Tribune libre : Non, tous les communicants ne sont pas des gourous !

Gourous mais aussi manitous, conseillers de l’ombre, spin doctors et autres aimables vocables à connotation manipulatoire parsèment allègrement le dernier livre des journalistes Aurore Gorius et Michaël Moreau au sujet des agences de communication qui gravitent dans le monde politique et économique et dérapent selon eux. A les lire, ces consultants machiavéliques pervertissent le système et travestissent les faits sans autre état d’âme qu’enjoliver et faire gagner les clients qui leur confient la gestion de leur réputation et de leur influence. Et si la vraie vie des communicants était quelque peu différente de ce portrait au vitriol ? Note de lecture et réactions d’un praticien qui ne s’y reconnaît pas.

D’emblée, soyons justes ! Il existe encore çà et là des praticiens « old school » pour lesquels la communication se résume à du bétonnage abrutissant, du contrôle confinant à de la psychorigidité d’adjudant, du mensonge habilement cousu main et/ou des petits arrangements avec la véracité des faits, voire de la manipulation et des faux-nez où l’éthique est largement piétinée. Sauf que voilà ! Quelques noms jetés en pâture dans un livre ne sauraient à eux seuls résumer et incarner la réalité et le métier des quelques 170 000 professionnels de la communication recensés dans le tout dernier rapport de la Dares et France Stratégie publié en avril 2015. Ceci d’autant plus que les deux tiers de l’ouvrage d’Aurore Gorius et Michaël Moreau sont essentiellement consacrés à l’explosif dossier Bygmalion et à l’entrisme sans limite de Stéphane Fouks. Réduire par conséquent un corps de métier tout entier à ces deux principaux exemples (certes abondamment détaillés dans le livre) a de quoi faire grincer des dents.

Gourou - livreLa ritournelle médiatique du communicant version Raspoutine des temps modernes commence à sérieusement devenir éculée et agaçante pour celles et ceux qui travaillent quotidiennement dans ce secteur. Non, nous ne sommes pas des gourous envoûtant les cerveaux des dirigeants ! Non, nous ne téléguidons pas des coups tordus dignes de barbouzes à la sauce OSS 117. Non, nous ne sommes pas des « poisons de la démocratie » pour reprendre une citation d’Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, ni des « dicteurs de conduite » aux journalistes comme le proclamait récemment Elise Lucet, la pugnace journaliste de l’émission Cash Investigation.

Pas d’amalgames mais des nuances, SVP !

Combien de temps allons-nous encore devoir subir ce lancinant amalgame journalistique qui veut imposer les écarts d’aucuns comme vérité universelle et intangible à l’égard de tous les communicants ? Déjà, Il serait grand temps de cesser de mélanger dans un grand flou fantasmagorique les rôles de conseiller ministériel, sondeur d’opinion, publicitaire et communicant dont s’entourent les décideurs politiques et économiques. C’est d’ailleurs là l’un des points faibles du livre cité plus haut qui confond les fonctions et appelle communication ce qui relève du conseil politique ou du marketing électoral et inversement. Même s’il fut affublé un temps de la casquette de communicant élyséen en chef, en quoi par exemple le haut-fonctionnaire Aquilino Morelle est-il représentatif de toute une profession ? On a beau posséder parfois le titre ou l’étiquette sans justifier forcément des compétences et des expériences qui vont de pair.

Pour un journaliste qui fait mal son métier ou s’affranchit des règles déontologiques, blâme-t-on pour autant intégralement les 36 000 détenteurs de la carte de presse et les nombreux pigistes qui rament pour se faire une place dans leur profession ? La réponse est non. Il serait donc souhaitable que ce tir aux pigeons permanent envers les pros de la com’ sache élargir son champ de vision et se pencher un peu plus sur les hommes et les femmes qui exercent majoritairement le métier de communicant avec conviction, éthique et professionnalisme. Si la tentation de l’instrumentalisation n’est jamais à exclure chez quelques-uns, elle devient en tout cas aujourd’hui une option de moins en moins tenable et pertinente. L’avènement des réseaux sociaux et la prise de parole appuyée des parties prenantes incitent au contraire les communicants à être des capteurs de l’air du temps, des décrypteurs de tendances et des connecteurs avec l’opinion publique.

