Communication & Information : 2 observations sur Mediapart et l’affaire Bettencourt–Woerth

Le scandale de l’affaire Bettencourt–Woerth largement alimenté par le site Mediapart appelle deux observations en tant que communicant. Cette abracadabrante histoire constitue d’abord un emblématique cas de communication de crise tant la cadence imperturbable des révélations de Mediapart perturbe systématiquement les considérations tactiques du camp mis en cause. Désarçonné dans un premier temps, ce dernier est ensuite passé par tous les états classiques du déni, de la citadelle assiégée puis du bouc émissaire pour tenter de sortir de la nasse de la crise.

Cette histoire marque ensuite à n’en pas douter l’avènement de la presse en ligne en dépit du haro général édicté par le camp gouvernemental qui veut voir dans Internet et dans Mediapart en particulier, la pire des horreurs éditoriales. Une émergence qui intervient au moment même où le gouvernement est régulièrement accusé de vouloir tirer les ficelles de la presse traditionnelle avec par exemple, la nomination du président de France Télévisions, l’éviction des humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon de France Inter ou plus récemment le coup de billard avorté dans la recapitalisation du quotidien Le Monde. Analyse et explications de ces deux observations.

Force est de reconnaître que l’affaire Bettencourt-Woerth et le bras-de-fer avec Mediapart ne surgissent vraiment pas au meilleur moment pour le pouvoir élyséen. Pour autant, ces tensions exacerbées n’arrivent pas ex-nihilo. Pour s’en convaincre, il suffit de remonter un peu en arrière dans le temps pour comprendre que couvait déjà sérieusement la crise qui a conduit l’actuel ministre du Travail dans la posture particulièrement délicate qui est la sienne aujourd’hui.

L’équation délétère se met en place

Premières banderilles délétères avant la tempête

Les mois de mai et juin 2010 se déroulent dans un contexte vicié pour l’équipe gouvernementale. Un à un, les éléments délétères se mettent en place pour alimenter l’impression que certains ministres abusent allègrement des ors de la République. A la manœuvre, se trouve un vénérable et presque centenaire hebdomadaire satirique : le Canard Enchaîné. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce monument respecté (et craint également !) du journalisme d’investigation ne sera jamais vraiment conspué comme va l’être par la suite Mediapart à mesure que le bal des révélations va battre son plein.

Le coup d’envoi a lieu le 26 mai lorsque le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, est pointé du doigt car il bénéficierait de deux appartements de fonction à Paris. Rebelote immobilière le 2 juin avec cette fois la secrétaire d’Etat à la Ville, Fadela Amara, qui hébergerait occasionnellement des proches dans son appartement de la République. Une semaine plus tard, c’est au tour de Christine Boutin, ex-ministre du Logement, de subir le feu des critiques pour la rémunération de 9500 € mensuels (en plus de ses retraites d’élue) qu’elle s’apprête à toucher dans le cadre d’une mission sur la mondialisation confiée par l’Elysée. Christian Blanc, le secrétaire d’Etat au Grand Paris fait également son apparition à cause de contentieux fiscaux. La semaine suivante, il reste en scène avec cette fois une facture de 12 000 € de cigares haut de gamme payés sur les deniers de l’Etat. Dans le jeu de massacre, un autre compère gouvernemental le rejoint. Il s’agit d’Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Francophonie, qui aurait établi une fausse déclaration pour obtenir un permis de construire permettant d’agrandir sa villa personnelle. En début d’année, le même personnage s’était déjà distingué avec l’onéreuse location d’un jet privé pour assister à une conférence en Martinique.

Au-delà de l’empilement des dossiers qui fait mauvais genre pour la crédibilité du gouvernement, toutes les affaires mentionnées ci-dessus ont un point commun et un ferment de crise redoutable : l’argent public indûment utilisé par des ministres en exercice. Pas vraiment le genre d’argument sur lequel l’opinion publique actuelle est encline à passer l’éponge à l’heure où le pouvoir peaufine une indispensable mais très épineuse réforme du régime des retraites sans parler de la suppression de diverses mesures fiscales qui alourdira très probablement la déclaration annuelle de nombreux contribuables et rognera par conséquent sur le pouvoir d’achat.

