Vendée Globe 2020 ou la tentation de l’hyper-communication pour les skippers ?

Quelle mouche a donc piqué l’organisation du Vendée Globe 2020, la célèbre course à la voile autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance ? A l’aube du départ donné dimanche 8 novembre, la direction de l’épreuve a édicté un protocole média à l’encontre des 33 skippers qui s’alignent cette année. Obligation leur est faite de respecter un quota de vidéos et de photos à envoyer à cadence régulière. En cas de manquement, une amende de 5 000 € sera infligée. Cette volonté d’hyper-communication a-t-elle vraiment du sens ?

Le journaliste du Monde, Jean-Louis Le Touzet a jeté un petit pavé dans l’océan que les 33 navigateurs vont devoir défier pendant plusieurs mois. Pour la 9ème édition de cette épreuve maritime hors-du-commun qui s’apprête à s’élancer depuis les Sables d’Olonne en Vendée, une annexe du protocole média impose aux navigateurs de fournir des contenus photo et vidéo relatant leur course et leur situation du moment. Faire vivre une course au large auprès d’une audience restée à terre est effectivement un challenge complexe à relever. Aussi, les histoires provenant des bateaux en course peuvent être un levier à exploiter. Ceci d’autant plus que les sponsors officiels de l’événement et ceux qui s’adossent aux bateaux engagés, attendent en retour une légitime visibilité médiatique.

Un vecteur de communication interne pour les entreprises

Pour tout événement sportif, le parrainage fait partie de ces clés de voûte incontournables. Sans son soutien financier, une grande majorité d’épreuves peinerait à subsister, voire disparaîtrait de la scène sportive médiatique. Le Vendée Globe n’échappe à cette règle d’airain. Sur son site Web, les organisateurs se réjouissent d’ailleurs d’avoir réussi à mobiliser (1) « plus de 150 entreprises de toutes tailles et toutes origines géographiques l’ont choisi comme support de communication pour booster leur notoriété, améliorer leur image, valoriser leur savoir-faire en soutenant l’un des teams engagés dans la course ou son organisateur, la SAEM Vendée ».

Un argument est particulièrement avancé pour inciter les sponsors à délier les cordons de la bourse : la course est un vecteur puissant de communication interne mais aussi auprès des partenaires commerciaux. La direction de la course cite notamment l’initiative de Sodebo qui proposera des repas thématiques pour ses collaborateurs au restaurant d’entreprise lors des passages des fameux trois caps marins que l’épreuve comporte. Au bout du compte, c’est la promesse qu’avec cette (2) « transmission de valeurs entre le sport et l’entreprise, ces partenaires savent qu’ils en tireront une forte cohésion interne, salutaire après une année complexe ».

Acquérir une réputation internationale

Si les annonceurs sont cruciaux pour la pérennité du Vendée Globe, il est également un autre enjeu non moins critique à relever : augmenter la notoriété médiatique de la course et sa portée internationale auprès de différents publics. Une équation pas si aisée à résoudre dans un contexte plutôt concurrentiel où il existe une bonne quinzaine de courses au large à l’heure actuelle. Il s’agit donc de pouvoir se distinguer clairement, mieux émerger en termes de storytelling et attirer ainsi les sponsors. Lesquels sont aujourd’hui pris en parallèle dans une tendance où les budgets de sponsoring sont souvent revus à la baisse.

Epoux de Miranda Merron (qui participe d’ailleurs à l’édition 2020 avec le bateau Campagne de France) et navigateur lui-même, Halvard Mabire estime que le Vendée Globe a pour l’instant loupé le coche de l’international et reste encalminé dans une image franco-française (3) : « Le Vendée Globe n’a pas réussi à s’exporter en termes de communication. L’organisation n’arrête pas de dire que la course doit s’internationaliser, il y a une volonté de le faire, mais dans la pratique, il n’y a pas de fait concret. C’est pire qu’avant ». Et même si quelques skippers étrangers prennent part à la course, ils viennent deux ans plus tôt installer leur camp de base en France. Ce qui rend assez sarcastique Halvard Mabire (4) : « Il y a de sérieuses questions à se poser. C’est comme si pour faire le Tour de France de cyclisme, les équipes devaient s’installer deux ans auparavant en France et ne s’entraîner qu’en France ».

Menacer pour obtenir des contenus ?

Dans ces circonstances, on peut légitiment comprendre le besoin accru des organisateurs de disposer de contenus réguliers issus des 33 skippers en course. Ce flux d’information permet en effet d’alimenter les canaux destinés aux médias et au grand public mais aussi envers les entreprises et leurs collaborateurs. Quitte alors à imaginer une amende salée pour l’impétrant qui ne jouerait pas le jeu ?

