-Seine. Présentée comme un des fleurons modèle d’Orpéa, celle-ci pratique des tarifs très élevés allant de 6 500 à 12 000 € par mois pour un service qui se veut exemplaire et haut-de-gamme (5). Pourtant, l’établissement semble crouler sous les réclamations des familles qui pêle-mêle dénoncent le rationnement des repas, les défaillances dans la gestion des médicaments et des objets personnels, les soins d’hygiène aléatoires qui conduisent à laisser des résidents dans leurs excréments pendant plusieurs heures, le manque de personnel qualifié pour accompagner ou répondre aux demandes des pensionnaires.
Victor Castanet évoque en particulier le cas de l’écrivaine Françoise Dorin qui a séjourné dans cet établissement pendant trois mois en 2017. Les commentaires laissés par son petit-fils sur la fiche Google de ce dernier sont terribles (6) : « Si vous voulez vous débarrasser des gens que vous aimez, à moindres frais, il y a une place de libre désormais au 2e étage, à gauche, en sortant de l’ascenseur… Madame Françoise Dorin, écrivain de renom, est rentrée dans cet établissement il y a moins de trois mois. C’est le temps qu’il leur a fallu pour lui faire perdre 20 kilos, et l’usage de la parole. C’est le temps qu’il leur a fallu pour laisser une escarre dégénérer et finir par faire la taille de mon poing. C’est le temps qu’il a fallu pour la mener à un état irréversible. Ho oui ! C’est joli ! C’est cosy même. On vous vantera volontiers la balnéo et le confort des chambres. On vous fera des courbettes et des grands sourires. On vous fera croire que tout est sous contrôle… La vérité c’est que cet établissement à plus de 7 000 euros le mois n’est pas un organisme de santé, mais une entreprise à but lucratif ».
La description de ces dérives est en fait l’aboutissement d’un système gestionnaire ultra-drastique mis en place par le groupe Orpéa. Sous l’impulsion du fondateur aujourd’hui président d’honneur, un dogme est érigé en mot d’ordre (7) : « Il faut que ça crache ». De fait et grâce aux témoignages recueillis auprès d’anciens salariés et cadres, Victor Castanet met en lumière les méthodes de management abusives, le manque de formation pour le personnel, les rémunérations astronomiques des hauts dirigeants, les tours de passe-passe avec les contrats de vacataires, le travail exténuant des titulaires, l’utilisation des subventions publiques à d’autres fins que celle du bien-être des résidents, les liens financiers avec des fournisseurs et des apporteurs d’affaire et même la proximité forte d’avec un ancien ministre de la Santé. Autant dire que tous les ingrédients sont réunis pour engendrer et nourrir une crise réputationnelle profonde.
Des enquêtes en pagaille
La crise traversée par Orpéa n’est pas du seul fait du livre. Deux mois après sa parution, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et celle des finances (IGF) se sont à leur tour penchées sur les mises en cause et les anomalies pointées par le journaliste. Le pré-rapport remis le 11 mars dernier à Olivier Véran, ministre de la Santé et des Solidarités est accablant et vient confirmer en grande majorité l’existence des points litigieux évoqués dans l’enquête de Victor Castanet. Lequel a déclaré qu’il n’excluait pas de saisir la justice sur les « dysfonctionnements » observés chez Orpea, résultant d’une « mauvaise utilisation de l’argent public » (8). Le rapport final est dans la même veine et le 26 mars, Brigitte Bourgignon, ministre déléguée à l’Autonomie, a alors annoncé que l’Etat porte plainte, saisit le procureur de la République et demande la restitution des dotations publiques de l’ordre de 50 millions d’euros versés entre 2017 et 2020 (9).
