Note de lecture : L’explosion du journalisme, des médias de masse à la masse des médias d’Ignacio Ramonet

C’est avec un vif intérêt que j’ai lu le dernier opus d’Ignacio Ramonet, incontestable sommité du journalisme. Intérêt teinté au départ d’un certain scepticisme car ce journaliste multiculturel et multicartes n’a jamais fait mystère de son tropisme altermondialiste prononcé. Du coup, j’appréhendais quelque peu que la réflexion ne vire au manifeste gauchiste, nostalgique de la rotative, de l’encre qui tâche et d’un soi-disant meilleur journalisme d’antan.

J’ai été agréablement surpris par le recul et la pertinence des analyses formulées par Ignacio Ramonet. Certes, il n’hésite pas çà et là à balancer quelques coups de griffe gauchisants mais cela serait dénaturer la qualité de la réflexion que de s’en tenir à ces saillies militantes. Même s’il n’a pas eu des mots tendres à l’égard du métier que je pratique (Relire à ce propos son brûlot « La tyrannie de la communication »), Ignacio Ramonet apporte un éclairage vraiment indispensable pour qui accepte d’entendre des critiques et/ou des voix originales sur le futur du journalisme.

Ce que j’ai aimé

Un ouvrage de référence à la réflexion pertinente

Est-ce l’effet du bagage éditorial accumulé au cours de ses longues années d’expérience à travers le globe ? Toujours est-il qu’Ignacio Ramonet adopte un ton qui, sans n’être pas impitoyable par instants, ne s’égare pas dans les travers où certaines de ses précédentes analyses très engagées pouvaient s’égarer.

En horloger méticuleux et rompu à l’exercice journalistique, il démonte minutieusement les boulons et les engrenages grippés du journalisme à l’heure où la vague numérique n’en finit plus d’ébranler des édifices éditoriaux déjà bien lézardés. Avec un œil d’entomologiste pointu, il dissèque de manière synthétique mais toujours illustrée et argumentée des tendances comme la fragmentation du lectorat, l’obésité informative qui se déverse en permanence sur nos terminaux, les querelles sans fin du tout-gratuit et du tout-payant ou encore la manne publicitaire qui s’éparpille.

Au passage, Ignacio Ramonet n’hésite jamais à souligner les risques démocratiques patents si le journalisme ne parvient pas à se régénérer et s’extirper des dérives qui le plombent. Il n’hésite d’ailleurs pas à s’en prendre ouvertement aux journalistes « de salon » qui pérorent depuis leur bureau parisien et dans les cénacles autorisés sans jamais vraiment prendre le pouls du vrai monde qui bat.

Autre mérite et non des moindres à mes yeux : Ignacio Ramonet n’éreinte pas systématiquement Internet comme bon nombre de ses homologues qui ont fait du « Net bashing » leur pseudo-argument pour expliquer leur déconfiture et crier à l’aide. Autant il n’est pas tendre avec les fermes de contenus et le taylorisme de l’information digitale, autant il regarde Internet comme une opportunité pour un journalisme de profondeur et de spécialisation où le contenu prendra alors toute sa valeur auprès des lecteurs.

Ce que j’ai moins aimé

Ignacio Ramonet, un journaliste et écrivain à l’engagement très affirmé (Photo AFP Martin Bureau)

On ne se refait sans doute pas mais Ignacio Ramonet retrouve parfois ses accents de militant altermondialiste prompt à crier au complot médiatique contre par exemple Hugo Chavez (page 53). C’est oublier un peu vite que le potentat vénézuélien est le premier à étouffer les médias qui refusent de plier devant ses injonctions politiques.

De même, sa vision de la mondialisation est un poil caricaturale où les grands groupes ont systématiquement le sale rôle de celui qui veut s’en mettre plein les poches au détriment des honnêtes et besogneux journalistes. Il existe évidemment des abus tout à fait condamnables mais l’amalgame analytique qu’Ignacio Ramonet adopte, constitue un raccourci un peu dommageable pour sa réflexion.

