Drame de #Dropped : TF1 est-il vraiment sorti de la communication de crise ?

Lundi 9 mars, 10 personnes (dont 3 figures emblématiques du sport français) ont péri en Argentine dans le crash de deux hélicoptères en plein tournage du futur programme de télé-réalité baptisé Dropped. La société de production ALP et la chaîne TV commanditaire TF1 ont aussitôt dû faire face à une tourmente médiatique où l’émotion à fleur de peau s’est vite immiscée dans les débats d’opinion. Les deux protagonistes ont géré tambour battant une communication de crise périlleuse pour atténuer l’onde de choc. La première phase a préservé l’essentiel. Néanmoins, des enjeux de réputation plus complexes se profilent déjà. Retour sur les faits et mise en perspective.

L’émission de téléréalité Dropped s’annonçait comme un potentiel blockbuster pour TF1. Tout droit venu de Suède où il avait cartonné à double reprise en termes d’audience, ce concept inédit de jeu d’aventure met en scène des sportifs chevronnés largués en pleine nature en mode survie. Pour le premier volet de la déclinaison française, la chaîne leader et la société de production ALP avaient réuni un casting prometteur où se côtoyaient des champions patentés issus de différentes disciplines sportives. L’aventure a pourtant tourné court à cause d’un dramatique accident où trois personnalités du sport (et non des moindres) ont trouvé la mort. Devant l’émotion considérable, TF1 et ALP ont à nouveau dû monter en première ligne de la crise après avoir connu en 2013, un contexte similaire sur le jeu Koh-Lanta.

Et soudain, l’accident

Dropped - LequipeLa loi des séries est décidément redoutable. Il y a deux ans, les mêmes acteurs avaient traversé une crise profonde avec successivement le décès d’un participant sur une plage pendant le tournage du programme phare Koh Lanta, puis le suicide du médecin traumatisé par les mises en cause violentes dont il avait fait l’objet dans les médias. Vaille que vaille, TF1 et ALP étaient finalement parvenus à restaurer l’image de l’émission avec un nouvel opus sans failles en 2014 rassemblant la crème d’ex-aventuriers de Koh Lanta.

Dropped devait donc s’inscrire dans la continuité de ces programmes où défi humain extrême et performances sublimées forment les ressorts télévisuels fondamentaux tout en haussant de surcroît substantiellement le niveau d’exigence à l’égard des candidats. Cette fois, il s’agissait en effet de rallier un point donné au beau milieu d’une nature hostile sans vivres (hormis de l’eau), ni moyens techniques d’orientation. En choisissant des sportifs confirmés et pour beaucoup habitués aux épreuves physiques exigeantes (accompagnés de surcroît par un médecin spécialiste en survie), le risque semblait avoir été largement pondéré par le producteur et le commanditaire. C’était sans compter avec l’imprévisible accident où deux hélicoptères entrent en collision et provoquent la perte de 10 personnes dont trois stars adulées du public : la navigatrice Florence Arthaud, la nageuse Camille Muffat et le boxeur Alexis Vastine.

Un quasi sans-faute communicant

En communication de crise, l’accident est probablement un des pires cas de figure à devoir gérer. Par son essence même d’imprévisibilité, il oblige les protagonistes concernés à devoir aussitôt orchestrer une communication claire et active sans avoir forcément beaucoup d’éléments de réponse à fournir face aux multiples questionnements. Sitôt ayant appris la nouvelle tragique, TF1 et ALP ont constitué dans la nuit de lundi à mardi, une cellule de crise d’une dizaine de personnes (1). Sans doute fruit de l’expérience douloureuse de Koh Lanta, les deux sociétés ont rapidement pris la mesure du drame et dicté le tempo de la diffusion de la nouvelle en contactant les autorités de tutelle (CSA, quai d’Orsay, etc) et en émettant un sobre mais compassionnel communiqué de presse dès le petit jour en France.

En termes de prise de parole immédiate, l’option retenue a consisté à n’accorder qu’une interview radio à RTL (média le plus écouté en France) et France Info et distribuer une vidéo du PDG de TF1, Nonce Paolini aux chaînes info. Avantage de cette posture : nul ne peut mettre en doute la proactivité des premiers concernés tout en maintenant à correcte distance l’inexorable ballet médiatique qui s’ensuit systématiquement dans ce type de catastrophe.

Un début de polémique bien enrayé …

Dropped - BiolayPassée la période de sidération et de condoléances où chacun pleure les disparus, les premières attaques à fleurets mouchetés se sont alors déclenchées. Cà et là, les détracteurs de la téléréalité commencent à amalgamer Dropped et la course au toujours plus d’audience inhérente à ce genre de programme où racolage et voyeurisme affleurent plus ou moins régulièrement.

Parmi les contempteurs en pointe, l’avocat Jérémie Assous n’est pas le dernier à instiller un doute volontiers polémique. Connu pour avoir plaidé la cause de plusieurs anciens candidats de la téléréalité en bisbilles avec leur ex-employeur, il insinue rapidement que les assurances pourraient ne pas indemniser si des manquements graves sont constatés en termes de sécurité (2).

Là encore, la stratégie de communication calibrée de TF1 et ALP va parvenir à déminer le terrain et ne pas se laisser happer par le début de polémique que d’aucuns essaient d’activer. D’un côté, l’animateur de Koh Lanta, Denis Brogniart, est envoyé sur le plateau du Grand Journal de Canal + pour couper court à la controverse. Avec notamment une comparaison imparable en guise de défense : on n’arrête pas les Grand Prix de Formule 1 lorsqu’un pilote perd malheureusement la vie. Presque concomitamment, le PDG d’ALP, Franck Firmin-Guion témoigne au JT de 20 heures de … TF1. A son tour d’asséner un argument fort : devant la tragédie, l’émission Dropped ne verra jamais le jour. Ce qui démonte ainsi l’argument de ceux cherchant à attaquer sur le terrain du mercantilisme des émissions de téléréalité.