Et pour corser la problématique, Orpéa doit dorénavant se débattre avec une histoire de supposé délit d’initié émanant d’Yves Le Masne, son ancien directeur général pendant vingt-huit ans et débarqué peu de temps après la sortie du livre en librairies. Le 2 février, l’hebdomadaire satirique le Canard Enchaîné a en effet indiqué que ce dernier a cédé des actions Orpéa en juillet 2021 pour 588.000 euros « trois semaines seulement après que la direction d’Orpea a été informée de la parution prochaine du livre » (10). Bien que le haut-dirigeant ait démenti l’accusation portée, le Parquet national financier (PNF) a malgré tout ouvert une enquête pour délit d’initié. Autre front judiciaire ouvert contre Orpéa (mais aussi contre le concurrent Korian) : l’action de groupe collective initiée par l’avocate Me Sarah Saldmann qui a déjà à ce jour collecté des dizaines et des dizaines de familles signataires.
La pression est maximale sur les épaules des dirigeants d’Orpéa d’autant que les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont aussi emparées du sujet. Début février, la première a convoqué l’état-major d’Orpéa (mais aussi celui-ci de Korian) pour qu’il s’explique notamment sur les dispositifs financiers en vigueur dans leurs établissements. Conclusion d’Annie Vidal, députée LREM de Seine-Maritime (11) : « L’approche de Korian n’est pas du tout la même qu’Orpéa. Nous avons eu les réponses de Korian et, pour l’essentiel, des “non-réponses” d’Orpéa. ». Quelques jours plus tard, le Sénat entend élargir le dossier en lançant une commission d’enquête pour examiner la supervision des contrôles des Ehpad par l’Etat et les autorités de tutelle concernées.
Communication en mode bunker chez Orpéa
Pourtant, face à ce feu médiatique et politique nourri, Orpéa va très vite adopter une communication en mode bunker et bulldozer. Pas question de lâcher une once de résipiscence ! Un exemple probant de cette attitude fermée est celle évoquée par Victor Castanet lui-même dans un article publié dans Le Monde. Celui-ci fait écho aux visites sur le terrain qu’a démarré Stéphane Cohen, directeur des opérations médico-sociales France du groupe. Objectif : resserrer et consolider les rangs internes possiblement déstabilisés, voire au bord de la démission, par les révélations du livre mais également par les conclusions finales des rapports de l’IGAS et de l’IGF.
Les termes sont révélateurs de la ligne de défense arc-boutée adoptée (12) : « On ne va pas se laisser faire ! […] Il va falloir qu’on cesse de se fouetter, là, de subir ! […] On s’est fait écharper, mais on ne pouvait rien faire. On est dans un jeu à la fois politique et théâtral. On répondait mais personne ne nous écoutait. Chacun est dans son rôle. Les députés de La République en marche appartiennent à un gouvernement qui n’a rien fait pour le secteur. Ils ont là une victime expiatoire et se disent qu’il faut la charger ».
La tentation de la victimisation …
Cette victimisation ne doit rien au hasard. Dès la sortie du livre de Victor Castanet, Orpéa avait aussitôt répliqué avec un cinglant communiqué de presse (13) : « Un article publié ce jour dans le journal Le Monde dévoile les premiers éléments d’un ouvrage à paraitre visant ORPEA. Ces éléments, polémiques et agressifs montrent une volonté manifeste de nuire. Nous contestons formellement l’ensemble de ces accusations que nous considérons comme mensongères, outrageantes et préjudiciables. De telles attaques ne sont malheureusement pas nouvelles mais sont extrêmement violentes dans un contexte où nos équipes sont encore plus mobilisées depuis deux ans par la crise sanitaire. Nous ne pouvons pas laisser de telles dérives sensationnalistes et mensongères ternir l’image d’ORPEA et du secteur ». En indiquant à la fin du communiqué que l’entreprise ne dispose pas à ce jour du livre mais que les avocats sont d’ores et déjà mobilisés pour envisager des suites judiciaires.
Cette posture de communication résolument offensive et tout en réfutation interpelle néanmoins. Au cours de son enquête, l’auteur des Fossoyeurs affirme avoir sollicité l’entreprise à plusieurs reprises qui n’a jamais donné suite. Dans un courriel du 8 mars 2020, la directrice de la communication estime que le journaliste travaille à charge et lui écrit (14) : « Nous nous interrogeons sur ce qui anime vos recherches et sur votre attitude systématique de dénigrement ». A la fin de ses investigations, le journaliste a même envoyé une liste de 56 questions qui resteront lettre morte, Orpéa signifiant que ses équipes étaient accaparées par la crise sanitaire.