Interrogé par le journaliste du Monde, le responsable du pôle Communication du Vendée Globe (qui n’a pas voulu être cité nommément dans l’article) tente de justifier l’approche (5) : « Nous avons voulu éclaircir les choses dans l’annexe multimédia à l’avis de course. Cette somme de 5 000 euros n’était pas évoquée clairement, il y a quatre ans. Elle l’est et c’est plus net. Nous avons écrit les choses cette année, sachant que les 4/5e des concurrents jouent le jeu. C’est un donnant-donnant qui participe à la médiatisation de l’épreuve. Il y a forcément certains qui ne jouent pas le jeu, ne le joueront pas, et c’est souvent ceux qui n’ont pas lu l’annexe. ».

« Mutinerie » communicante

A ses yeux, le deal n’est pas excessif. Il s’agit d’ « envoyer quatre minutes d’images par semaine et cinq photos » (6) avant de conclure que « notre but n’est pas de punir » (7). Il n’en demeure pas moins que la démarche éditoriale engagée est pour le moins surprenante. Elle a d’abord fait grincer des dents parmi les navigateurs qui se lancent à l’assaut du Vendée Globe. La Franco-Allemande Isabelle Joschke qui barre le bateau MACSF ne décolère pas (8) : « Cette obligation contractuelle biaise notre métier. On va tous faire de notre mieux mais procéder à l’envoi d’images, de sons, de textes, c’est autant de sommeil en moins ! Et dormir trois ou quatre heures par jour tient déjà de l’exploit sur un tour du monde (…) Encore une décision qui a été prise par quelqu’un derrière son bureau ».

La navigatrice anglaise, Miranda Merron est dans le même état d’esprit que son homologue concurrente (9) : « J’aurais quand même autre chose à faire en mer que de photographier ce que je fais ou je vois, non ? Le 11 novembre je sais ce que je vais faire : me taire. En hommage à ceux qui sont tombés pour notre liberté ». Autre voix tout aussi réfractaire, celle de Boris Herrmann qui court pour le compte de Sea Explorer/Yacht Club de Monaco (10) : « Personne ne refuse naturellement de médiatiser son expérience et sa vie à bord. Mais cela revient à expliquer à Alex Thomson, qui a inventé la communication, comment il faudrait procéder ? C’est parfaitement ridicule ».

La navigatrice Isabelle Joschke (photo Ronan Gladu)

Attention à l’infobésité !

Ce tollé autour du quota de contenus à expédier fréquemment ne pose pas qu’un problème d’organisation dans la vie des marins à bord. Il interroge aussi sur la pertinence d’exiger en permanence des vidéos et des photos. Le journal de bord d’une course au large en solitaire sans escale, ni assistance n’est pas toujours rempli de faits marquants ou d’épisodes présentant un intérêt narratif avéré. Or, sur-stimuler la production de contenus, c’est prendre le risque d’avoir une ligne éditoriale pauvre en contenus vraiment intéressants pour les publics qui sont destinataires. Même si l’époque est à l’infobésité, mieux vaut communiquer ponctuellement sur des événements de course marquants plutôt qu’entretenir un flux insipide. Isabelle Joschke a d’ailleurs la formule juste pour résumer cet enjeu de communication (11) : « Le message ne vaut que s’il est sincère et juste. Sinon, autant se taire ».

Face à cette « mutinerie », il aurait été intéressant de recueillir le point de vue du responsable Communication du Vendée Globe 2020. Ayant réussi à l’identifier grâce au réseau LinkedIn, je lui ai proposé de m’entretenir rapidement avec lui dans le cadre de ce billet pour mieux comprendre cette stratégie qui semble plutôt relever d’un bombardement éditorial pas forcément de bon aloi pour accroître l’impact médiatique de la course. Il n’a pas répondu à la sollicitation de mon blog. Peut-être a-t-il déjà largué les amarres sur cette polémique dont il se serait sûrement bien passé !

Sources



6 commentaires sur “Vendée Globe 2020 ou la tentation de l’hyper-communication pour les skippers ?

