Community management : jusqu’où peut-on raisonnablement recourir au newsjacking ?

Avec l’avènement des médias sociaux, les marques disposent désormais d’une capacité importante pour rebondir sur un fait d’actualité et le détourner à son profit pour faire parler de soi. Si la technique du newsjacking est effectivement à considérer dans une stratégie de communication, elle doit être utilisée avec modération. Sinon, le prix à payer peut être rude en termes de réputation.

S’emparer d’une actualité pour faire un clin d’œil humoristique envers ses consommateurs n’est pas en soi une totale nouveauté. Depuis plusieurs années, nombreuses sont les marques à titiller celles et ceux qui font régulièrement les gros titres des journaux. A cet égard, les acteurs politiques sont régulièrement des cibles de choix.

Newsjacking - SixtA l’origine, ce sont surtout les associations caritatives et les ONG qui ont été les premières à carter un sujet dans l’air du temps pour interpeler l’opinion publique et faire avancer leur cause auprès des décideurs. Puis les marques se sont à leur tour aventurées sur ce terrain un peu trublion. L’ère du newsjacking (littéralement « détournement de l’actualité ») s’ouvrait alors. Et ce n’est pas fini pour reprendre le slogan actuel d’un opérateur de téléphonie !

La compagnie de location de voitures Sixt est par exemple coutumière du fait. En 2010 alors que les médias bruissaient du mariage imminent entre le président de l’époque, Nicolas Sarkozy et la chanteuse Carla Bruni, l’entreprise avait sorti une campagne mettant en scène une petite voiture de marque française assorti d’un slogan un brin provocateur : « «Faites comme Mme Bruni. Prenez un petit Français». Sixt a récidivé en 2014 lorsque la liaison entre François Hollande et Julie Gayet fut éventée par un magazine people où l’on voyait le locataire de l’Elysée sur un scooter en train de se rendre à un rendez-vous galant. La marque sortit illico une affiche conseillant au président d’adopter la prochaine fois une voiture aux vitres teintées !

Le digital décuple le newsjacking

Newsjacking - KitKatDans un paysage médiatique de plus en plus saturé et bombardé de contenus, marques et entreprises doivent ferrailler pour capter l’attention et la préférence de leurs cibles. Depuis que les réseaux sociaux se sont incrustés dans le quotidien des clients et des consommateurs, l’équation communicante s’est donc substantiellement complexifiée. Il faut rivaliser de créativité et d’agilité pour espérer se faire remarquer. Des marques ont compris tout l’intérêt qu’il pouvait y avoir à saisir la moindre opportunité lors d’un événement d’ampleur en s’appuyant d’abord sur le digital. Le biscuit Oreo est l’une d’entre elles. En 2013 en pleine finale du Super Bowl, le stade est soudainement plongé dans une semi-obscurité à cause d’une panne d’électricité. La marque émet alors aussitôt un tweet rigolard en conseillant de vite déguster des biscuits dans la pénombre. Le trait d’humour sera retweeté des milliers de fois et la marque bénéficiera d’une couverture médiatique sans précédent.

Depuis, les community managers sont à l’affût du moindre sujet d’actualité où ils pourraient faire prendre la parole à leur marque. Lors du lancement de l’iPhone6 en 2014, une polémique éclata rapidement accusant le nouveau-né de la gamme Apple de se tordre lorsqu’il était mis dans la poche arrière d’un pantalon. Immédiatement, plusieurs marques ont attrapé la balle au bond comme la barre chocolatée KitKat de Nestlé. Celle-ci déclina un visuel où il était conseillé de tordre à 45° la confiserie chocolatée pour mieux la déguster. Le message sera retweeté plus de 23 000 fois battant au passage le premier record établi par Oreo !

