« Jeu d’Influences » : une simulation de com’ de crise à recommander dans toutes les écoles

Autant j’ai pu m’irriter vertement de l’image restrictive des communicants véhiculée par le documentaire « Jeu d’influences » diffusé récemment sur France 5, autant je suis nettement plus enthousiaste envers le jeu en ligne éponyme conçu par les auteurs du reportage. Sur la base d’un scénario de crise tout à fait plausible et bien articulé, l’internaute doit naviguer au cœur de la mécanique subtile de la communication de crise et prendre des décisions à la lumière des conseils distillés par le spin doctor de service. Résumé de mes impressions.

D’emblée, le jeu m’aura au moins enseigné un point. Pour n’avoir pas cédé aux injonctions manipulatoires à répétition de Patrick Luaud, un conseiller en communication sensible fictif, je me suis fait piteusement jeter au début du chapitre 5 (qui en compte 6) du scénario de crise en train de s’emballer. Le spin doctor m’exhortait à répandre une rumeur sur un ancien employé et à refuser de répondre à Mediapart. J’ai choisi les options inverses. Mal m’en a pris. J’ai perdu la partie et Mediapart a publié son enquête ravageuse pour la réputation de l’entreprise !

Un jeu totalement immersif

Jeu France 5 - Habinat bossPour qui veut s’exercer à vivre une situation de communication de crise dans la peau d’un décideur, l’expérience en ligne de « Jeu d’influences » est extrêmement bien conçue. La trame narrative est particulièrement crédible et incontestablement nourrie du bagage de journalistes d’investigations que sont Luc Hermann et Julien Goetz, les concepteurs de ce tutoriel interactif. Dans ce dernier, l’internaute incarne Louis Esmond, PDG de l’entreprise Habinat qui vient de commercialiser un béton écologique révolutionnaire remportant un vif succès sur le marché. Problème : l’ami et n°2 du PDG, ingénieur de son état et inventeur du béton, se suicide sans explication. Autre point critique : la directrice de la communication de l’entreprise n’est autre que l’épouse du défunt et devient de fait partie prenante. C’est donc le moment choisi pour faire entrer en scène le fameux spin doctor, Patrick Luaud.

Tout au long du jeu et des rebondissements qui interviennent, l’homme propose des actions à mener sur lesquelles le PDG doit rapidement se prononcer. En fonction des décisions prises, l’histoire évolue dans un sens ou dans un autre, débouchant à chaque fois sur de nouveaux éléments qui complexifient le dossier et requièrent de modifier la stratégie de communication empruntée. La construction narrative du jeu est finement élaborée. Même si quelques raccourcis simplifient parfois un peu prestement la réalité, ils ne nuisent pas pour autant à la qualité du déroulement de la partie.

Un jeu très pédagogique

Jeu France 5 - Image patronLe joueur dispose en outre d’une jauge qui évalue en permanence trois critères évolutifs au regard des choix effectués. Le premier est l’UBM (Unité de Bruit Médiatique) qui mesure la pression médiatique sur l’affaire en question. Plus on avance dans l’histoire, plus celle-ci se fait prégnante. Ensuite, il y a le critère « Confiance » qui indique l’état de vos rapports avec le spin doctor. Si jamais il ne croit plus en vous et les options inverses que vous retenez, vous êtes alors éliminé ! Enfin, le critère « Stress » définit votre état psychologique. En cas d’atteinte des 100%, vous devenez incohérent, sous tension et vous perdez la partie !

L’ensemble est régulièrement illustré par des petits commentaires explicatifs sur le fonctionnement des médias, l’intérêt d’allumer des contrefeux médiatiques, les intérêts des parties prenantes, etc. Des vidéos de témoignages viennent également rehausser le propos comme celle du journaliste Fabrice Arfi qui raconte l’affaire Cahuzac à travers le prisme de la bataille de communication entre l’ex-ministre et Mediapart ou encore d’Alberic Guigou, président et fondateur de Reputation Squad, qui parle du scandale de la viande de cheval et de l’association systématique faite par les médias avec la marque de surgelés Findus.

Autre mérite à souligner : l’inclusion des réseaux sociaux dans le scénario. A plusieurs reprises, l’usage de Twitter est par exemple sollicité pour communiquer une action du joueur. De même, des blogueurs révèlent à un moment donné de nouveaux éléments grâce à des données disponibles en Open Data sur le site d’une administration régionale. Au final, le joueur est confronté à diverses situations qui l’amènent à s’interroger et à réagir en fonction de sa perception des événements et ses propres convictions.

Une excellente introduction à la communication de crise

Jeu France 5 - carte spin doctorSi le rôle opéré par le spin doctor imaginaire est évidemment empreint d’un cynisme à toute épreuve et très proche de celui des témoins qu’on retrouve par ailleurs dans le documentaire de France 5, le jeu constitue en revanche une approche introductive très instructive pour se familiariser avec la communication de crise et son fonctionnement. Un point crucial est notamment très bien abordé dans ce scénario cauchemardesque : l’élément déclencheur de la crise, en l’occurrence le suicide de l’associé du PDG. Bien souvent, le traitement de la communication de crise se focalise uniquement sur cet élément déclencheur considéré comme étant la crise en elle-même, en oubliant qu’une crise ne surgit jamais par hasard et qu’elle est toujours le fruit d’un écosystème. Cette grave erreur d’appréciation conduit régulièrement certains communicants à bâtir à la hâte des diversions et des arguments bricolés, faute d’avoir appréhendé le caractère systémique d’une crise dont l’élément déclencheur n’est en fait que l’aboutissement final, la pointe émergée d’un iceberg bien plus délétère.