  1. Scepticus  - 

    Bonjour,
    Prise à froid et sans distance, il est évident que cette règle coercitive peut faire grincer des dents. Mise en perspective, elle a bien des raisons d’exister.
    Les réseaux sociaux, le ciblage, les créations de communautés propres permettent à un sponsor d’un bateau de prendre la parole là où elles le souhaitent, auprès de qui elles veulent communiquer. Une marque forte comme Charal, Hugo Boss ou d’autres pourraient finalement se passer des outils de communication du Vendée Globe, en tout cas se dispenser d’envoyer des éléments de contenu (photos, vidéos, sonores), leurs performances sportives justifiant à elles seules que le skipper et sa marque soient cités huit fois par jour.
    A peu de choses-près, et compte tenu de ce que vivent ces marins en mer, ces derniers pourraient céder à la tentation de n’envoyer leurs médias qu’au sponsor, au payeur.
    Le Vendée Globe est tout et rien à la fois. Il est tout parce qu’il est la formidable caisse de résonance dont rêvent les sponsors ; il n’est rien qu’une voix parmi 34. Or elle pose, elle aussi, 15 millions d’euros de fonds publics et privés sur la table. Et de ces quinze millions, elle attend non seulement un ROI pour ses payeurs et donneurs d’ordres (le Département, la ville des Sables, Sodebo etc), mais également une partition (plus ou moins) équitable des productions des skippers à fin de communication. On attend la même chose d’un skipper et d’un violon solo qui, en jouant la partition de son concerto, a le devoir d’apporter son écot à l’orchestre.
    Que le solitaire ait à contribuer à l’outil collectif qui lui permet de briller n’est pas dénué de sens ; qu’il faille l’y contraindre est une conséquence de la performance du Brand contenu appliqué aux marques.
    Enfin, les marins n’ont pas attendu la mesure coercitive pour envoyer des contenus qui ne veulent (parfois) rien dire.
    Enfin (nos), je pense sincèrement que la contrainte exercée par le sponsor sur le marin en mer est bien plus forte que la menace de la prune à 5000 euros.

  2. Olivier Cimelière  - 

    3/3
    Autre point évoqué dans votre post et l’article, la non internationalisation critiquée ici par Halvard Mabire.

    Il y a 2 aspects dans ses positions. La première liée à la nécessité de venir s’installer en France pour se préparer pour le Vendée Globe : au-delà du fait que cette affirmation est en partie fausse, Alex Thomson ayant préparé ses 5 Vendée Globe depuis Gosport au Royaume-Uni, il n’est cependant pas illogique que pour progresser plus rapidement les skippers étrangers et leurs équipes ressentent le besoin de venir acquérir les connaissances sportives et techniques au cœur du réacteur de la course au large, en Bretagne Sud et dans les environs de Lorient. C’est comparable avec ce qui se fait en sport automobile en Formule 1, où toutes les écuries, dont Renault, ont des centres de recherche et développement, autour d’Oxford en Angleterre. Il y a deux épicentres dans la voile de compétition dans le monde, Auckland dans l’hémisphère sud, et Lorient dans l’hémisphère nord. On peut le regretter, mais c’est un fait et on est obligé de travailler avec des compétences issues d’un de ces pôles si l’on veut être compétitif.

    Le 2e aspect, c’est l’intérêt porté par le monde entier sur la course, et les moyens mis en place par l’organisateur pour le susciter. Il est totalement faux de dire que « c’est pire qu’avant », il suffit de regarder le nombre de nationalités au départ, le nombre de diffuseurs à l’étranger qui relaient le direct départ et les contenus de façon plus générale. Mais il reste que le sport est un univers toujours un peu chauvin. Tout comme la 2e place d’Ellen MacArthur en 2001 avait généré des retombées immenses au Royaume-Uni, une victoire d’Alex Thomson ou d’un coureur étranger aiderait grandement à développer plus fortement le Vendée Globe hors des frontières hexagonales, ou pour être plus précis, à l’installer à l’international comme événement populaire incontournable. Comme je l’ai dit en introduction de ce commentaire, et sans perdre de vue que nous restons sur un sport de niche, son potentiel de développement est phénoménal. Cette course parle à tout le monde par sa simplicité et la transparence de ses règles : un tour du monde, à la voile, en solitaire, sans escale et sans assistance. Et quels sont les premiers dessins des enfants ? Des maisons, des voitures et des bateaux…

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci à nouveau pour ces informations additionnelles très concrètes et qui permettent en effet de mieux saisir les enjeux relatifs au VG. La longueur de vos commentaires montre une authentique passion (et connaissance aussi du sujet). J’espère que le lecteur prendra autant le temps que vous n’avez eu de soin à écrire tous ses arguments éclairants.
      Nous nous rejoignons sur un point essentiel : le risque de l’infobésité ! Mais cela ne doit pas occulter la nécessite effectivement de créer une base de données de contenus et d’archives qui est utile pour communiquer entre 2 courses. Après il y a aussi d’autres moyens pour gérer l’entre-temps comme réaliser des reportages sur la fabrication d’un bateau, l’interview d’un médecin sur la gestion du sommeil/du stress en conditions extrêmes, la nutrition, l’utilisation des data durant une course, etc …
      Je suis également d’accord avec vous sur le fait d’installer des caméras à bord pilotées depuis la terre. Ce serait intrusif, digne de cette télé-réalité pourrie et les skippers méritent plus de respect. C’est à eux de choisir ce qu’ils veulent fournir ou pas comme informations.

