Lettre ouverte à Ismaël Emelien : “Les bonnes idées en communication ne tombent pas du ciel !”

Il fallait oser. Il a osé. Certes un peu gêné aux entournures face au pugnace journaliste, Patrick Cohen, l’ancien conseiller en communication d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien a fini par dire à demi-mot qu’il avait eu recours à des comptes anonymes sur Twitter pour orchestrer la contre-offensive médiatique dans l’embarrassante affaire Benalla. Sans parler de l’usage illégal d’une vidéo et d’une autre bricolée. À 32 ans, celui qui se concevait comme le “premier de cordée” d’une communication présidentielle en rupture avec l’ancien monde, n’est finalement qu’un petit barbouzard digital. Les communicants professionnels ne lui disent pas merci.

Je suis encore scotché devant tant d’inconséquence. L’entretien ubuesque entre Patrick Cohen et Ismaël Emelien dans l’émission “C à vous” de France du 28 mars, m’a laissé les bras ballants. Lui qu’on a si souvent présenté comme le cerveau créatif de la communication d’Emmanuel Macron, va désormais avec ses errements numériques, donner de l’eau au moulin de celles et ceux qui morigènent à longueur de temps les communicants. “Poisons de la démocratie” pour Edwy Plenel, “enfumeurs” pour Elise Lucet et d’autres encore, on ne peut effectivement pas dire que les fumeuses idées du diplômé de Sciences-Po vont redorer la réputation du métier.

Emelien, ce communicant nouvelle génération

On allait voir ce qu’on allait voir avec l’arrivée d’Ismaël Emelien dans la garde rapprochée de celui qui n’était pas encore président de la République. Qu’importe si cet ex-directeur des études de l’agence de communication Havas se soit un temps égaré comme conseil en communication du démocrate patenté Nicolas Maduro durant sa campagne présidentielle de 2013 au Vénézuela. Avec l’intronisation de ce cerveau stratège qui théorisait et cultivait avec délice son rôle de spin doctor de l’ombre, la communication politique allait prendre une autre coloration et renvoyer aux livres d’histoire, les Jacques Pilhan et consorts. Autant la conquête du pouvoir avec la création du mouvement “grassroots” d’En Marche fut un incontestable succès, autant l’exercice du pouvoir a détraqué la machine à communiquer dont Ismaël Emelien tenait les manettes jusqu’en février dernier. Un départ qu’il a pourtant placé sous le signe de l’éthique pour opérer la promotion lessivière de son essai politique avec David Amiel (1) : “Par éthique personnelle, je me suis astreint en tant que conseiller spécial du président à un silence absolu qui n’est pas compatible avec la parution d’un tel ouvrage« .

Qu’on se le dise. Ismaël Emelien n’est en rien un communicant talentueux. Dès le départ, il a mis le nouvellement élu président de la République dans une posture médiatique improbable. Epris qu’il était de la communication à la sauce Justin Trudeau et Barack Obama, il a fait d’Emmanuel Macron successivement un pilote de chasse Top Gun puis un sous-marinier et on en passe des vertes et des pas mûres dans cette communication de Playmobil. Certes, ce n’est pas le premier chef d’Etat à être mis en scène de la sorte. Mais ne pas comprendre que les ficelles du marketing politique nord-américain ne fonctionnent pas culturellement en France, relève de la faute professionnelle. Dommage car le premier coup de com’ qui avait inauguré la présidence avec “Make Our Planet Greater Again” constituait une belle réussite. Sauf que la com’, c’est un peu comme la confiture. Cela ne s’étale pas partout. Et pas tout le temps. Ca finit par tirer au coeur.

Des boulettes et des boulets

Sous la houlette d’Ismaël Emelien, que de boulettes commises pourtant. Tout a commencé très vite avec l’ostracisation et le contingentement des journalistes accrédités de l’Elysée. Quelle mouche avait donc piqué Emelien et son staff pour d’entrée se mettre à dos la communauté journalistique  ? Etait-ce à ce point stratégique de vouloir contrôler à tout prix les plumitifs du Palais ? Le résultat ne s’est en tout cas pas fait attendre. La presse s’est rebellée et les relations se sont vite placées sous le signe de la défiance et de la tension. Pas très malin, ni optimal pour inaugurer un mandat présidentiel dont l’ambition réformatrice n’a pas besoin d’une presse bordurée de cette manière.

