[Saper Vedere] – Que retenir de la 9ème édition rétrospective des crises numériques ?

Fondateur et directeur opérationnel de Saper Vedere, cabinet de veille et d’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux, Nicolas Vanderbiest a dévoilé le 15 février dernier les enseignements majeurs de sa traditionnelle étude des crises numériques qui ont marqué l’année 2022. Hormis la marque Balenciaga qui a réussi le tour de force de cumuler 3 crises en un an, peu de faits saillants ou inédits illustrent cette 9ème édition mais pas mal de confirmations de tendances à l’œuvre. Petite synthèse à chaud.

En partenariat avec EH&A, cabinet de conseil en communication sensible & gestion de crise, la publication de cette rétrospective est toujours un moment attendu pour qui suit attentivement les mouvements d’opinion sur les réseaux sociaux et les crises qui y démarrent à coups de tweets. Cette 9ème livraison permet de surcroît de disposer désormais d’un solide recul sur la façon dont les espaces conversationnels en ligne peuvent être activateurs (ou pas) de crises qui s’évanouissent aussi qu’elles ont surgi ou bien qui s’inscrivent dans la durée comme #SaccageParis (encore, 1,5 million de tweets en 2022 contre 2,3 en 2021). L’an passé, 70 crises ont émaillé les réseaux sociaux francophones mais 5 seulement ont véritablement généré une volumétrie significative.

Les communicants, source de crises !

2022 a confirmé la reprise de ce que l’on appelait auparavant « bad buzz » avec 70 cas recensés contre 53 en 2021 et 47 en 2020, étiage historique depuis que Nicolas Vanderbiest effectue sa rétrospective. Pour autant, il convient de moduler le chiffre qui reste assez éloigné des pics dépassant quasiment tous la centaine de cas entre 2014 et 2019 (voir histogramme ci-dessous). La marque de mode Balenciaga qui a cumulé le plus de tweets négatifs en 2022 n’entre même pas dans le top 3 constitué de H&M (2,4 millions en 2018), #SaccageParis (2,3 millions en 2021) et American Airlines (1,9 million en 2019). Avec « seulement » 776 365 tweets, il s’agit d’une crise (en fait 3 en une !) avec une forte intensité mais sans commune mesure avec les précédentes tempêtes digitales.

Est-ce à dire que les réseaux sociaux ont perdu en influence et en écho ? Le constat se lit en fait autrement. Si l’immense majorité des 70 cas identifiés a effectivement une durée de vie limitée à 2/3 jours en moyenne, le bruit engendré n’est pas pour autant négligeable car il est assez souvent repris par les chaînes d’information continue, voire les médias plus classiques. De plus, il vient alimenter l’empreinte numérique des marques affectées. Ce qui en termes de réputation digitale, n’est jamais réellement un bon point.

Dans les faits, la rétrospective de Saper Vedere met en lumière des facteurs aggravants qui rendent le terrain favorable à l’explosion d’une crise numérique. Nicolas Vanderbiest relève que « 100 % des crises furent encore fonctionnelles ou communicationnelles pour la quatrième fois consécutive. Cela veut dire que la majorité des crises proviennent d’un souci de communication, de produits ou de pratiques. Les échecs techniques, les procès judiciaires ou les accidents ne sont plus des événements occasionnant des soulèvements numériques depuis 4 ans ».

Des leviers de crise récurrents

A ces erreurs provenant de l’interne des entreprises ou de démarches marketing hasardeuses, inadaptées ou provocatrices, s’ajoutent des thématiques où l’exacerbation demeure particulièrement vive dans l’agora sociétale. Ainsi, le sexisme et le racisme sont des agents propagateurs particulièrement virulents. Dans le top 10 des crises les plus idiotes établi par Saper Vedere, on trouve 4 cas patentés de sexisme (les taxis de Liège et les magasins Foir’Fouille, Auchan et Halle O’discount) et deux de racisme (commune de Montaigu-Vendée et l’enseigne Mr Bricolage). De même pour les violences sexuelles qui ont valu à Balenciaga et au diocèse de Tours une volée de bois vert numérique. Par ailleurs, l’antiscience demeure actif même si les thématiques se déplacent actuellement du sujet des vaccins à celui du climatoscepticisme.