Dans le cas du jeu, on s’aperçoit en effet que la crise médiatique ne se réduit pas au suicide du bras droit du PDG. Celui-ci n’est en fait que la conséquence de multiples anomalies accumulées au fil du temps et occultées volontairement par le PDG et sa dircom. Pour ne pas dévoiler la substance narrative du jeu, je ne citerai pas nommément ces éléments. Néanmoins, à mesure que le jeu progresse, ces derniers remontent à la surface, viennent complexifier le puzzle et rendre compte d’une réalité bien peu en phase avec celle qui avait jusque-là servie aux médias et aux parties prenantes. C’est ce qui incite parfois certains à user du manipulatoire et de la cosmétique pour tenter de sortir de l’ornière qui se profile. Or, une communication de crise efficace et crédible est celle qui d’emblée intègre toutes les pièces du dossier et les personnalités des acteurs. Encore faut-il avoir le courage d’accepter de voir en face ce que d’aucuns se sont échinés à planquer sous le tapis des années durant.

Pour jouer

Rendez-vous sur le site dédié : http://jeu-d-influences.france5.fr/



9 commentaires sur “« Jeu d’Influences » : une simulation de com’ de crise à recommander dans toutes les écoles

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour
      Le jeu était en effet vraiment excellent et disponible à cette adresse : http://jeu-d-influences.france5.fr/
      Il semble malheureusement que France 5 l’ait retiré d’Internet. Il est vrai que le scénario a quelque peu vieilli. Pour l’avoir utilisé dans le cadre d’interventions en écoles, la dimension réseaux sociaux est trop peu présente. Espérons qu’un serious game du même genre et remis à jour, soit prochainement disponible.

  1. Violaine  - 

    Bonjour Olivier,
    J’ai joué 2 fois au jeu. Je trouve que ce jeu a le mérite d’exister en effet. Il est excellent comme inititiation et les videos et divers goodies sont tres bien fait.
    Par contre pour y avoir joué 2 fois et y avoir appliqué mes talents de testeuse, je peux dire 2choses :
    1/En suivant absolument tous les conseils du spin doctor et en conservant de tres bons scores sur toutes les jauges, on finit tout de même par avoir la phrase « j’ai perdu confiance en vous » de la part du spin doctor.
    phrase incomprehensible au vu de l’attitude adoptée justement de totale confiance.
    2/en y rejouant et en essayant de ne pas suivre parfois les conseils, le scenario est le meme.

    Ce qui me pousse à en deduire qu’il n’y a qu’un seul et unique scenario avec de legeres variantes pour que les jauges bougent differemment.

    Bref, dommage qu’on ne puisse pas là encore interagir avec les createurs de ce jeu pour leur suggerer des ameliorations.

    Voili voilou

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Violaine pour ce feedback complet …

      C’est effectivement dommage que la conception du jeu finisse en fait par déboucher systématiquement sur la même conclusion, à savoir qu’on écoute ou pas le spin doctor, on finit en vrille ! Des variantes auraient été en effet souhaitables mais peut-être est-ce lié à un manque de temps pour le développement du jeu ? Introduire des variables nécessite en effet une complexification de l’arbre décisionnel sur un plan technique.

      Il n’en demeure pas moins que sur l’aspect pédagogique, plusieurs conclusions seraient souhaitables !

  2. François  - 

    Bonjour et merci de m’avoir fait découvrir cette simulation.

    Suivant le blog d’assez loin depuis facebook, je ne suis pas particulièrement expert en communication. Cependant, je pense être la cible parfaite pour ce jeu puisque, n’ayant pas d’a priori sur la question, le conseiller m’était indispensable.

    J’ai tenu bon sur certains points (ne pas impliquer Nadia) et j’ai suivi sur d’autres (diluer l’attention en lançant certaines rumeurs). Je suis arrivé à l’étape 6 où j’ai perdu le support de mon conseiller en lui avouant tout les rouages de l’histoire. Mon scénario se termine par des aveux au 20H de France 2 tout en épargnant mes « complices ». J’ai donc fini en prison pour quelques mois mais les personnes que j’ai préservées (la région notamment) ont permis à l’entreprise de rebondir. Mitigé donc.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour François

      Merci beaucoup pour nous faire partager très ouvertement le parcours accompli dans le jeu ! J’aime bien votre conclusion .. La leçon de tout cela est encore d’éviter que des motifs de crise ne s’accumulent au fil du temps … Ce n’est pas quand la crise éclate qu’on peut rectifier le cours de l’histoire. On peut éventuellement estomper, mitiger comme vous dites mais rarement s’en tirer sans dégâts et reniements .. Alors qu’en traitant les problèmes dès qu’ils se présentent, sans fard et sans manoeuvre dilatoire, on préserve largement l’avenir et on évite de recourir à cette com’ cosmétique dont le mascara finit toujours par se craqueler !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Corinne

      J’avoue que j’ai un peu laissé faire le spin doctor au début car je voulais justement voir où il allait m’emmener ! Mais au 5ème chapitre, j’ai craqué lorsqu’il a demandé de répandre une vilaine rumeur sur un employé, j’ai dit non et me suis fait bouler 🙂 ! En tout cas joli jeu instructif

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