Il est dommage que ce livre ait nettement privilégié l’aspect spectaculaire sans consacrer à un moment donné, un chapitre à ces communicants (ils existent et ils sont nombreux) qui aident et accompagnent les dirigeants à mieux s’imprégner des problématiques sociétales, à apporter des réponses et à les rendre compréhensibles et acceptables. Sans tricherie, ni fariboles cosmétiques. Faire un procès aussi virulent aux communicants en les réduisant à des gourous, c’est enfin oublier un peu vite qu’in fine, celui qui tranche et choisit les options est le dirigeant lui-même et pas une pseudo-éminence grise qui tirerait les ficelles d’une influence vénéneuse. Si le communicant était capable de tous les « miracles », alors Jérôme Cahuzac aurait triomphé de Mediapart, Thomas Thévenoud aurait réussi à faire de la « phobie administrative », une pathologie répertoriée dans le dictionnaire médical ou Jean-François Copé, un parangon convaincant de l’anti « langue de bois » et du sens de la nuance.

Le pitch de l’éditeur

Gourou - auteursAurore Gorius & Michael Moreau – « Les gourous de la com dérapent » – Fayard – 19 €

À droite, Bygmalion et le scandale Buisson. À gauche, les « incartades » de DSK et le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, défendus par Havas… Depuis 2012, la disgrâce s’est abattue sur les sorciers qui murmurent à l’oreille des princes. Malgré ces déboires, les agences restent des officines influentes au cœur du pouvoir. Elles conseillent les puissants, orientent la politique et orchestrent les grandes batailles économiques et médiatiques : rachats de SFR, d’Alstom et du Club Med, compétition pour la présidence de France Télévisions…
Qui sont ces grands manitous à l’œuvre en coulisses ? Les nouveaux gourous qui hantent les couloirs de l’Élysée ? Les habiles communicants qui mettent en scène la dédiabolisation du FN ? Aurore Gorius et Michaël Moreau les ont retrouvés, rencontrés, interrogés. Leur renommée est entachée et les ennuis judiciaires les affaiblissent, mais ils remportent encore de grandes victoires. Ce livre dévoile leur relative déchéance, ses raisons, et leurs stratégies secrètes pour survivre. Aurore Gorius et Michaël Moreau sont journalistes et auteurs de plusieurs livres, dont Les Gourous de la com’ (La Découverte, 2011).

A lire par ailleurs

– La note de lecture du Blog du Communicant sur le premier ouvrage d’Aurore Gorius & Michael Moreau
– L’article publié sur ce même blog intitulé « Messieurs les dirigeants, un dircom ne doit pas être un gourou » – 30 mars 2014



4 commentaires sur “Tribune libre : Non, tous les communicants ne sont pas des gourous !

  1. Aurore Gorius  - 

    Bof Olivier, ce livre n’est pas du tout un essai globalisant avec kyrielles d’amalgames… !
    Nous enquêtons sur des personnes précises, des agences, des stratégies de com’, des excès… Nous n’inventons rien, les faits sont têtus : pendant ce quinquennat, la justice s’est invitée dans les affaires de com’, suite à des dérives sans précédent, notamment dans l’affaire Bygmalion.

    Autres exemples que nous développons dans le livre :
    – Raconter les coulisses du Pacte de Responsabilité, comment il a été pensé par des communicants du Medef et repris tel quel par le pouvoir socialiste, permet de comprendre pourquoi l’Etat a pu accorder des cadeaux fiscaux sans aucune contrepartie en termes d’emploi. Un vaste coup de com’ qui a coûté cher aux contribuables
    – Expliquer les menaces qui ont pesé sur Stéphane Fouks après l’affaire Cahuzac, comment il a été menacé à la tête d’Havas et comment il a réussi à sauver sa peau permet de comprendre comment certains se plantent mais restent toujours en place
    Etc…

    Nous racontons aussi comment Hollande s’est passé des agences mais n’a pas su organiser sa com’ au début de son quinquennat – renvoyant à la grande question de la com’ une fois installé au pouvoir… – comment les dépenses du SIG ont été revues à la baisse, suite aux excès constatés précédemment, ainsi que les fonds pour les grandes campagnes publiques d’information type sécurité routière – ce qui n’est peut-être pas une bonne chose… Donc oui, il y a de la nuance dans ce livre.

    Le journalisme aussi traîne sont lot de dérives, dénoncées souvent à juste titre. Et je ne saute pas en l’air à chaque fois qu’un livre sort pour critiquer la profession ! 😉 Même si je comprends que cela puisse être exaspérant, il me paraît sain – pour notre démocratie et peut-être pour le métier aussi – de les raconter.

    Je pense que le lecteur lambda est tout à fait capable de comprendre qu’il existe des communicants disons « affairistes » – il sait leur existence d’ailleurs, nous ne faisons qu’enquêter sur eux – mais que ce n’est pas le cas des dizaines de milliers de personnes du métier.

