Newsroom & marques : Attention à ne pas tuer dans l’œuf une idée prometteuse

Les lecteurs de la presse marketing et communication auront sans doute noté qu’il règne ces temps-ci une forte appétence de « newsroom ». Directement inspiré des salles de rédaction des médias classiques, ce concept est en train de devenir le nouveau buzzword du moment, y compris en France où des marques sont déjà actives sur ce terrain. Si l’idée recèle un indéniable potentiel, il convient pourtant de prévenir l’overdose au risque sinon d’effets délétères non négligeables. Explications.

Que d’encre n’aura-t-il pas fait couler ce fameux tweet d’Oreo balancé un soir de finale de Super Bowl en février 2013 ! Alors que le stade est plongé dans la pénombre à cause d’une panne d’électricité, plusieurs marques ont l’idée de rebondir immédiatement sur la situation pour parler avec leurs cibles consommateurs. Mais c’est incontestablement le biscuit chocolaté qui l’emporte haut la main avec un tweet humoristique partagé plus de 15 000 fois au point de susciter plus de 525 millions de citations sur Internet (1). Un sacré jackpot lorsqu’on sait qu’un spot TV en plein Super Bowl coûte 3,8 millions de dollars mais également un net coup de projecteur sur une tendance émergente dont le Blog du Communicant vous avait déjà entretenu en mai 2013 : la « brand newsroom » comme outil de conversation avec ses publics.

Moi aussi, je veux une newsroom

Le fameux tweet Oreo pendant le Super Bowl 2013

Le fameux tweet Oreo pendant le Super Bowl 2013

Dans un paysage médiatique de plus en plus saturé et bombardé de contenus, marques et entreprises doivent inlassablement ferrailler pour capter et conserver l’attention et la préférence de leurs cibles. Depuis que les réseaux sociaux se sont incrustés dans le quotidien des clients et des consommateurs, l’équation communicante s’est substantiellement complexifiée.

Fini le bon vieux spot TV diffusé en masse pendant les grosses émissions de divertissement ou les événements sportifs d’envergure. Ce dernier ne suffit plus à faire émerger une marque ou une entreprise dans un environnement où les stimuli informationnels essaiment à tout va. Non seulement, il est dur d’accrocher l’attention d’un individu mais encore plus de la maintenir tant l’éphémère est devenu le diapason du cycle médiatique.

C’est dans ce contexte hyper-concurrentiel que sont nés les concepts de « brand newsroom » et de « real time content management ». Plutôt que de s’échiner à polir des messages que plus personne ne remarque dans le brouhaha ambiant, il s’agit désormais d’être à l’affût de l’air du temps et de saisir la bonne vague éditoriale comme un surfer guette the « Big One ». C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, plusieurs acteurs se sont structurés en mode « newsroom » à l’instar des rédactions de journalistes qui scrutent en permanence le fil mouvant de l’actualité. Objectif : parvenir à s’immiscer en temps réel dans l’univers des internautes grâce à des contenus imaginatifs s’appuyant sur les centres d’intérêt du moment. Le coup de génie d’Oreo pendant le Super Bowl 2013 a évidemment aiguisé les esprits et les convoitises !

La newsroom a la cote aux J.O

Sens du timing pour Curly pendant les J.O

Sens du timing pour Curly pendant les J.O

La finale 2014 du Super Bowl n’a fait que confirmer la tendance pour laquelle Matthew Hook, directeur général de Carat UK prédit un avenir brillant (2) « D’ici la prochaine décennie, les marques globales vont recourir à des newsrooms évolutives pour rivaliser d’estime, particulièrement autour de moments culturels uniques comme le Super Bowl ou l’imminente Coupe du Monde de football ».

La prédiction s’est en effet vite matérialisée lors des récents Jeux Olympiques de Sotchi. Curly, une marque de biscuits apéritifs salés, s’est notamment distinguée en tweetant un habile message de consolation à l’intention du biathlète français Martin Fourcade qui venait de rater la médaille d’or pour 3 petits centimètres d’écart concédés à son adversaire sur la ligne d’arrivée. La marque a alors rebondi sur les 3 centimètres que mesure précisément un biscuit Curly !

Cette capacité à « kidnapper » l’actualité pour faire des traits d’humour ou autres messages instantanés met aujourd’hui les cerveaux des marketeurs et des communicants en ébullition. Face à un paysage digital qui a tendance à se dérober sous leurs pieds, la « brand newsroom » semble arriver à point nommé comme une martingale géniale qui rattrapera enfin ces infidèles de consommateurs zappeurs et parfois râleurs. En France, la marque automobile Nissan s’est lancée dans le grand bain de la discussion numérique en temps réel depuis fin 2013. Olivier Pierini, directeur marketing & communication, explique sa démarche (3) : « Pour accompagner le lancement du nouveau Nissan Qashqai, nous voulions une stratégie d’engagement sur les médias sociaux qui nous permettrait de répondre de manière créative à l’inattendu et garder la marque dans le présent ».