      Merci en tout cas car cela complète très bien le billet et l’ouvre sur d’autres perspectives

  3. Christophe Baudry  - 

    Merci de l’intérêt que vous portez au Vendée Globe. Son impact est plus puissant à chaque édition, et celle-ci, quelque peu malmenée par le contexte sanitaire qui bouleverse l’ensemble de la planète, ne dérogera pas à la règle.

    La polémique soulevée par l’article du Monde, nonobstant sa qualité – Jean-Louis Le Touzet est une des plus grandes plumes du sport français – est quelque peu stérile, même si je suis totalement conscient que la temporalité de sa publication peut interpeller. L’annexe audiovisuelle est publiée et dans les mains de la classe Imoca et des skippers depuis plusieurs mois, il y avait d’autres points qui pouvaient poser question, ces notions de pénalités sont bien évidemment toujours un peu urticantes, particulièrement dans un contexte où ces marins aux caractères affirmés – et il en faut pour se propulser dans leur satellisation océane – où ils ont d’autres soucis techniques ou sportifs beaucoup plus prégnants que les enjeux de communication de l’organisateur. En premier lieu il y a toujours eu des pénalités applicables, que ce soit pour des enjeux sportifs ou de communication. En 2008, sur le Vendée Globe où j’ai officié en tant que directeur de la communication, je me souviens que certaines pénalités pouvaient être appliquées en cas d’absence à la cérémonie de remise des prix. 2 coureurs s’étaient excusées : Alex Thomson pour cause de concomitance avec le Grand Prix F1 de Monaco où il avait des obligations liées à son sponsor Hugo Boss, et Loick Peyron qui perdait son partenaire. Je n’ai pas souvenir que les pénalités eut été appliquées, ce qui n’empêche que leur mise en évidence permet à un organisateur de rappeler ses propres enjeux à l’ensemble des équipes.
    En premier lieu il faut mettre en avant que le Vendée Globe est la compétition de voile au budget d’organisation le plus important en France; au niveau mondial, et très rapidement, il n’y a que la Coupe de l’America, SailGP et The Ocean Race à mettre des sommes plus importantes sur une course à la voile. C’est aussi celle qui met les prizes money les plus important en France sur un événement de voile : si cela reste des montant extrêmement bas pour un sport professionnel, ils sont très élevés pour un sport pauvre comme la voile, sport schizophrène se courant sur des machines high tech nécessitant des budgets désormais colossaux, nécessitant des moyens de production TV lourds, mais ne bénéficiant ni des subsides du ticketing ou des droits TV. Jusqu’à cette année il n’y avait pas de droits d’inscription payés par les concurrents .
    Quels sont les enjeux du Vendée Globe, qui sont forcément en rapport avec ces investissements extrêmement lourds ? Faire vivre l’événement 3 mois, quelque soit le nombre d’abandons ou la tournure que prendra la compétition sportive dans son dernier tiers. Nous avons eu des éditions où l’affaire sportive était pliée en milieu du Pacifique, des éditions où les systèmes de communication étaient HS sur certains bateaux, tout au moins ceux permettant d’envoyer des images. Par ailleurs, le Vendée Globe a à faire face à une concurrence au niveau de la qualité des contenus : la référence en voile étant The Ocean Race – précédemment connue sous le nom de Volvo Ocean Race – qui se court en équipage et qui impose la présence à bord des bateaux d’un mediaman, et dont la qualité des contenus, que ce soit technique ou éditoriale oblige forcément les skippers à monter en gamme à chaque édition du Vendée Globe, avec une contrainte importantes, ils sont seuls et la règles

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci beaucoup pour ces précisions très détaillées.
      J’ai en effet rebondi sur l’article de Jean-Louis Le Touzet, non pas par esprit de polémique. J’aime beaucoup les courses au grand large et les skippers m’ont toujours fasciné par le courage et leur détermination à évoluer dans un milieu hostile.
      Mon point portait juste en tant que communicant. Il me semble qu’exiger en quasi permanence des contenus de la part de chaque navigateur me semble un peu incongru du fait du temps qu’il consacre à faire avancer leur bateau. Mais le risque d’overdose de contenus peu intéressants et/ou redondants. J’entends bien qu’il faille faire vivre la course sur 3 mois et c’est là tout le défi en effet.
      J’ai eu l’occasion de « vivre » l’Ocean Race en 2009 via mon entreprise Ericsson qui avait aligné deux bateaux. La seule différence est qu’il y avait des escales qui constituaient autant d’opportunités de relancer le projecteur médiatique. Ceci étant dit, bon vent au VG 2020 !

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