… et du blindage permanent
Or, le travail de Victor Castanet n’a semble-t-il pas été pour autant de tout repos. S’il a fait constamment fait face à une porte close de la part de l’entreprise, il n’hésite pas non plus à dire qu’il a reçu des menaces à peine voilées (15) : « J’ai subi pendant cette enquête un certain nombre de pressions pour éviter d’aller au bout de l’investigation. Il est arrivé à la moitié de mon enquête qu’un interlocuteur me propose une importante somme d’argent pour me dissuader d’aller au bout : 15 millions d’euros ». Au regard des éléments factuels confirmés par le rapport de l’IGAS et de l’IGF, le déni invoqué d’une part et la pression exercée d’autre part n’aident pourtant pas à nourrir une perception positive (ou du moins plus pondérée) du dossier.
Intitulé « Le système se défend », le chapitre 22 du livre de Victor Castanet est encore plus explicite quant aux méthodes employées par la direction de la communication de l’entreprise à l’égard de toute approche journalistique. C’est ainsi qu’en 2019, Orpéan a refusé de répondre à une journaliste d’Envoyé Spécial, Julie Pichot, avant d’intenter une action en référé pour faire interdire la diffusion du reportage. Action ratée puisque le juge n’a pas considéré la requête recevable. Qu’importe ! Quand il faut écarter un journaliste, tout semble bon comme lui souffler le chaud et le froid, se plaindre auprès d’un rédacteur en chef pour lequel il travaille, voire le rabaisser au sujet de reportages précédents comme le raconte Victor Castanet.
Cependant et en dépit des nuages qui se sont amoncelés depuis que l’affaire a éclaté, Orpéa ne démord pas de cette stratégie de communication musclée. Autre illustration récente de cette ligne étanche : le licenciement express d’un directeur d’un établissement du groupe situé en Saône-et-Loire. Pour avoir ouvert les portes de sa résidence à des journalistes du quotidien local Le Journal de Saône-et-Loire et montrer qu’il n’avait rien à cacher, Vincent Dupin s’est vu signifier le jour même l’arrêt de sa période d’essai au motif « d’un manque de transparence vis-à-vis de sa direction et que la confiance était rompue » (16). Du côté de l’entreprise, il n’est question en revanche que de simple coïncidence, la décision de rupture ayant déjà été actée avant l’entrevue avec la presse.
Vers un déni jusqu’au-boutiste ?
La trame narrative adoptée par Orpéa est en tout cas inflexible. A la sortie de sa convocation par la ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, le 1er février dernier, le PDG du groupe, Philippe Charrier est resté dans la dénégation face aux médias qui l’interrogeaient (17) : « Ce que nous avons lu ne correspond absolument pas à la réalité de la vie dans nos établissements […] D’ores et déjà, nous savons que plusieurs accusations sont infondées, j’en ai la preuve […] Aujourd’hui, nous sommes accusés et on n’a pas été jugés ». Avant de conclure de façon convaincue (18) :
« Orpéa est une société humaniste, on est tout près de l’humain. C’est un métier de l’humain : prendre soin de nos résidents ».
Alors fuite en avant casse-cou au risque de se voir objecter de nouvelles révélations et des conclusions embarrassantes ? La stratégie empruntée donne l’impression qu’Orpéa est en total décalage avec la situation actuelle ou bien que le groupe n’a pas pris la pleine mesure des accusations portées et des témoignages recueillis. Or, les choses sont loin d’être finies.