Ensuite, un vrai communicant est un individu en prise permanente avec l’air du temps. Quelqu’un qui renifle les tendances et qui contextualise mais pas seulement à coups de sondages depuis sa tour d’ivoire. Si Ismaël Emelien avait un peu plus souvent mis les pieds dans la gadou campagnarde, les périphéries urbaines mornes et les déserts médicaux, il n’aurait certainement pas eu l’idée de la vidéo du “pognon de dingue”(2). C’est lui qui a suggéré cette hallucinante initiative en essayant en plus de faire passer cette bricole hors de propos pour un petit film spontané fidèlement relayé par la factotum de Sibeth N’Diaye. Conséquence : des polémiques outrées et improductives qui n’ont fait qu’enfoncer Emmanuel Macron dans une tenace image de président des riches et des banques. Du bel ouvrage pour quelqu’un qui se pense comme un génie inspiré au service d’un programme politique.

Des égarements inacceptables

Mais soyons fair-play ! Des erreurs, tous les communicants en commettent même si oeuvrer à l’Elysée procure moins de jokers qu’en entreprise ou en institution. Les enjeux sont énormes et multiples, la pression maximale et permanente. En revanche, pourquoi succomber à la grosse ficelle manipulatoire ? On savait l’équipe officielle de la communication digitale pas toujours très fine dans ses ripostes avec notamment la Team Macron qui par exemple, relaye allègrement une fake news en décembre 2018. L’histoire ? Le nom de domaine giletsjaunes.com aurait été acheté aux USA une semaine après l’élection d’Emmanuel Macron. Du bon gros complot qui tâche et que moult députés LREM vont tweeter.

Le pire est pourtant dans le recours à des comptes militants anonymes qui se veulent en façade neutres. Ce sont les journalistes du Monde, Ariane Chemin et Samuel Laurent, qui viennent de le révéler (3). Animé en coulisses par le responsable du pôle e-influence d’En Marche, Pierre Le Texier, le profil Twitter @frenchpolitic (disparu depuis) a été partie prenante dans la stratégie de communication de crise gérée par Ismaël Emelien durant l’affaire Benalla. Il a servi à diffuser anonymement sur les réseaux sociaux une vidéo obtenue illégalement et à laquelle ont été ajoutées des images d’une autre scène n’ayant rien à voir avec le reste.

D’où l’interview croquignolette de Patrick Cohen qui interpelle le conseiller de l’Elysée sur le sujet (4) : “Vous avez fait diffuser ces documents par des comptes anonymes sur Twitter (..) Les réseaux sociaux, des fois, c’est bien, des fois, c’est pas bien ?« . Et Emelien de répondre (5) : “Sur Twitter, c’est un peu la règle« . Sous-entendu : tout le monde fait de l’anonymat dans sa stratégie de communication sur les médias sociaux. Carton rouge, monsieur l’ex-conseiller dorénavant reconverti en grand penseur de la société française ! Vos pratiques sont délétères, malhonnêtes et insultantes pour celles et ceux qui ont une éthique et qui, malgré les clichés éculés qui circulent sur la profession de communicant, emploient des méthodes propres et carrées. Les idées intelligentes ne tombent pas du ciel, M. Emelien !

Sources



4 commentaires sur “Lettre ouverte à Ismaël Emelien : “Les bonnes idées en communication ne tombent pas du ciel !”

  1. Alexandre Pauly  - 

    D’un certain côté, je veux pas son boulot. Macron va si loin dans les ordonnances ordolibérales qu’il nous fait regretter Hollande et Sarkozy. Alors, gérer la communication du roitelet et ses politiques, ça doit être l’enfer.

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