Attention aux pièges

Newsjacking - 3 suissesLa tentation est donc grande de s’engouffrer dans ce technique de « kidnapping » des centres d’intérêt médiatiques du moment. Mais les retours de bâton peuvent parfois être imprévisibles. La marque de yaourts et de biscuits Michel & Augustin en sait quelque chose. En 2012 à la veille des élections présidentielles, elle lance une série limitée de produits illustrés avec des figurines des couples des candidats à la présidentielles. Tout semblait donc réuni pour réussir un bon « newsjacking » marketing. Michel et Augustin a pourtant vite stoppé en publiant un message d’excuse sur sa page Facebook quelques jours plus tard : « Plusieurs scandales sérieux ont éclaté en magasins (vaches à boire lancées sur les murs, hurlements…). Nous sommes un peu dépassés par ces réactions un peu surréalistes. On temporise. C’EST FINI. Toutes nos excuses ». Dans les rayons, des militants s’étaient en effet passablement énervés et n’avaient guère goûté la blague !

Pire encore est sûrement la mésaventure survenue aux 3 Suisses en janvier 2015. L’enseigne de vente par correspondance avait conçu un visuel « Je suis 3 Suisses » en reprenant celui créé par un jeune graphiste juste après l’attaque contre l’hebdo satirique et baptisé « Je Suis Charlie ». Le logo de l’entreprise s’est ainsi retrouvé graphiquement mêlé au mot d’ordre unissant celles et ceux qui tenaient à exprimer leur dégoût envers l’acte terroriste. L’effet recherché par les 3 Suisses s’est pourtant transformé en bad buzz. A peine le visuel était-il mis en ligne que les internautes se sont déchaînés à l’encontre de l’enseigne. Rien n’a été épargné à la marque : commentaires acerbes, parodies virulentes, piratages cinglants du logo et pour clore l’ensemble, accusations brutales de récupération marketing d’un événement tragique. La marque a retiré quelques heures plus tard le logo incriminé.

Du tact et de la pertinence

Newsjacking - PlaydohSi le newsjacking est incontestablement une technique habile pour faire parler de soi, il convient d’en faire usage avec tact et pertinence. Avant d’oser prendre la parole sur un sujet d’actualité donné, il faut déjà s’assurer de la légitimité de la marque pour le faire. Dans le cas des 3 Suisses, la démarche était inappropriée car trop connotée opportunisme commercial excessif en termes de perception. La marque aurait dû se contenter d’apposer le logo générique comme de nombreuses autres entreprises sans chercher à sortir à tout prix du lot.

Ensuite, le newsjacking ne doit pas être activé de manière répétitive et à la moindre actualité saillante. Lors de la naissance de la petite princesse Charlotte au Royaume-Uni, ce fut carrément l’overdose du côté des marques où chacune a tenté de tirer la couverture à soi en imaginant un visuel décalé. Résultat : une grande cacophonie où les marques n’ont finalement guère émergé et une lassitude à force de voir les mêmes ficelles utilisées par tout le monde. Pertinence du propos et rareté de l’irruption demeurent encore les meilleurs atouts d’un newsjacking réussi.

Billet initialement paru sur le blog Wellconnect



4 commentaires sur “Community management : jusqu’où peut-on raisonnablement recourir au newsjacking ?

  1. Caroline Fredon  - 

    La saturation est tout le problème de la communication. Trouver l’équilibre est délicat, on a vite fait de se retrouver à la traine ou au contraire d’être « la » goutte d’eau en trop! La tentation est grande pour les CM de s’engouffrer dans le moindre fait d’actualité. Il me semble que l’important est de rester fidèle à sa stratégie com, son angle. En sortir juste pour placer un bon mot, n’est pas pertinent, et surtout cela peut vite être contreproductif.

  2. Pascal Jappy  - 

    Salut Olivier,

    très intéressant, comme d’habitude. Le newsjacking fonctionne en grande partie sur l’effet de surprise et la qualité de « la blague ». Dès lors qu’il est utilisé comme recette systématique, il perd tout son intérêt. Ce n’est donc pas une pratique à systématiser. Les exemples que tu cites (Oreo, KitKat) sont particulièrement valides parce que les évènements détournés ont un rapport direct avec l’essence de la marque (dunk, break) alors que bien d’autres tentatives semblent tellement tirées par les cheveux et font passer leurs auteurs, au mieux, pour des suiveurs.

    Merci,
    Pascal

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