En revanche, les 5 grosses crises identifiés par la rétrospective 2022 ont toutes en commun, le rôle propagateur et amplificateur des réseaux sociaux où s’entremêlent les retombées récurrentes des médias avec les polémiques relancées sur Twitter et autres. Ce fut notamment le cas de la vidéo polémique de la prison de Fresnes, du Festival de la BD d’Angoulême, de McKinsey, d’Orpéa et de Balenciaga. Autre observation à retenir : le secteur du divertissement et des loisirs aura été à nouveau le plus attaqué pour divers motifs en 2022 avec 12 cas recensés.

Quels sont les réseaux sensibles ?

Concernant les canaux générateurs de crise numérique, Twitter reste largement loin devant en concentrant à lui seul près de 80% des cas. Instagram continue de progresser en pesant 15% des cas tandis que Facebook recule nettement pour tomber à 12%. Le reste demeure épiphénoménal hormis TikTok qui opère une petite percée mais se situe très en deçà de Facebook et Instagram.

Ensuite, il y a le cas LinkedIn. Bien qu’aucune crise significative n’aie émergée en 2022 sur ce réseau plutôt calme d’ordinaire (excepté les growth hackers et social sellers qui viennent vanter leur camelote sans discontinuer et les donneurs de leçon de vie sous la douche), LinkedIn devient selon Nicolas Vanderbiest, un lieu sociétal même s’il n’y a pas de communautés établies au sens Twitter du terme : « Cela passe par des campagnes d’attaques sur des publications de CEO ou des prolongements de campagne d’attaque d’assemblée générale de groupes côtés. Bientôt, LinkedIn deviendra un endroit de crise et un endroit à considérer, d’autant que les patrons n’ont pas l’habitude d’y être chahutés ».

Pourquoi cette relative stabilité ?

Au bout du compte, il semblerait que l’aspect crisique des réseaux sociaux ait atteint une certaine forme de maturité qui ferait que les bad buzz ne foisonnent plus autant qu’auparavant. Une explication avancée par Nicolas Vanderbiest tient au fait que les outils de veille et de détection de possibles signes avant-coureurs ont nettement progressé dans la granularité des données récoltées (encore faut-il y adjoindre ensuite une véritable analyse humaine pour disposer d’un outil de pilotage pertinent) : « Avec le topical impact assessment, nous avons mis en place la capacité de reconstruire la timeline d’une personne, d’une liste de personne, d’une communauté ou d’un écosystème pour évaluer les impressions qualifiées et la couverture d’une communication, d’un événement, d’une crise ou de l’impact d’une thématique. De la même manière, l’arrivée du nombre d’impressions d’un message sur Twitter permet d’évaluer l’impact réel d’un tweet et de découvrir quelques surprises. (Le Monde n’a qu’entre 15k et 50 k d’impressions sur un tweet) ».

Il n’en demeure pas moins que la veille en ligne conserve toute sa place dans un dispositif de communication. La capacité à désamorcer une crise ou mieux encore à relativiser une crise et ne pas sur-réagir reste l’alpha et l’oméga pour protéger sa réputation. Pour autant, il n’existe pas de panacée. Comme l’explique Emmanuelle Hervé, fondatrice et directrice générale du cabinet EH&A, « les réseaux sociaux sont toujours autant imprégnés par des postures binaires. Cette quadrature infernale est compliquée à résoudre pour les marques et les entreprises. Faut-il prendre un parti-pris fort au risque de s’aliéner une partie des publics ou faut-il être plus pondéré au risque de faire de l’eau tiède qui ne fonctionne pas non plus ? ». D’où la nécessité d’observer et analyser en permanence les conversations, les rapports de force à l’œuvre et la véritable portée des agitations dont les réseaux sociaux recèlent.

A consulter par ailleurs

– Télécharger l’étude intégrale 
– Lire l’article synthèse sur le blog de Nicolas Vanderbiest 



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