… malgré une boulette qui aurait pu faire mal

Dropped - Louis BodinAu cœur du drame, TF1 a pourtant connu une rude secousse réputationnelle. Dans le même JT de 20 heures, l’animateur du jeu Dropped, Louis Bodin apparaît à l’écran pour témoigner avec en arrière-plan les restes encore calcinés et fumants des deux hélicoptères écrasés. La collision heuristique de ces images incongrues déclenche alors une intense polémique sur les réseaux sociaux dont TF1 fait principalement les frais. Aussitôt, les internautes ressortent les images peu flatteuses qui collent aux basques de TF1 depuis des années, à savoir une chaîne commerciale à l’excès, volontiers voyeuriste et pas toujours regardante sur le niveau intellectuel de certaines de ses émissions.

Cette séquence contraindra la chaîne à réagir dès le lendemain par la voix de l’animateur lui-même sur RTL et celle de Catherine Nayl, directrice de l’information de TF1 sur Europe 1 où explications et excuses sont fournies sans chercher à barguigner. En parallèle, face à la pression médiatique qui se poursuit, notamment pour trouver les premières explications du crash, consigne est donnée aux autres participants du jeu Dropped de n’accorder aucune interview. Ce qui évite ainsi tout risque d’interprétations diverses ou de dérapages préjudiciables (notamment lorsqu’un coutumier du fait comme le patineur Philippe Candeloro fait partie du casting !).

Le plus dur commence

Dropped - tour TF1N’en déplaise à certaines bonnes âmes qui ont tenté d’exploiter la légitime émotion générée par l’accident pour clouer immédiatement au pilori le concept même de téléréalité, TF1 et ALP se sont plutôt bien sortis d’un guêpier médiatique où les motifs à controverse n’ont pas manqué. De plus, en annonçant d’emblée que Dropped est abandonné, aucun des deux ne peut être taxé de cynisme alors même que des budgets conséquents avaient pourtant déjà été engagés. La sanction du cours boursier a d’ailleurs été mineure puisque l’action TF1 n’a reculé au final que de 1,55% à la clôture de mardi 10 mars (3). Au final, TF1 (et dans une moindre mesure ALP) est parvenu à préserver sa réputation dans un contexte émotionnel où la recherche de bouc émissaire est un corollaire quasi automatique.

En revanche, TF1 et son partenaire ALP ne pourront guère faire l’économie de réflexions plus profondes pour les mois qui viennent. Même si le niveau crisique sera sûrement moindre en termes d’intensité, il demeurera fort. Deux échéances capitales vont relancer potentiellement le débat. La première concerne l’enquête judiciaire qui doit établir les causes du drame et les responsabilités incombant aux uns et aux autres. S’il s’avère que des anomalies graves sont imputables à la société de production (et par ricochet au commanditaire TF1), la crise repartira de plus belle avec cette fois des éléments factuels nettement plus délicats à gérer.

La seconde échéance a quant elle commencé à rebondir et à percoler dans le débat public. A nouveau, des voix s’élèvent pour dénoncer la téléréalité qui repousse toujours plus loin les limites pour gonfler l’audience TV. Une controverse qui peut amener les annonceurs, piliers clés de la rentabilité de ce type d’émission, à reconsidérer leurs investissements publicitaires. Accoler sa marque à un programme de téléréalité pourrait en effet devenir contre-productif. Pour TF1 et ALP, cela constituerait alors un manque à gagner certain. D’où la nécessite pour ces derniers de continuer à démontrer que téléréalité n’est pas inéluctablement synonyme de mort à force d’imaginer des concepts toujours plus audacieux. La communication de crise est loin d’être retombée !

Sources

– (1) – Caroline Sallé – « Dropped : Comment TF1 a fait face à la crise après celle de Koh Lanta » – Le Figaro – 11 mars 2015
– (2) – Daniel Psenny – « Téléréalité : la sécurité en question » – Le Monde – 11 mars 2015
– (3) – « Quel programme pour remplacer Dropped ? » – Le Point – 11 mars 2015

A lire par ailleurs

Interview de François Jost , professeur à la Sorbonne nouvelle, directeur du Centre d’étude sur les images et les sons médiatiques, et auteur d’ouvrages sur la télé-réalité – Le Monde – 11 mars 2015

Analyse exhaustive des conversations sur Twitter par Nicolas Vanderbiest – Blog Reputatio Lab



7 commentaires sur “Drame de #Dropped : TF1 est-il vraiment sorti de la communication de crise ?

  1. Colonel Klink  - 

    « …risque d’interprétations diverses ou de dérapages préjudiciables…Philippe Candeloro… »
    Philippe a quand même laissé tomber l’info comme quoi les disparus célèbres avaient les yeux bandés, ce qui met à mal la thèse d’un simple accident survenu dans le trajet vers la scène du lâcher de survivants.
    Il s’agit bien d’une mise en scène dramatisante, filmée grâce au deuxième hélico.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Je me contenterai pour ma part de faire grandement attention aux allégations de Candeloro. Je n’ai lu aucune info de ce type nulle part.

      D’autre part, le principe des yeux bandés faisait partie du scénario du programme. N’allons pas trop vite en besogne tant que l’enquête n’a rien révélé. Je sais que les théories conspirationnistes sont en pleine forme pour tout et n’importe quoi mais attention …

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