Un homme au-dessus de tout soupçon mais …

Eric Woerth bien sous tous rapports … idéal pour conduire les projets clés

Maire de la discrète et huppée ville de Chantilly depuis 1995, trésorier de l’UMP de longue date, ministre du Budget puis du Travail, Eric Woerth a tout de l’archétype de l’homme politique parfait. Peu affilié aux écuries politiciennes de la droite française, il apparaît avant tout comme un homme de dossiers et un haut responsable épris de rigueur procédurale. Une image dont il a d’ailleurs joué volontiers lorsqu’il s’est lancé en octobre 2008 dans une croisade fiscale contre les indélicats contribuables français qui exfiltrent leur argent en Suisse, au Liechtenstein et aux autres paradis fiscaux prisés. Un coup d’éclat remarqué qui amène très vite son nom à circuler avec insistance dans la short-list enviée des premiers ministrables du prochain remaniement gouvernemental. Bref, Eric Woerth a la tête de l’emploi pour devenir ministre du Travail en mars 2010 et mener à bien une réforme cruciale de la présidence sarkozyste : l’explosif dossier du report légal de l’âge de la retraite.

Pourtant, derrière le portrait sans aspérité qu’on prête à Eric Woerth (médias en tête), les mines sont larvées et prêtes à exploser. Première d’entre elles et non des moindres : la double casquette de trésorier de l’UMP le soir et ministre du Budget le jour (entre 2007 et 2010). Techniquement, elle peut s’admettre dans la mesure où le détenteur fait preuve d’une étanchéité maximale entre les deux fonctions. Mais chacun sait sciemment qu’au-delà de la réalité des faits, la perception est un facteur à ne pas négliger. Or, dans un contexte général de défiance envers les politiques et de dérives à gogo, il n’y a souvent qu’un pas infime de la perception à la suspicion.

Dès lors, comment croire à l’imperméabilité des rôles entre le ministre qui pourfend les grosses fortunes fraudeuses et le trésorier qui pouvait également inviter parfois les mêmes fortunes à ouvrir le carnet de chèque pour soutenir les campagnes électorales de l’UMP, notamment à travers Premier Cercle, l’association des grands donateurs du parti présidentiel. Conflit d’intérêt avéré ou pas, la question n’est plus là. L’enjeu tourne désormais autour de l’image renvoyée au corps social et de la perception ravageuse qui peut en découler. Il est surprenant que les communicants en titre n’aient pas daigné une seconde intégrer ce paramètre comme élément explosif potentiel.

L’explosivité était d’autant plus grande pour Eric Woerth que l’intrication entre monde de l’argent et monde politique se prolongeait également à travers son épouse Florence. Jusqu’à sa démission récente, cette dernière travaillait pour la société Clymène comme gestionnaire pour le compte d’une des plus grandes et influentes fortunes de France, Liliane Bettencourt en l’occurrence. La même qui est soupçonnée d’évasion fiscale et de biens non déclarés. Avéré ou fantasmatique, l’amalgame est une fois de plus impitoyable. Surtout lorsqu’on tient compte également des activités parallèles de Florence Woerth à travers son écurie de chevaux de course Dam’s qui rassemble exclusivement des épouses de PDG et de richissimes propriétaires du gotha hippique de Chantilly. Sans oublier non plus sa nomination depuis juin 2010 au sein du conseil de surveillance du groupe de luxe Hermès alors même qu’elle n’en est pas actionnaire.

Mediapart : l’élément déclencheur

A l’origine, un conflit familial. A l’arrivée, un scandale politique

Le 16 juin 2010, le fragile équilibre se rompt et Eric Woerth est happé par la tourmente médiatique. Mediapart (mais aussi le magazine Le Point que personne n’attaquera ouvertement par la suite) dévoile des extraits d’enregistrements de conversations piratées entre l’héritière de L’Oréal et ses principaux conseillers. Dans ces documents audio, il est question de diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, de comptes en Suisse, de relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que des immixtions de l’Elysée dans une procédure judiciaire entre Liliane Bettencourt et sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers.

La bombe est énorme. Les réactions d’Eric Woerth sont discrètes mais maladroites puisqu’il déclare dans un premier temps, ne pas connaître Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre qui est à la tête de Clymène. Un faux-pas là encore surprenant car très vite, les éléments contraires remontent à la surface. Patrice de Maistre n’est autre que l’employeur de Florence Woerth depuis 2007. Le même qui est ensuite décoré de la Légion d’Honneur en janvier 2008 des mains du ministre du Budget. Par la suite, Patrice de Maistre ouvrira également son agenda aux policiers enquêteurs où il est établi qu’Eric Woerth et lui se sont rencontrés à plusieurs reprises entre 2007 et 2009.

