La communication digitale a-t-elle ringardisé la plateforme de marque ?

En démultipliant les lieux d’expression et les acteurs qui prennent la parole au sujet d’une marque, le Web social a complètement chamboulé les codes identitaires qu’une plateforme de marque est précisément censée formaliser et véhiculer. Longtemps boussole très prisée des communicants et des marketeurs pour disposer d’un document de référence synthétisant l’ADN et la tonalité d’une marque au travers de quelques points saillants, l’outil a-t-il encore sa raison d’être dans un univers où chacun entend faire valoir sa perception envers une marque ? Cette question cruciale fut l’objet d’une passionnante table ronde sous l’égide de l’Institut de la Qualité de l’Expression le 23 mai dernier à Paris. Résumé des points clés évoqués par les quatre oratrices réunies pour la circonstance.

Auteur d’un livre paru l’an passé sur « Le langage, l’entreprise et le digital », Jeanne Bordeau travaille et décortique depuis de très nombreuses années l’évolution du langage qu’entreprises et marques adoptent pour communiquer auprès de leurs publics. C’est elle qui est à l’origine de ce débat autour de la plateforme de marque à l’heure du digital. Elle s’en explique : « La plateforme de marque reste, pour les communicants, un outil identitaire clé, un socle référent. Or, le digital la bouscule, la transforme. Comment se relie-t-elle désormais aux RH et la marque employeur, à la RSE, aux réseaux sociaux ? Quelle est la place du langage dans la plateforme de marque ? Les valeurs ont-elles toujours leur raison d’être ? Doit-elle embrasser tous les temps d’expression de la marque ? ». Autant d’interrogations qu’elle a confrontées avec trois autres expertes : Stéphanie Mundulbetz-Gendron, rédactrice en chef de l’Usine digitale, Géraldine Michel, directrice de la chaire Marques & Valeurs de l’IAE Paris et Pauline Dollé-Labbé, directrice de la marque et du marketing cross-canal de la FNAC.

La plateforme de marque a éclaté mais …

plateforme-de-marque - BonhommeIl serait vain de nier que la plateforme de marque classique a nettement pris un coup de vieux avec l’essor des médias sociaux et de la multiplication des personnes qui s’expriment sur une marque. Auparavant, les choses étaient effectivement un peu plus simples d’autant que la communication d’une marque était prioritairement descendante et unilatérale.

Autrement dit, la plateforme de marque visait essentiellement à cerner les valeurs intrinsèques de la marque, les missions qu’elle incarnait, la ligne éditoriale et la tonalité des messages émis et les publics visés. Avec en principe le souci de se différencier des concurrents, de susciter de l’émotion, de l’intérêt et de l’adhésion envers les communautés constituant l’écosystème de la marque.

Seulement voilà ! Les génomes d’une marque ne sont plus désormais l’apanage exclusif des communicants et des marketeurs. Pour Jeanne Bordeau, c’est une évidence : « La plateforme de marque a éclaté. Le temps du déclaratif hyper calibré a vécu. Mais cela ne signifie pas pour autant que la plateforme de marque est à ranger aux oubliettes. La nécessité de cohérence est toujours là. Simplement, il faut dorénavant harmoniser (mais pas homogénéiser) l’essence identitaire de la marque dans un espace conversationnel parfois dense et fluctuant ». Pour la fondatrice et présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression, le langage est encore plus un levier stratégique crucial dans un contexte où n’importe qui est susceptible de prendre la parole. Et citer l’idoine citation de Victor Hugo : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » !

La preuve, cette nouvelle exigence de la plateforme

plateforme marque - michel-et-augustin-gamme1Or si ce travail introspectif que la plateforme de marque engendre systématiquement n’est pas effectué, le risque de dilution ou d’expression chaotique de la marque en devient d’autant plus probable et à terme inaudible auprès des publics visés. On le voit donc, la plateforme de marque demeure une pierre angulaire fondamentale mais dont le champ d’action s’est quelque peu déplacé. Il s’agit désormais de s’appuyer sur une plateforme de marque qui s’emploie toujours à cerner les attributs propres mais à également les inscrire dans un registre conversationnel où la marque se raconte tout en dialoguant avec ses parties prenantes. Pour cela, il faut s’appuyer sur la culture de l’entreprise, ses valeurs, ses missions et son identité sémantique. Jusque-là, rien de nouveau. En revanche, la narration qui va ensuite en découler est aujourd’hui challengée. L’exigence de la preuve et la volonté de concret des différents publics sont des tendances qui titillent la plateforme de marque.

En d’autres termes, les communautés ne se contentent plus d’un beau langage ordonnancé (même si elles continuent d’apprécier au demeurant les marques qui savent émerger du lot, décorseter le langage et faire preuve de créativité). Parce qu’elles commentent maintenant elles-mêmes de leur vision de la marque, elles entendent disposer d’éléments qui justifient et incarnent la plateforme de marque. Stéphanie Mundulbetz-Gendron, rédactrice en chef de l’Usine digitale, cite par exemple le cas de la marque Michel & Augustin qui se revendique comme une marque collaborative. Résultat : les consommateurs fans peuvent se rendre à la Bananeraie, siège de la marque, pour participer à l’élaboration de nouvelles recettes. Autre cas évoqué : l’industrie alimentaire Fleury Michon qui a fait de la transparence de la production de ses produits, une vertu cardinale de sa plateforme. Depuis 2 ans, la marque a créé une opération récurrente sous le hashtag #VenezVérifier où des clients, des blogueurs sont invités sur place à constater comment le poisson composant le surimi est pêché puis transformé.