En plus du rapport final de l’IGAS et de l’IGF qui a été remis aux autorités de tutelle, Orpéa doit répondre à une audition du Sénat le 30 mars. Directeur des opérations médico-sociales France du groupe, Stéphane Cohen a déjà donné le cap qui sonne comme un avertissement envers les détracteurs (19) :
« On est encore un très beau groupe. C’est ce qu’on va dire au Sénat : attention, messieurs dames. On est un des fleurons de l’industrie française. Peu d’entreprises ont 26 000 salariés en France. Si vous voulez vraiment tuer ce groupe, faites-le ! Mais après, ce sera à vous d’assumer ».
L’opacité de l’information financière
Cette étonnante communication un peu bravache semble avoir perdu de vue que l’opinion publique est sensible à la question de la dépendance et au traitement de ses aînés qui ne peuvent plus vivre de manière autonome. En jouant la carte du bras-de-fer (voire du chantage à l’emploi), il n’est pas acquis qu’Orpéa regagne des points en matière de réputation. Au contraire, l’entreprise risque fortement d’être encore plus perçue comme une organisation froide, obsédée par le profit, les dividendes aux actionnaires et le remboursement de sa dette soutenant sa politique d’expansion européenne.
Certes, les fondamentaux financiers sont bons malgré les turbulences. Les premiers résultats d’Orpéa en 2021 indiquent un chiffre d’affaires en progression de 9,2% à 4,2 milliards d’euros et une marge de 25% (20). Mais même sur ce plan-là, Orpéa reçoit des tacles sévères. A la demande des syndicats CGT et CFDT d’Orpéa, le Center for International Corporate Tax Accountability and Research (Cictar) a été mandaté pour livrer une étude sur les circuits financiers et fiscaux de l’entreprise. Les résultats dévoilés le 24 février mettent en évidence une grande opacité comme le souligne Mike Lewis, analyste financier et auteur du rapport pour Cictar (21) : « l’information financière est nettement moins transparente que celle d’entreprises cotées comparables […] Les actionnaires ne peuvent pas savoir qui détient les actifs, quel est leur volume exact, ni qui sont les bénéficiaires des biens immobiliers vendus ».
Pourtant, Orpéa reste là aussi droit dans ses bottes. A ses yeux, les actionnaires et les investisseurs ne peuvent qu’être satisfaits des bons ratios affichés comme le proclame le communiqué de presse sur les résultats financiers (22) : « Sur l’exercice 2021, le chiffre d’affaires a bénéficié de la remontée progressive des taux d’occupation permise avant tout par la campagne de vaccination contre le Covid19 ainsi que par l’engagement des équipes d’ORPEA qui ont su rester pleinement mobilisées pour offrir un environnement sécurisé aux résidents et aux patients ». En d’autres termes, contentez-vous des performances accomplies ! On a connu mieux en matière de transparence et de confiance.
D’autres options que le bras-de-fer ?
En pleine tourmente, Mirova, un des plus gros actionnaires d’Orpéa et filiale de Natixis IM, a toutefois émis au même moment, une proposition qui pourrait peut-être constituer une planche de salut réputationnelle pour le groupe privé d’Ehpad. Acteur engagé dans la finance durable, Mirova a en effet confirmé qu’il restait au capital malgré les déboires actuels mais qu’il demandait à Orpéa d’entamer une transformation de son modèle en devenant une entreprise à mission.
Mathilde Dufour, directrice de la recherche en développement durable de Mirova en précise les contours (23) : « La transformation en entreprise à mission implique d’inscrire dans ses statuts une raison d’être et des objectifs environnementaux et sociaux sur lesquels l’entreprise sera redevable. En parallèle, il est donc essentiel que soit mis en place un organe de gouvernance pour contrôler et challenger la conduite de ces ambitions, avec la constitution d’un comité de mission composé de salariés et de parties prenantes externes […] Cette transformation ne résoudra pas tous les problèmes, mais permettra néanmoins d’ancrer l’utilité sociale de l’entreprise au cœur de son activité et d’avoir un contrôle stratégique réintégrant les parties prenantes au cœur de sa gouvernance ».