Le passage à ne pas rater

Dans son livre, Ignacio Ramonet évoque l’irruption de WikiLeaks dans le paysage éditorial mondial et l’allergie critique que le site a déclenchée au nom de la protection de la vie privée et contre la dictature de la transparence. Non sans ironie, Ignacio Ramonet effectue ce rappel et clin d’œil historique que nous pouvons tous méditer :

(page 92-93) « Rappelons comme l’affirme Jeff Jarvis, que « la protection de la vie privée est une sorte de parapluie qu’on utilise souvent pour cacher nos peurs devant les nouvelles technologies ». Ces peurs en évoquent d’autres, celles notamment qu’éprouvèrent les Américains lors de l’invention et la prolifération des caméras Kodak. Entre 1890 et 1910, ceux qu’on appelait alors les kodakers, photographes amateurs, étaient expulsés des parcs publics, accusés de vouloir capter l’image des gens pour s’en servir. Les tribunaux durent trancher la question de savoir si le photographe amateur ou professionnel, avait besoin d’une autorisation pour prendre et développer à sa guise n’importe quelle photo. Ils répondirent que non. Pour la première fois la question de la protection de la vie privée menacée par les nouveaux médias se posait »

Toute ressemblance avec quelque chose d’actuel serait purement fortuite comme le précisent parfois des fictions cinématographiques ! Un autre extrait de la conclusion mérite également qu’on s’attarde sur les lignes prophétiques d’un grand professionnel qu’est Ignacio Ramonet  et l’espoir qu’elles contiennent :

(page 128) « Nous vivons une révolution. L’irruption de chaque nouvelle invention bouleverse l’économie générale du champ et déclenche une sorte de « darwinisme », de sélection par la plus ou moins grande adaptation au nouveau contexte. Les grands groupes de presse se désespèrent, effrayés par la brutalité d’un changement qui est désormais parmi nous. L’acclimatement au nouvel écosystème sera pénible, éprouvant et funeste. De nombreux journaux vont disparaître. Mais d’autres parviendront à s’ajuster et ils survivront »

Le pitch de l’éditeur

Ignacio Ramonet croit en l’avenir du journalisme

« L’Explosion du journalisme – Des médias de masse à la masse des médias » d’Ignacio Ramonet –Editions Galilée – 154 pages – 18 €

« Cet essai critique propose une anatomie de l’explosion de la presse écrite à l’heure où l’ensemble de l’écosystème médiatique est dynamité par les impacts successifs de la révolution numérique et du prodigieux développement des réseaux sociaux. Chaque citoyen, dans la nouvelle société-réseau, a vocation à devenir « journaliste » en s’appropriant des dispositifs légers comme les blogs ou les réseaux sociaux Twitter et Facebook qui offrent un potentiel communicationnel exceptionnel. Des individus possèdent désormais le pouvoir de communiquer entre eux des sons, des textes et des images, d’échanger de l’information, de la redistribuer, de la mélanger à d’autres documents, de réaliser leurs propres photos ou vidéos et de les mettre sur la Toile où des masses de gens vont les voir, et à leur tour participer à la circulation circulaire de l’information… Certains envisagent même un « journalisme sans journalistes », à la manière du média social WikiLeaks, pour garantir, face aux pressions des États, des groupes multimédias géants et des pouvoirs autocratiques, l’existence d’une indispensable information libre et indépendante. Un monde sans secrets…

Mais le passage de l’ère des médias de masse à celle de la masse des médias ne se fait pas sans dégâts. Établis au cours d’un siècle et demi de domination médiatique, les repères théoriques et les références pratiques du journalisme se révèlent, soudain, inadaptés. Sous les diktats de la vitesse, de l’immédiateté et du marché, les lois de l’information changent très vite. Alors que se multiplient les risques de manipulations et de bidonnages. Certains genres plébiscités par l’opinion publique, comme le journalisme d’investigation ou le journalisme de reportage, sont déjà en voie de disparition. Parce qu’ils coûtent cher. Et le nouveau système n’a pas encore mis au point un modèle d’entreprise de presse rentable. Entre-temps, des sites web novateurs continuent d’apparaître et de se renforcer. Mieux adaptés à l’écosystème nouveau, ils entrent en concurrence – et remplacent de plus en plus – les grands médias traditionnels en voie d’extinction.

Le journalisme survivra-t-il ? Sans doute, car il en a vu d’autres… Et n’a jamais connu d’« âge d’or ». Mais pour l’instant il se retrouve un peu dans la situation de Gulliver à son arrivée sur l’île des Lilliputiens, ligoté par des milliers de liens minuscules… »

Pour en savoir plus sur l’ouvrage

– Biographie Wikipedia de l’auteur
Extraits du livre sur le site de l’éditeur

Autres liens sur le livre

– Jacques Dubois – « Le journalisme est mort ! Vive le journalisme » – Mediapart.fr – 25 juillet 2011 –
– Bernard Gensane – « Critique du livre d’Ignacio Ramonet » – Le Grandsoir.info – 16 mars 2011 –
– Anne Brigaudeau – « L’explosion du journalisme à l’heure d’Internet » – France2.fr – 1er avril 2011 –
– Frédéric Durand – « Le citoyen vit dans une insécurité informationnelle » -Medelu.org – 13 avril 2011 –