Note de lecture : Comment rater ses relations avec la presse de Bernard Giroux et Pierre Zimmer

Le titre saugrenu de l’ouvrage a de quoi faire tressaillir le chaland féru de livres professionnels sur les relations entre les journalistes et les communicants. A l’heure où les médias traditionnels s’entremêlent joyeusement aux médias sociaux pour faire et défaire les réputations des entreprises comme des individus, un pareil titre peut laisser pantois. Qui songerait en effet un instant à transformer ses rapports avec la presse en un échec volontairement programmé à moins d’être un suicidaire médiatique prêt à tout pour arracher à tout prix sa minute de célébrité warholienne ?

Côté stratégie marketing, les deux auteurs ont indéniablement trouvé une accroche rédactionnelle percutante qui donne envie d’en savoir plus sur le propos du livre et les véritables intentions qui y sont déclinées. Ceux qui cherchent un manuel scolastique des techniques de relations presse devraient plutôt passer leur chemin. Point de démarche académique dans ce livre. En revanche, ceux qui aiment le second degré et prônent une philosophie plus apaisée des relations entre les communicants et les journalistes, trouveront là quelques motifs de réjouissance en dépit de quelques facilités de langage et de longueurs sans intérêt véritable.

Ce que j’ai aimé

D’emblée, les auteurs installent le lecteur dans un ton décontracté avec un art de contre-pied qui donne immédiatement envie d’en savoir plus. Ainsi donc, les relations avec la presse seraient-elles frappées du sceau de l’inutilité la plus totale et de la vacuité la plus coûteuse pour celles et ceux qui espéraient pourtant accéder aux projecteurs scintillants de la notoriété, gagner en influence ou redorer un blason parfois écorné par de viles polémiques ou de farouches adversaires. En d’autres termes, le mythe tenace de l’attachée de presse « blondasse » écervelée qui harcèle le pauvre reporter d’infos inutiles pourrait-il être une réalité dont on peut désormais faire l’économie ?

Journalistes et communicants : ennemis pour toujours ?

Si Pierre Zimmer et Bernard Giroux adoptent si volontiers cette tonalité iconoclaste, ce n’est pas pour pourfendre impitoyablement les communicants souvent assimilés et/ou perçus comme des Machaviel de l’information. Pour autant, ce n’est ni pour glorifier une profession qui a parfois tendance à suspecter de la communication malfaisante à chaque coin de communiqué de presse.

Sous des dehors un peu potaches, leur objectif est plus subtil et entend refléter l’alliance de leurs expériences professionnelles respectives : « Cet ouvrage n’est ni un plaidoyer pour la presse, ni un réquisitoire contre les tenants de la communication. Ni l’inverse. Il se veut au contraire un double regard subjectif sur deux professions complémentaires qui feraient bien mieux de s’entendre que de se tirer constamment la bourre. On ne peut travailler sereinement, une main tendue et l’autre cachant un poignard ».

Voilà qui est dit ! Et le livre multiplie à cet effet les anecdotes vécues à titre personnel par les deux impétrants au cours de leur carrière professionnelle. Avec des formules assez jubilatoires, tous les acteurs de la planète RP en prennent joyeusement pour leur grade comme par exemple ce regard porté sur une certaine race de directeurs de la communication (si, si, il en existe encore pas mal dans les organigrammes de certaines sociétés) : « Dans la sphère économique, de nombreux directeurs de la communication de grands groupes industriels voient arriver les journalistes avec autant d’enthousiasme que les Français les soldats de la Wehrmacht en mai 1940 ou une famille surendettée une escouade d’huissiers pénétrant dans le domicile familial » !

Le duo passe ainsi à la moulinette caustique tous les cas de figure où journalistes et communicants doivent se croiser, se parler et s’échanger des informations tout en entretenant de valses hésitations de peur de lâcher le mot de trop. L’ensemble est ponctuellement illustré par des anecdotes terrain que les deux compères ont vécu parfois même à leurs dépens.

Ce que j’ai moins aimé

A la lecture, il faudra savoir dépasser le second degré des auteurs au risque de réellement rater ses relations presse ! (Dessin Na! – www.dessinateur.biz)

Le livre a les défauts de ces qualités. A trop vouloir cultiver le côté rigolard ou l’humour second degré, on a tendance parfois à ne plus savoir où situer le curseur. Un praticien averti y trouvera sans doute son compte et saura distinguer les analyses fondées des conseils délibérément ironiques que distillent les deux rédacteurs tout au long du livre. En revanche, un novice pourrait parfois se méprendre l’intention réelle du propos.

