Risque & Progrès : Le grand écart entre science et sacré se poursuit (4/12)
Au fil des décennies postérieures à Copernic et Galilée, le débat s’intensifie autour de la compréhension du monde. La multiplication des voyages et des échanges commerciaux entre l’Europe et les continents récemment découverts conjugués aux avancées scientifiques, encouragent des modes de pensée nouveaux et la remise en question des principes traditionnels et religieux. C’est l’apparition du rationalisme impulsé au départ par le philosophe français René Descartes.
Bien que Descartes préfère éviter la polémique avec les autorités religieuses en éludant quelque peu la question de l’héliocentrisme chère à Copernic et Galilée, la contribution de Descartes va malgré tout dans le sens d’une compréhension scientifique du monde plus affirmée. Il expose sa vision fondatrice dans le célèbre « Discours de la méthode » en 1637 où il affirme que l’univers est susceptible d’une interprétation mathématique. Selon lui, tous les phénomènes doivent pouvoir s’expliquer par des lois mathématiques. Un raisonnement qu’il pondère toutefois en attribuant un fondement théologique à la connaissance en écrivant ses « Méditations Métaphysiques » en 1641.
Toutefois, la science grignote désormais sur le sacré dès lors qu’il s’agit d’expliquer le monde. Un autre philosophe français, Fontenelle se lance à son tour dans la vulgarisation scientifique avec son « Entretien sur la pluralité des mondes » en 1686. Par le biais d’un dialogue ludique avec une marquise, il explique le système de Copernic, décrit les planètes et les étoiles et avance même l’idée qu’il existe d’autres mondes habités.
Un an plus tard, il pousse la provocation un peu plus loin dans son « Histoire des oracles« . Là, il s’attaque aux oracles de l’Antiquité qui étaient purement et simplement des illusions entretenues à dessein par les pouvoirs en place en s’appuyant sur des faits qui marquent les esprits et les maintiennent ainsi tranquilles. Derrière cette critique, c’est l’esprit religieux de l’époque qui est visé et notamment certaines pratiques chrétiennes. Pour Fontenelle, la croyance dans le surnaturel est souvent le produit de l’ignorance.
Stop aux plans sur la comète !
Cette révolution de la pensée et du raisonnement trouve écho chez le philosophe et écrivain français Pierre Bayle, avec les « Pensées diverses sur la comète » en 1682. Dans son ouvrage, l’auteur revient sur une comète qui apparut dans le ciel en 1680 aux environs de Noël et sur l’interprétation qui en fut faite alors : la comète était envoyée par Dieu pour combattre les avancées de l’athéisme et dissuader ainsi les esprits de s’y aventurer. Bayle s’empare de cet événement pour ridiculiser les mécanismes de la superstition et démontrer que les phénomènes de ce genre sont purement des phénomènes naturels. A ses yeux, la survenue d’autres catastrophes au même moment ne permet pas pour autant de tisser des liens de cause à effet.
Il récidive en 1697 avec son « Dictionnaire historique et critique » où il dénonce les mensonges et les divagations qui découlent de phénomènes qui se produisent. Il opère également une attaque en règle contre les fables et les illusions pour au final défendre l’idée que la seule tradition n’est pas toujours source de vérité, que l’observation est fondamentale et doit précéder toute affirmation ou jugement. La Raison est alors invoquée comme l’étalon suprême du progrès, de la science et de la connaissance.
Raison et science percent
Une vision que les travaux du scientifique anglais Isaac Newton (1642-1727) viennent conforter. Le célèbre inventeur de la loi de la gravitation universelle utilise en effet les faits et les observations empiriques pour bâtir ses théories scientifiques qui doivent ensuite fournir des lois uniformes expliquant les phénomènes.
Au cours de cette période, le philosophe et mathématicien allemand Leibniz tente tant bien que mal de réconcilier l’hypothèse d’un Dieu tout-puissant et bienveillant avec le constat du Mal sur Terre. En 1710, il publie une théodicée, qui signifie en grec l’acte consistant à justifier Dieu et d’expliquer le mal qui existe dans le monde. Une théodicée que le philosophe contemporain Jean-Pierre Dupuy résume ainsi (1) : « Dieu avait dans son entendement une infinité de mondes possibles. Il a dû choisir l’un d’entre eux pour le faire passer à l’existence (…). Or, pour réaliser le meilleur des mondes possibles, Dieu a dû consentir à y laisser une dose de mal, sans quoi le monde réel eût été globalement plus mauvais encore ».
Ces contorsions métaphysiques leibniziennes ne vont pourtant pas tarder à être définitivement battues en brèche par l’irruption d’un nouveau mythe qu’on appelle le Progrès et qui va désormais irriguer durablement la représentation du monde et des risques. Le feuilleton du Risque et du Progrès continue …
(1) – Jean-Pierre Dupuy – Petite Métaphysique des tsunamis – Seuil – 2005