Côté médias, le timing implacable se poursuit. Si Mediapart mène effectivement la charge, les autres médias ne sont pas en reste. Le 26 juin, c’est le Journal du Dimanche qui publie un article faisant état d’une enquête fiscale sur Robert Peugeot. Enquête qui aurait bénéficié d’une intervention en haut lieu. Le journal effectue notamment un rapprochement entre l’héritier de la famille éponyme et Eric Woerth grâce à un dîner entre les deux hommes en décembre 2009 et la remise d’une Légion d’Honneur en juin 2010 par le ministre. La défense d’Eric Woerth ne varie pas d’un iota : démenti sur toute la ligne.

Pourtant, un nouveau coup de théâtre intervient au même moment. Cette fois, il s’agit du procureur de Nanterre, Philippe Courroye qui explique avoir saisi dès 2009 l’administration fiscale de possibles fraudes de la milliardaire Liliane Bettencourt. Un élément gênant qui vient contredire la défense du ministre qui nie avoir eu connaissance d’un quelconque dossier fiscal Bettencourt depuis que les écoutes clandestines ont été publiées par Mediapart et Le Point. Une ligne défensive qu’Eric Woerth continue pourtant d’impulser avec détermination lors de l’émission Grand Jury de RTL/LCI/Le Figaro du 27 juin.

Après le déni, la citadelle assiégée

Tous les ténors de la majorité montent au créneau. Ici, Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP

Au niveau gouvernemental, la machine se met en marche et fait bloc autour du ministre incriminé. Lors de l’émission radio du 27 juin, trois ténors du gouvernement figurent ostensiblement parmi l’assistance : Luc Chatel, ministre de l’Education Nationale et porte-parole, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP. Après une dizaine de jours de crise et de négation, la ligne de communication du gouvernement tente désormais de s’organiser d’autant que l’opposition commence à remuer fortement en réclamant une commission d’enquête. François Baroin, le ministre du Budget, saisit alors l’Inspection Générale des Finances (IGF) pour « tout mettre sur la place publique » selon ses termes. Objectif : gagner du temps, éviter toute démission forcée et déplacer le problème fiscal autour du conflit familial entre mère et fille et de leurs consubstantiels règlements de compte (notamment à travers les écoutes pirates).

Parallèlement, les hauts responsables de la majorité donnent de la voix en dénonçant « une chasse à l’homme » et une campagne de « harcèlement ». Ainsi, Xavier Bertrand réaffirme (1) : « Il n’y a pas pour Eric d’incompatibilité entre le rôle de trésorier de l’UMP et sa tâche de ministre ». Autre élément poussé en avant concomitamment par le gouvernement dans les médias : la réduction du train de vie de l’Etat avec la symbolique suppression de la garden-party du 14 juillet et une compression des dépenses à tous les étages des ministères. Un coup d’épée dans l’eau semble-t-il puisque le chef de l’Etat ne cesse au final de dévisser dans les enquêtes d’opinion et de battre record d’impopularité sur record d’impopularité. Quant au soupçon, il prend une consistance inquiétante. Il est à peine ébranlé par les démissions fracassantes de Christian Blanc et Alain Joyandet, victimes expiatoires un peu cousues de fil blanc qui ne parviennent pas à faire taire les interrogations et les rumeurs diverses qui s’agitent autour du dossier Woerth-Bettencourt.

Après la citadelle assiégée, la riposte et le bouc émissaire

Le 1er juillet, c’est un nouveau pavé dans la mare que lance le site Mediapart en révélant qu’Eric Woerth a avalisé la restitution de 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt dans le cadre du bouclier fiscal. Le lendemain, c’est Le Monde qui évoque un dîner en 2008 entre Eric Woerth et Liliane Bettencourt au domicile de celle-ci. Quelques jours plus tard, la série noire continue de plus belle. Le 6 juillet, Mediapart publie un entretien avec Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. Il y est question d’une somme de 150 000 € en liquide remis à Eric Woerth en 2007 pour financer la campagne électorale de Nicolas Sarkozy.