De même, le livre se disperse et se noie parfois dans l’exemple un peu léger ou l’histoire édulcorée au point qu’elle en devient sans réel intérêt (par exemple le passage intitulé « Casus belli » pages 149/150 du livre qui aurait mérité un développement un peu plus étayé).

C’est le principal reproche que l’on peut formuler au livre. Celui d’accumuler et d’abuser parfois jusqu’à satiété les piques rigolardes et les contrepieds sémantiques. A mon sens, l’ouvrage aurait certainement gagné à raccourcir ou expurger certains passages pour au contraire développer d’autres aspects qui sont seulement esquissés sans vraiment être assez approfondis pour être instructifs.

Le passage à ne pas rater

La conclusion du livre de Pierre Zimmer et Bernard Giroux est une belle exhortation à sortir des schémas binaires qui imprègnent autant les cerveaux reptiliens de journalistes prêts à mordre dans n’importe quoi au nom de cette communication omniprésente que ceux paranoïaques de ces communicants qui voient des complots journalistiques quasiment dès le premier coup de fil ou courriel questionneur ! Les quelques lignes qui achèvent le livre sont à cet égard une réflexion que beaucoup d’acteurs devraient faire leur !

(page 198) : « La pochade que vous venez de lire avait un objectif : souligner que l’avenir n’est pas écrit alors que la presse connaît un choc tellurique et que la sphère médiatique subit des mutations d’une exceptionnelle ampleur. En dépit des incertitudes, l’exigence de professionalisme et de respect mutuel, chez les journalistes comme chez les dircoms, demeurera au cœur du futur paysage médiatique ».

En complément

Deux autres blogs ont également lu le livre :
– Lire la critique du livre sur le blog « RTFM » d’Alain Lefebvre (5 février 2011)
– Lire la critique du livre sur le site de l’agence éditoriale Tout’Ecrit (1er février 2011)

Le pitch de l’éditeur

«Comment rater ses relations avec la presse » de Bernard Giroux et Pierre Zimmer, L’Archipel, 206 pages, 17,95 €.

«A quoi peuvent bien servir les relations avec la presse ? Ce livre est fait pour conforter les doutes : non, les relations avec la presse ne servent à rien ! Si ce n’est à développer sa notoriété et sa visibilité, à améliorer la lisibilité de son image et de son positionnement, voire à se faire un peu de publicité.
Il est donc urgent de s’en passer, pour trois bonnes raisons : 1º) qui dit relations dit dépendance et soumission ; 2º) qui dit presse dit journalistes, engeance infréquentable ; 3º) il existe bien d’autres moyens de se faire connaître. Toutefois, si vous ne pouvez y couper, voici comment saborder votre plan média en beauté, en appliquant quelques règles simples…
– Confondez allègrement information et communication, publicité et propagande,
– Affichez préjugés et poncifs sur les journalistes
– Montrez-vous méprisant, et désinvolte.
Alors que nous vivons à l’heure de la « médiacratie », les relations avec l’omniprésent « 4e pouvoir » demeurent un champ d’étude en friche. Cet antimanuel, humoristique mais pas trop, truffé d’exemples réels et d’anecdotes vécues, n’est pas destiné aux seuls communicants et journalistes. Mitonné par deux spécialistes des médias, il a pour objet caché de révéler les rouages des rapports conflictuels entre information et communication, deux bestioles à ne pas confondre.
Bernard Giroux et Pierre Zimmer proposent un panorama de la presse, bousculée par les nouvelles technologies de l’information, ainsi qu’un portrait de la « planète com », astéroïde nombriliste que tout un chacun est amené à fouler un jour ou l’autre.

Lire un extrait sur le site de l’éditeur

Biographies des auteurs

Pierre Zimmer est un ancien journaliste qui a successivement collaboré à France Inter, au Monde et à L’Express. Il est désormais conseiller en communication et spécialiste des relations avec la presse. Il a enseigné au Celsa, à l’Efap et à l’ESCP. Il est le coauteur de Survivre dans ce monde hypocrite (Presses de la Cité, 1993), Surtout, ne changez rien ! (éd. d’Organisation, 2005), Et l’intolérance bordel ! (Palio, 2008).

Bernard Giroux a dirigé pendant quinze ans le service de presse du CNPF (L’ancienne dénomination de l’actuel MEDEF). Depuis 2003, il a rejoint comme directeur des relations avec la presse l’Assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI). Il enseigne dans les écoles de journalisme et de communication (EFAP, CELSA, ESJ, IEJ…). Il est l’auteur de Merci la télé, souvenirs d’un téléphage (Bayard, 2001) et Mystère à Zarzis (Albin Michel, 2003).