    Enfin, intéressante étude Darès, que je n’avais pas vu passer. 36.000 cartes de presse accordées en 2015 (chiffre en baisse depuis 2 ans) / 170.000 communicants : soit 1 journaliste pour presque 5 communicants (aux Etats-Unis c’est 1 pour 6) Cela donne une mesure du verrouillage – même si tous les communicants ne sont pas tous totalement obsédés par le verrouillage 😉

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Aurore

      Merci pour cette longue et étayée réponse. Déjà, je veux lever un équivoque que j’aurais pu malencontreusement créer : je ne remets pas en cause la qualité et le sérieux des enquêtes menées et publiées dans le livre. Ce sont des faits qui (malheureusement) existent et ternissent toute une profession. Les cas Bygmalion et Fouks étant en effet les plus calamiteux car induisant un sentiment de grand n’importe quoi alors que la majorité des communicants (annonceurs, institutions et agences confondus) travaille honnêtement et sans verser dans les écarts que le livre décrit avec force détails.

      D’ailleurs sur l’affaire Cahuzac et les communicants impliqués, je n’écrivais pas autre chose en 2013 : http://www.leblogducommunicant2-0.com/2013/04/03/affaire-cahuzac-la-communication-doit-aussi-faire-son-menage/

      J’aurais juste aimé qu’un chapitre du livre puisse donner la parole à celles et ceux qui justement ont conscience que ces pratiques de communication d’un autre âge doivent disparaître petit à petit.

      J’ose espérer que le lecteur saura faire la différence comme tu dis mais je n’en suis pas convaincu pleinement. Quand on me demande quel est mon métier et que je réponds « communicant », j’ai rarement droit à des remarques positives ! Et comme en plus j’ai été journaliste auparavant, j’ai parfois double peine ! Car les journalistes dans leur globalité souffrent effectivement aussi du travail parfois de cochon de certaines chaînes tout-info et des collusions d’aucuns qui pourrissent la réputation du métier alors que la majorité des journalistes que je connais travaille sérieusement (mais avec toujours moins de moyens et de temps)

      Enfin, concernant le chiffre de 1 journaliste pour 6 communicants, j’aimerais moduler. Si le ratio est pris brut de fonderie, on cultive un peu trop facilement (et certains ne s’en privent pas) l’idée d’un encerclement total. Mais si on remet les choses dans le contexte, il y a 2 points à préciser :
      – un journaliste couvrant par exemple un secteur d’activité est forcément amené à être en contact avec autant de communicants qu’il y a d’entreprises sur ce secteur. Pour autant, l’objectif n’est pas de le neutraliser, l’enfumer ou l’empêcher de travailler (sauf exceptions évidemment – les canards boîteux ça existe !)
      – si les journalistes sont de moins en moins nombreux, il faut également regarder du côté de ceux qui gèrent les entreprises de presse et qui n’ont souvent guère de talents financiers pour rendre leurs entreprises rentables (et arrêter de s’en remettre uniquement à la publicité et aux subventions publiques). Du coup, quand ça va mal, c’est la rédaction qui trinque et qu’on décapite. Forcément, moins de journalistes, c’est moins de moyens ensuite pour faire des reportages et c’est une qualité éditoriale qui baisse. Et là, les communicants n’y sont pour rien non ? Je crois que tu me rejoindras au moins sur ce point là !

      Nous, communicants, devons impérativement revoir et supprimer les pratiques évoquées dans ton livre. En revanche, cela serait bien qu’on mette justement un peu plus en lumière celles et ceux qui s’y emploient. Ca nous aidera à ce que tu décris dans le livre, devienne obsolète et caduc. Merci en tout cas pour cet échange.

  2. David Wynot  - 

    Il y a aussi dans le communicant un avocat « qui parle pour son client », qui réseaute de son coté, qui passe du temps là où la personnalité n’en a pas (Facebook par ex).

    Bon une fois cette précision dites, il me revient en mémoire la reflexion d’un communicant 5 ans après s’être occupé d’un politique très en vue et qui devait être le Kennedy français avant sa chute accidentelle sur des conflits d’interet.
    La reflexion du communicant :
    Ce type n’était pas très intelligent, pas stratège, et il n’avait rien de neuf à dire.
    Il présentait bien, genre gendre idéal et il fallait maintenir et renforcer cette image.
    Dans ce cas, c’est le communicant qui fait l’homme (c’était un homme) qui a été réélu d’ailleurs.

    1. Olivier Cimelière  - 

      A ma connaissance, on n’a jamais transformé un cheval de labour en cheval de course. Bien sûr qu’on peut entretenir certaines illusions avec certaines techniques mais si le fond et le concret ne sont pas solides, ça ne tient plus. Spécialement aujourd’hui où tout est scruté (à l’excès parfois j’en conviens) et rapidement attaqué si la cohérence et l’authenticité sont absentes

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