Cette fois, la guerre est déclarée. Eric Woerth monte au créneau. Sur le plateau du JT de 20 heures de TF1, il contre-attaque de manière incisive en insistant sur le fait qu’il n’a rien à se reprocher et dénonce une cabale orchestrée par l’opposition socialiste. Dans la foulée, il porte plainte contre X pour dénonciation calomnieuse au sujet de financements illégaux d’activité politique qui lui sont imputés.

Sur le site Internet de l’UMP, l’heure est également à la contre-offensive générale. La page d’accueil du site est ainsi quasi intégralement consacrée au soutien d’Eric Woerth. Citations de barons de la majorité, argumentaires en ligne, invitations à soutenir le ministre via Facebook, commentaires enflammés sur Twitter, rien ne manque pour se lancer dans la bataille des arguments et sauver le soldat Woerth.

A cette occasion, la vieille antienne de la presse déviante et manipulée ressort des tiroirs. François Mitterrand avait déjà vilipendé les journalistes à la mort de Pierre Bérégovoy en mai 1993 en les accusant d’avoir « livré l’honneur aux chiens ». La presse a à nouveau droit à une volée de bois vert de la part du gouvernement et des poids lourds de la majorité présidentielle. Mais c’est surtout Mediapart qui cristallise le feu nourri des attaques et qui devient le bouc émissaire. Sur RTL, Xavier Bertrand, compare Mediapart à « un site qui utilise des méthodes fascistes ». Sur France Info, Christian Estrosi reste dans le même registre en assimilant le site à « une certaine presse des années 30 » (faisant probablement référence à l’affaire Stavisky). Nicolas Sarkozy en personne s’émeut aussi des attaques. Il cible nominativement Edwy Plenel, le directeur et fondateur de Mediapart en l’objurguant sur sa déontologie pour avoir publié les enregistrements illégaux du majordome alors que le même Plenel s’était posé en victime des écoutes pratiquées à son propre égard par le gouvernement Mitterrand dans les années 80 lors de l’affaire Farewell.

Le théorème de la manip’ en filigrane

Mais au-delà des méthodes journalistiques de Mediapart qui sont morigénées, la stratégie de communication de la majorité présidentielle vise désormais à accréditer la thèse de la manipulation à tous les niveaux. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’Economie numérique, Mediapart a « truqué » les faits dans une optique purement mercantile.  Interrogée par France Inter, son analyse dénonce une marchandisation de la rumeur comme modèle économique de l’information : « Les sites d’info en ligne ont du mal à trouver un modèle économique équilibré. Ca n’autorise pas Mediapart à faire n’importe quoi. La calomnie n’est pas un modèle économique. Mediapart a essayé de récupérer des abonnés en calomniant, en créant la sensation » (2).

La veine de l’argument économique est également creusée par Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la Famille pour développer un autre contrefeu, celui de la manipulation politique : « Les journalistes sont des bœufs » (3). Pour elle, ils colportent « les allégations d’un site de ragots dont on connaît la proximité avec Ségolène Royal qui a appelé ses militants à s’abonner ». Elle réitère ses propos en estimant que « on est dans une opération qui consiste à renflouer les caisses de Mediapart parce qu’ils ne sont pas à l’équilibre financier » (4).

Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP et à la manoeuvre pour dénoncer le complot

D’autres poussent encore plus loin le théorème de la manipulation délibérée. C’est notamment le cas de l’incontournable sniper et porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre qui voit dans Mediapart, « un site aux méthodes inqualifiables financé par un riche homme d’affaires » (5). Entre les lignes, c’est en fait Xavier Niel qui est directement visé. Investisseur majeur de la première heure dans le capital de Mediapart, l’actuel président de l’opérateur de télécommunications Iliad (plus connu sous sa marque commerciale Free), vient de remporter la mise en entrant tout récemment dans le capital d’un autre média, Le Monde aux côtés de deux autres investisseurs marqués à gauche, le banquier Mathieu Pigasse et l’entrepreneur du luxe Pierre Bergé. Entrée faite de surcroît au détriment de l’offre de recapitalisation défendue par le trio Prisa, Perdriel/Nouvel Observateur et l’opérateur Orange. Laquelle offre était publiquement soutenue par … Nicolas Sarkozy.