Dans cette optique, Nissan a confié à l’agence Digitas LBI (groupe Publicis) le soin de passer en permanence le Web social au crible pour repérer les bons sujets qui pourraient ensuite faire l’objet d’un message prestement concocté. Résultat : lorsqu’à l’orée des J.O d’hiver, la célèbre équipe jamaïcaine de bobsleigh connue sous le surnom de Rasta Rockett annonce son retour après 26 ans d’absence, les socionautes s’emballent avec passion. C’est le moment idoine que choisit Nissan pour émettre le tweet suivant (4) : « Retour de #RastaRockett. Besoin d’aide pour la descente ? Contrôle actif de la trajectoire sur le Nissan Qashqai nouvelle génération ». Avec un taux d’engagement plutôt satisfaisant au final.

Attention à l’overdose de contenus

Newsroom - InfobesityNul n’est besoin d’être grand clerc pour deviner que ces expériences digitales séduisantes vont inéluctablement pousser d’autres marques et entreprises à embrayer illico pour se mêler en temps réel aux bavardages qui occupent le Web social. Mais ce qui s’apparente aujourd’hui un peu trop rapidement comme l’outil miracle 2.0 pourrait vite tourner au désastre réputationnel et budgétaire (une newsroom digne de ce nom requiert des moyens humains et financiers) si l’on s’adonne à tout va à ce petit jeu de la courte échelle numérique.

Faut-il encore une fois rappeler que les internautes ont des attentes bien précises à l’égard des marques et des entreprises. Etude après étude, il s’avère que ceux-ci veulent avant tout et en priorité des informations utiles et des réponses concrètes à leurs questions. S’ils ne sont forcément contre des promotions ludiques ou des clins d’œil humoristiques dont les marques restent friandes, la clé de leur engagement durable réside moins sur ces aspects que sur les premières exigences évoquées. Or, à vouloir calquer la communication d’une marque sur les soubresauts de l’actualité, le risque est grand de passer totalement à côté des véritables attentes, voire de saouler jusqu’à l’excès par trop de messages à répétition sur tout et n’importe quoi. La vocation première d’une marque n’est pas de commenter l’actualité d’un événement.

Fondatrice de l’Institut de la Qualité de l’Expression, Jeanne Bordeau avertit sans ambages sur ce piège amplifié par l’irruption du digital dans les stratégies de communication : la propension à inonder de messages, parler à tout propos pour occuper le terrain et espérer exister dans le brouhaha linguistique charrié au fil des pages Web, des tweets, des partages. Cette illusion doit être battue en brèche d’après elle. L’enjeu n’est pas de s’aligner dans une compétition verbale où chacun dégaine les mots plus vite que l’autre : « Le Net n’est pas un prétexte pour sur-communiquer mais offre le privilège de mettre en musique et de synchroniser les contenus au diapason de l’entreprise, personne morale possédant des valeurs ou des traits de personnalité qu’il faudra savoir irriguer dans tous les registres de langages déployés ». Une posture que l’on pourrait résumer avec la formule suivante : le bon message au bon moment avec le bon contenu à la bonne personne. Une simplicité biblique pourtant trop régulièrement perdue de vue par les bavards et les obsédés du bruit médiatique qui frisent l’overdose.

N’est pas légitime qui veut !

La newsroom de Virgin Mobile intervient sur un territoire légitime et ne cherche pas à en sortir

La newsroom de Virgin Mobile intervient sur un territoire légitime et ne cherche pas à en sortir

A ce risque patent de cacophonie verbale qui aura infailliblement le don d’agacer prodigieusement les internautes, émerge également une autre embûche et non des moindres : celle de prendre la parole sur des sujets où la marque n’est pas légitime ou n’a rien de spécifique à dire. S’il apparaît évident que l’entreprise est indubitablement amenée à devenir son propre média dans les années qui viennent, ce n’est pas forcément pour se substituer aux médias traditionnels mais plutôt pour informer sur les terrains où elle est prioritairement attendue par ses publics.

Dans la frénésie actuelle d’aucuns qui vantent à tour de bras la « brand newsroom » comme le viatique imparable pour se construire une réputation en béton, il convient de moduler les discours. La « newsroom » n’a de sens que si elle s’applique à effectivement éditer du contenu en rapport avec les interrogations du corps sociétal sur les domaines où opère la marque ou l’entreprise. En revanche, voir ces derniers débouler en permanence en fonction des gros titres de l’actualité n’a aucun sens, ni aucune légitimité. A moins d’un engagement avéré et concret sur telle ou telle cause, jongler avec l’air du temps revient surtout à brasser de l’air pour rien. Qu’un gâteau apéritif fasse très ponctuellement un clin d’œil rigolo pour faire le buzz n’est pas gênant en soi. En revanche, cela le devient lorsqu’on s’abandonne à une systématisation à outrance.

