Canular d’Emma Watson : Quand arrêtera-t-on de chercher le buzz pour le buzz ?
Dans la foulée de son discours aux Nations Unies sur l’égalité homme-femme, l’actrice britannique Emma Watson s’est soudainement retrouvée cette semaine aux prises avec un site Web agressif menaçant de dévoiler des photos d’elle dénudée en représailles des positions féministes défendues par la jeune artiste. Le buzz s’est finalement avéré être une opération digitale montée de toutes pièces par un obscur collectif de spécialistes en marketing viral. Et si les communicants tapaient enfin du poing sur la table pour que cessent ces canulars débiles et bien peu éthiques ?
En prononçant un vibrant plaidoyer pour l’égalité homme-femme devant les membres de l’ONU à New York, Emma Watson ne s’attendait probablement pas à être la victime collatérale d’un traquenard numérique orchestré par quelques excités en mal de buzz à tout prix. L’actrice anglaise a en effet été involontairement au cœur d’un bad buzz incroyable qui a déchaîné les internautes pendant plusieurs jours. L’opération virale n’était en fait qu’une supercherie bricolée par un collectif du nom de Social Vevo habitué à répandre des rumeurs sur le Web pour créer artificiellement du trafic et gagner en visibilité.
Et soudain, l’emballement …
Le 21 septembre, Emma Watson monte à la tribune des Nations Unies pour faire un discours sur le droit des femmes dans le monde, point d’orgue de son engagement personnel pour la campagne « He for She » qui invite les représentants du sexe masculin à se mobiliser contre les inégalités encore subies par les femmes. L’intervention rencontre un vif écho dans les médias et sur les réseaux sociaux. La vidéo du discours sur YouTube atteint allègrement les 800 000 vus en quelques jours. Sur Twitter, le hashtag « HeForShe » reçoit le soutien de célébrités masculines et est abondamment partagé par les socionautes.
En parallèle pourtant, les mots prononcés par Emma Watson font également l’objet de véhémentes attaques antiféministes sur plusieurs sites communautaires américains dont le forum baptisé 4chan. Ce dernier s’est fait largement connaître pour avoir été récemment le réceptacle digital des photos volées de nus de stars féminines comme Kim Kardashian, Jennifer Lawrence ou encore Rihanna. C’est justement dans ce contexte sulfureux que ce forum va rapidement devenir le point de cristallisation d’une nouvelle rumeur. Deux jours après le discours de l’ONU, un étrange site Web apparaît avec une mention menaçante : « Emma You Are Next ». Autrement dit, au tour de l’actrice anglaise de subir les outrages de la nudité piratée dont 4chan s’est fait une spécialité.
… puis la viralisation éclair
L’affaire agite aussitôt les médias et les réseaux sociaux d’autant plus que le site se met à jour peu de temps après avec un inquiétant compte à rebours puis un message sibyllin à l’encontre de 4chan où il est question de dénoncer le machisme agressif qui sévit sur le forum. Les auteurs du site se réclament alors d’une agence de marketing viral dénommée Rantic et expliquent leur démarche : « Nous avons été embauchés par les agents de célébrités pour faire la lumière sur ce problème dégoûtant. Les dernières publications de photos de célébrités nues sur 4chan sont une invasion de la vie privée et une indication claire qu’Internet DOIT être censuré. ».
Très vite, un nouveau message est publié pour faire monter la pression : « Rejoignez-nous dans notre campagne pour faire fermer 4chan et empêcher d’autres photos privées d’être publiées. Aucune des femmes victimes ne mérite ça et ensemble nous pouvons faire changer les choses ». Cet appel direct à la censure intensifie alors de manière spectaculaire la polémique qui n’en finit plus de rebondir. Ceci d’autant plus que l’agence Rantic semble être apocryphe comme le constatent les sites Mashable et Business Insider. Même si le compte Twitter de Rantic revendique plus de 200 000 abonnés, il s’avère que l’immense majorité correspond à des bots et des faux profils. Derrière ce bazar digital, se cache un collectif nommé Social Vevo qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de bobards numériques.
L’objectif de cette énième pantalonnade digitale n’est en réalité qu’une recherche effrénée de buzz comme s’en vante d’ailleurs le collectif dans son dernier message posté sur le site : « 48 millions de visiteurs uniques, 7 millions d’actions Facebook et 3 millions de mentions sur Twitter ». Un message qui éclaire mieux l’énigmatique premier tweet du compte Twitter de Rantic : « Certains disent que la viralité ne peut se prédire. Eh bien, nous avons la recette ». Social Vevo a donc atteint son but en jouant de la confusion : embrouiller les médias et générer de la curiosité pour engranger du trafic Web sans vergogne.
Stop aux bidouilleurs de buzz
L’affaire « Emma You Are Next » n’est pas sans rappeler le fameux canular concocté par Carambar en 2013. Sous l’impulsion de son agence de marketing, la célèbre confiserie au caramel avait poussé très loin le bouchon pour faire croire qu’elle allait bientôt abandonner les blagues potaches de ses emballages. Médias et consommateurs étaient tombés dans le panneau jusqu’à ce que la marque révèle ses véritables intentions : susciter le buzz et … faire une blague !
Cette nouvelle histoire de buzz bidouillé laisse un désagréable goût d’irresponsabilité et d’éthique piétinée. Cela commence à devenir lassant (pour ne pas dire énervant) de voir que nombreux sont les professionnels du marketing et de la communication à se laisser aveugler par des opérations de manipulation où personne ne sort gagnant si ce n’est d’avoir amassé vilement des tonnes de likes et de tweets sur la base d’un mensonge orchestré. A force de titiller la viralité des réseaux sociaux sans aucune retenue, on finit par semer durablement le doute. Or, la cause des droits des femmes mérite autre chose qu’une pitoyable facétie de communicant farceur. Il serait grand temps que les accros du buzz à tout prix apprennent à contrôler leurs pulsions de pubards adolescents en mal de visibilité. Le Web social fourmille suffisamment de rumeurs et imbroglios en tout genre pour ne pas en rajouter avec des actions de marketing digital franchement limites.