Quatrième acteur d’Ehpad en France, le groupe Colisée a déjà opéré ce type de conversion en mars 2021 en s’engageant pour le « bien vieillir ». Le statut d’entreprise à mission n’est pas pour autant une ardoise magique qui efface toutes les turpitudes précédentes. Néanmoins, il permet d’apurer certaines déviances d’un point de vue éthique et organisationnel. Les engagements sont formulés par écrit et soumis au vote des actionnaires. Ils sont ensuite soumis à des contrôles à divers niveaux faisant l’objet d’un rapport public.
Attention au « purpose-washing » !
La piste de l’entreprise à mission pour Orpéa suscite toutefois quelques grincements de dents. Un expert en gouvernance fait remarquer ainsi qu’« on ne décide pas de devenir une entreprise à mission du jour au lendemain. C’est un processus long qui doit venir de l’intérieur de la société » (24). Un expert des critères ESG ajoute (25) : « Avant de modifier les statuts d’Orpéa, pourquoi ne pas régler les dysfonctionnements internes ? Ne faudrait-il pas nettoyer auparavant ? Le risque, en basculant très vite vers l’entreprise à mission, est de jeter la suspicion sur ce statut. Il n’a pas pour objet de redonner une virginité aux entreprises qui ont un comportement déviant ».
Les interrogations méritent en effet d’être prises en compte. Revêtir le costume d’entreprise à mission est sans doute prématuré dans la temporalité actuelle. L’urgence pour Orpéa, est d’abord de corriger ce qui doit l’être avant d’envisager de transformer sa gouvernance. Ne pas respecter ce timing pourrait donner nettement l’impression que l’adoption du nouveau statut est avant tout une opération de replâtrage d’une image sérieusement cabossée.
Ceci est d’autant plus crucial que dans le cas d’Orpéa, les agences de notation sur les critères sociaux, environnementaux et gouvernance (ESG) se sont bien loupées. Les notes attribuées étaient plutôt flatteuses sur l’échelle des critères dits RSE. Directrice générale de Novethic, un réseau d’expertise sur la finance durable, Anne-Catherine Husson-Traore constate (26) : « La face sombre d’Orpea a échappé aux filets des systèmes de notation. C’est surprenant de constater qu’Orpea n’avait pas de mauvaises notes, et avait même récemment progressé, ce dont se félicitait l’entreprise dans sa communication ! ».
La réputation d’Orpéa dans une impasse ?
Si intéressante que soit la démarche RSE poussée par Mirova à l’encontre d’Orpéa, il convient vraiment de ne pas brûler les étapes. L’urgence en matière de communication de crise est aujourd’hui de répondre aux accusations et aux dysfonctionnements évoqués dans le livre de Victor Castanet et le rapport de l’IGAS et l’IGF. Voire devoir traiter d’éventuelles procédures judiciaires qui pourraient s’ensuivre.
Si l’entreprise n’opère pas concrètement et radicalement une résolution en profondeur des déviances actuellement dénoncées, la réputation d’Orpéa sera définitivement synonyme de fiasco. Pour le moment, les dirigeants d’Orpéa ne semblent pas vouloir infléchir leur communication rentre-dedans et préfèrent renvoyer les balles plutôt que reconsidérer certains aspects ayant pourtant gravement endommagé l’image de l’entreprise et de ses établissements.
Le 26 mars (soit deux mois après la parution du livre réquisitoire et dans la foulée de la plainte déposée par l’Etat), le PDG d’Orpéa, Philippe Charrier, a certes esquissé une timide (et bien tardive) ouverture. Dans une interview accordée au Figaro, il déclare vouloir « présenter ses excuses aux résidents et à leurs familles » (27) tout en admettant l’existence de certains dysfonctionnements. Sera-ce suffisant pour desserrer l’étau médiatique ? Rien n’est moins certain que cette contrition qui semble surtout avoir été dictée par la déliquescence du contexte et apparaît comme un seau d’eau jeté sur une incendie de forêt.