Apporter en plus du sens et des repères

Plateforme - sloganDirectrice de la chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris, Géraldine Michel abonde dans le sens des observations qui ont été formulées. A ses yeux, la plateforme de marque reste évidemment un socle incontournable d’identification et de différentiation. De même que la marque doit être en mesure d’apporter et de nourrir les éléments tangibles de ce qu’elle prétend être et faire. Mais l’universitaire qui étudie et passe au crible les marques et leurs stratégies de communication depuis des années, fait remarquer qu’une autre dimension a également investi la plateforme de marque : celle de « donner du sens » à long terme et pas seulement sur l’aspect de la performance économique mais aussi sur des angles sociétaux et environnementaux. Pour elle, la marque doit faire preuve de conviction, véhiculer une vision et susciter des émotions en couplant l’être avec le faire : « A l’heure actuelle, une marque parle à deux personnes en une. Il y a le consommateur acheteur qui est en recherche d’utilité et il y a le consommateur citoyen pour qui la marque doit être vecteur de sens ». C’est précisément là où la plateforme de marque, en plus de ses fonctions premières, doit définir les espaces où elle prend la parole et comment elle le raconte.

« Ceci sans jamais perdre de vue la cohérence entre l’être et le faire de la marque » insiste Géraldine Michel. Cette dernière prend l’exemple de la marque Benetton qui s’est progressivement perdue en cours de route. A force de vouloir être une marque disruptive, provocatrice, elle s’est éloignée de ce qui est pourtant sa vocation initiale : fabriquer des vêtements aux couleurs vives et plaisantes. Désormais, la marque travaille à réconcilier les deux dimensions tout en s’efforçant de garder ce qui a toujours nourri sa spécificité. « Nous sommes dans l’ère de la marque vivante où l’interne de l’entreprise doit être en mesure de se l’approprier et même de la raconter (NDLR : d’où la croissance exponentielle des programmes de salariés ambassadeurs) et où les publics externes entretiennent une polysémie de la marque. Dans cette optique, il est plus que jamais nécessaire de savoir qui l’on est tout en cultivant un ADN dynamique et créatif » ponctue Géraldine Michel.

Converser et incarner plutôt qu’imposer

Plateforme - FNAC DartyCe caractère mouvant des choses, la FNAC l’a précisément expérimenté lorsque le rapprochement avec l’enseigne Darty a été entériné durant l’été 2016. Le défi était en effet énorme. Comment désormais faire coexister deux marques patrimoniales puissantes de manière cohérente mais sans perdre les singularités de chacune d’entre elles. Là encore, la plateforme de marque s’est avérée être un levier majeur selon Pauline Dollé-Labbé, directrice de la marque et du marketing cross-canal de la FNAC : « Nous sommes partis de la raison d’être, nous avons fait un travail historique avec le concours d’un sémiologue pour ensuite identifier des marqueurs émotionnels propres aux deux marques ». Avec également le souci d’adjoindre des éléments de preuve à ces derniers comme par exemple le Labo FNAC ou le service Darty. Et Pauline Dollé-Labbé de préciser : « A condition aussi de savoir les faire connaître. C’est capital de disposer des éléments mais notre interne comme nos clients doivent les connaître et les raconter et commenter à leur tour ».

Au final, on s’aperçoit que la plateforme de marque est loin d’être devenue un outil « has been ». Bien au contraire. Dans un univers où dorénavant les lieux d’expression se croisent, se superposent ou s’entrechoquent, il est encore plus fondamental pour la marque de posséder une vision claire et tangible. C’est surtout le périmètre qu’englobe la plateforme de marque qui s’est déplacé comme le précise Jeanne Bordeau : « On ne se situe plus dans le registre de l’autorité mais dans celui de la conversation avec un langage adapté, un héritage de marque qui donne du sens tout en sachant évoluer ». Autrement dit, on a dépassé le stade de la pure image de marque (à savoir la perception idéale que celle-ci veut imposer à ses publics) pour atteindre celui du langage de marque où la narration contribue à faire vivre la marque et l’incarner concrètement.



2 commentaires sur “La communication digitale a-t-elle ringardisé la plateforme de marque ?

  1. Chob  - 

    Merci Olivier pour ce compte-rendu.

    Finalement, la plateforme de marque reste fondamentale. Le seul changement introduit par le digital est une exigence renforcée de cohérence et de transparence. La mission, les valeurs, la promesse doivent être vécues non seulement par les collaborateurs de la marque, mais également par les consommateurs-citoyens. La plateforme de marque se réévalue et évolue au fil des conversations et des interactions entre la marque et ses parties prenantes. Un joli défi que ce rééquilibre des pouvoirs !

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