[Note de lecture] – « Désinformation » d’Emmanuel Ostian

S’il s’agit bien de Donald Trump qui a popularisé le terme de « fake news », ce concept n’est pas totalement nouveau en soi. L’art de la distorsion de la réalité ou du mensonge à des fins de propagande recèle de nombreux exemples dans l’histoire de l’Humanité. En revanche, les algorithmes des médias sociaux et la puissance des technologies digitales confèrent une toute autre dimension à ces infoxs contemporaines. Grand reporter et journaliste à LCI, Emmanuel Ostian convie le lecteur à une fascinante immersion dans le monde de l’information frelatée.

Nombreux sont les livres déjà parus sur le phénomène des « fake news » depuis que le sujet a acquis une envergure inégalée dans la circulation de l’information et la consommation des médias. Plus rares sont les ouvrages de qualité qui ne se contentent pas de racoler à coups d’exemples vus et revus ou bien de digresser dans de savantes considérations qui finissent par perdre le lecteur. L’opus rédigé par Emmanuel Ostian a l’immense mérite d’éviter ces deux écueils. Il offre tout d’abord une plongée vertigineuse et bien documentée dans la mécanique implacable des infoxs. Il apporte ensuite une analyse sans concessions des failles médiatiques et des filtres personnels qui mordent à l’hameçon apocryphe des « fake news ». Avec en bonus, une écriture précise, vivante et non dénuée d’humour.

Qui est le géniteur des « fake news » ?

Aussi loin que l’Histoire remonte, les puissants ont toujours cherché à embellir leurs exploits. Même une reculade ou une défaite pouvaient être parées des atours du succès. Pourtant, un homme peu connu du grand public (mais certainement plus des professionnels de la communication et des médias) a littéralement théorisé le concept du mensonge dans un petit livre paru en 1928 intitulé « Propoganda – Comment manipuler l’opinion en démocratie ». Cet homme s’appelle Edward Bernays et pour la petite histoire, Emmanuel Ostian nous rappelle qu’il est aussi le neveu d’un personnage emblématique qui a marqué l’histoire de la psychologie : Sigmund Freud.

Ce clin d’œil n’est pas sans doute pas inutile car l’information manipulatoire associe étroitement des astuces techniques et rhétoriques avec les émotions et les croyances humaines. D’emblée, Edward Bernays s’est focalisé sur la compréhension du fonctionnement des foules et les points de faiblesse qui permettent de les retourner et d’obtenir leur adhésion : « Quand la foule ne peut pas calquer sa conduite sur celle d’un leader et doit se déterminer seule, elle procède au moyen de clichés, de slogans ou d’images ». Lesquels sont instillés subrepticement dans « un magma d’émotions collectives ».

Cette approche conceptuelle, Edward Bernays va très vite la mettre en application. Comme le raconte Emmanuel Ostian, son premier fait d’armes sera pour l’industrie du tabac dans les années 20. Celle-ci est confrontée en effet à un obstacle : ses consommateurs ne sont que des hommes étant donné qu’une femme avec une cigarette au bout des lèvres est très mal vue dans la société de l’époque. Pour lever ce blocage sociétal, Edward Bernays se rapproche des leaders féministes et les convainc que cet interdit incarne la quintessence même de la phallocratie. Au cours d’une parade géante à New York en 1929, il parvient à glisser dans le cortège, des jeunes femmes militantes qui vont alors toutes allumer une cigarette devant les photographes de presse qui couvrent l’événement. L’écho est considérable et très rapidement, le sexe féminin obtient son droit de fumer à la grande satisfaction des géants du tabac ayant mandaté Bernays.

Ces fake news qui gouvernent le monde

Emmanuel Ostian réserve d’autres petites incursions historiques pour illustrer cette dynamique fallacieuse du mensonge qui se prolonge aujourd’hui dans l’essaimage des « fake news ». Il revient évidemment sur les événements plus proches de nous comme l’élection présidentielle américaine de 2016, sur la post-vérité à la sauce Trump mais aussi sur des déviances moins connues comme la « fake science » où des pseudos revues scientifiques colportent et viralisent des articles médicaux sans aucune vérification au point de peser actuellement l’équivalent de 3% de tous les articles scientifiques publiés chaque année. Emmanuel Ostian n’élude pas non plus l’épineux problème posé aux journalistes par cette prolifération d’infoxs et plus généralement sur le manque criant de moyens et de ressources pour efficacement contrer cette gangrène informationnelle.

Il est impossible de résumer exhaustivement l’essai commis par Emmanuel Ostian tant la richesse du propos et l’abondance des cas présentés sont au rendez-vous. Une chose est sûre. Le lecteur ne perdra pas son temps à lire onze chapitres rondement menés qui éveillent par la même occasion notre conscience de citoyen. Au final, c’est aussi la démocratie et l’accès à la connaissance (la vraie) qui sont menacés.

Le pitch ?

La guerre contre les « fake news » est déclarée. Emmanuel Ostian, journaliste d’investigation, nous plonge au coeur d’une enquête inédite et riche en révélations sur les gilets jaunes, les « Macronleaks », les fermes à trolls en Russie et les manipulations de Facebook.

C’est une guerre. Et elle est perdue.

Nous plongerons au cœur des gilets jaunes. Ils se sont frottés, en francs-tireurs, à la grande bataille. Ils n’ont fait que déclarer des hostilités que d’autres ont tenté d’influencer. Nous les avons débusqués.

Nous avons enquêté sur les « Macronleaks » et vous raconterons comment la « bombe » a pu être désamorcée.

En secret, les fermes à trolls russes s’activent. Témoignages inédits de ceux qui y sont allés et sont aujourd’hui contraints de vivre cachés pour se protéger. Entretien exclusif avec l’un de ces « trolls » et une journaliste finlandaise lanceuse d’alerte.

Enquête également sur les algorithmes de Facebook qui ont largement favorisé la création de communautés prêtes à se nourrir en informations manipulées.

Nous verrons aussi notamment comment l’industrie du tabac rémunère certaines bloggeuses sur Instagram pour « placer » discrètement leur produit. Ou les efforts pour discréditer les huiles solaires. Témoignages.

Les « deep fakes », enfin, ces vidéos où ces sons truqués reproduisent parfaitement la réalité. Une arme de plus dans les mains de ceux pour qui démocratie et liberté sont des idées à abattre.

Auteur : Emmanuel Ostian

Editeur : Plon

Date de parution : Septembre 2019

Nombre de pages : 216

Disponible en format papier et numérique

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Pour en savoir plus sur l’auteur

Emmanuel Ostian couvre pendant dix ans les conflits (Kosovo, Afghanistan, Irak, Darfour etc) pour TF1 avant de devenir chef du service Economie de la chaîne. Après deux ans au service International de LCI, il intègre le magazine « Envoyé spécial » sur France 2 puis devient rédacteur en chef de l’émission politique de Canal Plus, « Dimanche+ ».

En 2011, il crée, avec d’autres, l’émission quotidienne « 28 minutes » sur Arte, émission qu’il dirige la première saison avant de devenir producteur éditorial de la Matinale de Canal Plus. En 2013, il crée sa société de production, EMP, qui travaille avec les principales chaînes du PAF et est responsable de la section TV du Centre de Formation des Journalistes.

Présentateur sur Itélé puis sur BFMTV et LCI, il a reçu plusieurs prix pour ses reportages.

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