Le défi est de taille ! L’impasse réputationnelle dans laquelle est coincé Orpéa exige de revoir en particulier les règles de financiarisation à outrance qui ont prévalu jusqu’à présent. La reconquête d’une réputation apaisée et digne de confiance passe impérativement par cette refonte qui n’est pas sans complexité. Cela suppose notamment d’être moins gourmand sur les marges opérationnelles et d’être réellement au service des résidents en pension dans les Ephad. Un changement de paradigme culturel qui ne s’effectue ni en quelques semaines, ni en demeurant dans le déni ou encore dans l’obstruction anti-journaliste !
Sources
– (1) – « Le secteur des EHPAD » – Site du cabinet Clearwater International
– (2) – « Election Présidentielle 2022 : La question de la perte d’autonomie comptera dans le vote des 3/4 des électeurs » – Site de la fédération Adédom – 17 mai 2021
– (3) – « Dépendance : les deux tiers des Français ont une mauvaise image des Ehpad, selon un sondage » – Francetvinfo.fr – 18 novembre 2019
– (4) – Dahlia Girgis – « Affaire Orpea : l’impact exponentiel de l’enquête « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet » – Livres Hebdo – 28 janvier 2022
– (5) – Victor Castanet – « « Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée » : extraits des « Fossoyeurs », une enquête sur le business du grand âge » – Le Monde – 24 janvier 2022
– (6) – Ibid.
– (7) – Ibid.
– (8) – Solveig Godeluck – « Orpea accusé d’avoir fait mauvais usage de l’argent public dans ses Ehpad » – Les Echos – 22 mars 2022
– (9) – Maxime Gayraud – « L’Etat veut faire payer Orpéa » – Le Parisien – 27 mars 2022
– (10) – « Enquête pour délit d’initié présumé chez Orpéa: Image 7 perquisitionné » – Le Figaro – 17 mars 2022
– (11) – Béatrice Jérôme – « L’Assemblée nationale rendra plusieurs rapports en mars sur le scandale Orpea » – Le Monde – 19 février 2022
– (12) – Victor Castanet – « Comment Orpea prépare la riposte face au rapport sur les dysfonctionnements dans ses Ehpad » – Le Monde – 21 mars 2022
– (13) – Communiqué de presse d’Orpéa – 24 janvier 2022
– (14) – Philippe Broussard – « « Les Fossoyeurs », un livre qui ouvre le débat sur la gestion et le contrôle des maisons de retraite » – Le Monde – 24 janvier 2022
– (15) – « «Les Fossoyeurs»: «On m’a proposé 15 millions d’euros pour me dissuader d’aller au bout » – Libération et AFP – 26 janvier 2022
– (16) – Lucas Robelin – « Le contrat du directeur non-renouvelé : Orpea s’explique » – Le Journal de Saône-et-Loire – 2 février 2022
– (17) – Lucie Beaugé – « «Orpea est une société humaniste», se défend le patron du groupe d’Ehpad » – Libération – 1er février 2022
– (18) – Ibid.
– (19) – Victor Castanet – « Comment Orpea prépare la riposte face au rapport sur les dysfonctionnements dans ses Ehpad » – Le Monde – 21 mars 2022
– (20) – « Ehpad : résultats financiers au beau fixe pour Orpea, la marge d’ebitdar tutoie les 25% » – La Tribune – 12 mars 2022
– (21) – Béatrice Jérôme – « Orpea, ses loyers à la hausse, ses effectifs de soignants à la baisse » – Le Monde – 24 février 2022
– (22) – Communiqué de presse d’Orpéa – 8 février 2022
– (23) – « L’affaire Orpea démontre l’importance d’avoir accès à une donnée extra financière fiable et de grande qualité » – L’InfoDurable.fr – 14 février 2022
– (24) – Laurence Boisseau – « Orpea-Korian : la société à mission, solution miracle ? » – Les Echos – 28 février 2022
– (25) – Ibid.
– (26) – Claire Chaudière – « Scandale Orpea : les agences de notation ont-elles été défaillantes ? » – France Inter – 7 février 2022
– (27) – Keren Lentschner et Ivan Letessier – » Le PDG d’Orpea répond à la mise en cause du géant des Ehpad » – Le Figaro – 26 mars 2022
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