Aujourd’hui, la ficelle fonctionne à peu près du fait du faible nombre d’acteurs impliqués dans une démarche éditoriale de « newsroom ». Mais qu’en sera-t-il le jour où chacun va se mettre à cancaner à tire larigot ? Il est vraiment impératif que les communicants et marketeurs prennent conscience qu’un outil, si prometteur soit-il, ne constitue pas une stratégie à lui seul. Que les marques et entreprises doivent prendre plus souvent la parole est une évidence mais pas sur des sujets périphériques occultant ou contournant les attentes de fond des socionautes. Ne dévoyons pas cette belle idée qu’est la « newsroom » en la transformant en lessiveuse à contenus en mode essorage !

Sources

– (1) – Cathy Leitus – « La conversation en temps réel » – Stratégies – 20 février 2014
– (2) – Matthew Hook – « Super Bowl 2014 and the rise of the social newsroom » – Media Week – 5 février 2014
– (3) – Cathy Leitus – « La conversation en temps réel » – Stratégies – 20 février 2014
– (4) – Eric le Braz – « Offrez une newsroom à votre marque » – Management – Mars 2014

A lire en complément

– « Une marque ou une entreprise peut-elle devenir un média à part entière ? » – Le Blog du Communicant – 1er mai 2013
– « La creative newsroom : doux rêve ou réel défi pour les marques et les dircoms ? » – The Brand News Blog – 8 septembre 2013
– « La newsroom veut remplacer les communiqués de presse » – Le weblog de Philippe Heymann – 27 février 2014
– « State of the online newsrooms for the world’s 100 top brands » – Faves + Co – 26 février 2013
– Slideshow « How to build a successful newsroom » – Contently – 

 



2 commentaires sur “Newsroom & marques : Attention à ne pas tuer dans l’œuf une idée prometteuse

  1. Pascal Jappy  - 

    Salut Olivier,

    super sujet ! Je pense que tu seras le premier à concéder que la « ficelle » que tu décris n’est pas une vraie newsroom au sens journalistique du terme.

    Utiliser une newsroom pour rebondir de manière opportuniste sur un épi-phénomène ne présente aucun intérêt. Aucun média digne de ce nom ne survivrait économiquement à ce type de non-stratégie et aucune entreprise n’en tirera profit. L’exemple Nissan / Digitas LBI que tu cites, même s’il présente l’immense intérêt de scanner proactivement le web pour identifier des opportunités de prises de parole plutôt que réactivement pour détecter au sonar les échos de ses propres message (comme c’est traditionnellement le cas en veille RP) n’aboutit finalement sur rien de plus qu’une forme glorifiée de pub contextuelle. Difficile de parler d’engagement dans ce cas.

    Une newsroom sert essentiellement le journalisme de marque, partant du constat que personne n’est mieux placé aujourd’hui pour décrire la vie, les valeurs, l’identité d’une entreprise que l’entreprise elle-même et que personne ne connait mieux les publics ciblés pour leur apporter les informations (ou le divertissement) qu’ils recherchent afin de s’insérer légitimement dans leurs conversations et occuper une place de choix dans leur parcours d’achat. Ceci demande une rigueur éditoriale et un outillage technologique de haut vol et – surtout – la volonté de changer son approche top-down de masse en un échange qui n’a plus rien de publicitaire. Oreo a fait date mais c’est un coup d’éclat qui ne peut justifier un objectif stratégique auprès des autres marques.

    Au final, lorsque les marques comprendront que la qualité de leur publication l’emporte très largement sur le volume la cacophonie redoutée n’aura pas lieu. Lorsque les nouveaux marketeurs (ceux qui comprennent la valeur de se rendre utile plutôt que de se mettre en avant) discutent avec de bons rédacteurs/éditeurs/curateurs les vraies newsrooms fleurissent comme autant de mini médias ultra ciblés et aussi profitables aux marques qu’aux publics dont elles convoitent l’attention.

    @PascalJappy

    1. Olivier Cimelière  - 

      Salut Pascal

      Je partage totalement ton analyse ! Ce qui est un peu excessivement appelé « newsroom » procède plus de l’outil de veille pour faire du « newsjacking » … Cette technique peut ponctuellement rapporter et n’est pas nouvelle en soi. On peut se référer notamment au loueur de voitures Sixt qui a l’air de temps à autre de rebondir sur un fait d’actu concernant des personnalités politiques pour lancer une pub. Ce qui fait la force et la sympathie de leur démarche est qu’elle n’est ni abrutissante, ni répétitive à l’excès mais au contraire très ponctuelle.

      Le risque avec la mode actuelle est que l’on s’égare dans du « buzz pour le buzz » qui finira par gonfler tout le monde et engendrer potentiellement des effets pervers pour la marque.

      En revanche, qu’une marque dispose d’une vraie approche rédactionnelle inspirée du journalisme pour repérer les sujets en vogue dans son domaine d’activité, est un atout communicant énorme. Encore faut-il derrière avoir des contenus à la hauteur et accepter la conversation avec ses publics. Si ces conditions sont réunies, alors les bénéfices sont immenses … Autrement, on reste scotché dans la cosmétique publicitaire à coups de likes et de RT …

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