Eteindre l’incendie et retourner les accusations

Après la discrétion des premières semaines, la communication de la majorité est devenue omniprésente. Ultra-réactive, elle s’empare alors des moindres failles du dossier. L’une survient le 7 juillet. Interrogée par la police, l’ex-comptable se rétracte quelque peu par rapport aux déclarations accordées à Mediapart, en particulier sur l’exactitude des dates où une supposée remise d’argent aurait eu lieu avec Nicolas Sarkozy. Elle affirme aux enquêteurs : « C’est totalement faux. C’est de la romance de Mediapart » (6).

Le vocable « romance » devient aussitôt le verbatim fer de lance de l’Elysée et ses soutiens qui glosent alors avec un plaisir gourmand sur les hésitations et les volte-face de celle que Mediapart présentait comme « l’arme fatale » du dossier Woerth-Bettencourt. Tous enfoncent le clou sur le travail jugé approximatif des journalistes. François Fillon affirme : « Aujourd’hui, nous sommes face à un adversaire insaisissable et sournois qui a pour nom la rumeur, le soupçon et le procès d’intention » (7).

Le Figaro clairement rangé aux côtés de la majorité gouvernementale

Réputé pour sa proximité d’avec le pouvoir en place, Le Figaro titre le 9 juillet « Le témoignage boomerang contre l’accusation ». En pages intérieures, son directeur Etienne Mougeotte signe un éditorial au vitriol intitulé « Chasse à l’homme » où il fustige ceux qui ont propagé les attaques et où le Web (sous-entendu Mediapart) devient le bras armé de la calomnie : « Les temps nouveaux de la révolution numérique ont engendré une novation avec Internet. L’instantanéité et la mondialisation du Web permettent de donner à une simple rumeur une visibilité immédiate et universelle ».

Plus loin, il donne une leçon de journalisme à Mediapart qui selon lui « a dérogé à deux règles de l’art. Il a publié des accusations sans les avoir vérifiées, il a orienté le témoignage de l’ancienne comptable de Mme Bettencourt pour lui faire dire autre chose que ce qu’elle voulait dire ». L’autre éditorialiste maison, Ivan Rioufol est du même acabit et enfonce Mediapart sur les mêmes arguments. Le Figaro en conclut que « pour l’Elysée, la vérité est rétablie » en reprenant le satisfecit prononcé par le secrétaire général de la Présidence, Claude Guéant.

A écouter les commentaires des responsables de la majorité, la blitzkrieg communicante est une victoire (8) : « L’urgence, c’était de desserrer l’étau autour du président de la République. Ca devenait dingue. Les rétractations de l’ex-comptable, même partielles, sont une aubaine. Mediapart n’est pas irréprochable. C’est l’essentiel. Le grand public ne rentre pas dans le détail » . A cet égard, l’intervention télévisée du 12 juillet prochain de Nicolas Sarkozy sera décisive. Soit il parvient véritablement à faire taire la controverse avec des faits nouveaux imparables, soit il risque fort de réactiver les hostilités et la pression médiatique en se contentant de déclarations incantatoires et de jugements péremptoires.

Des voix légèrement divergentes (et non des moindres) se sont déjà faites entendre. Trois anciens Premiers Ministres (Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé et Dominique de Villepin) ont publiquement évoqué la nécessité d’opérer un remaniement profond de l’équipe gouvernementale. Sur son blog, Alain Juppé trace même la voie : « Que faire pour calmer la tourmente politique? Etablir la vérité, bien sûr, sur toutes les affaires en cours. C’est la mission de la justice. Retrouver l’élan pour réformer, moderniser, dynamiser. C’est la responsabilité du Président de la République, en charge de l’essentiel. Et, sans doute, remettre le gouvernement en situation de gouverner, ce qui passe, au moment que le Président jugera opportun, par un profond remaniement mais aussi par un changement de méthode ».

Concernant la communication élyséenne, rien ne remplace effectivement l’objection des faits à la gesticulation médiatique pour tuer la rumeur s’il s’agit véritablement de cela. C’est à cette ligne de conduite communicante (et non pas à un tir de barrage implacable contre Mediapart) que les conditions de l’objectivation du débat pourront émerger si l’on souhaite que vérité soit faite, innocence prouvée et sérénité des débats retrouvée.

Conclusion : Des faits, rien que des faits !

Quelle issue désormais ?

Le camp du ministre Woerth aurait tout intérêt à verser publiquement au dossier des éléments qui permettraient d’infirmer ce qui est actuellement fortement mis en cause par les révélations de Mediapart (et d’autres médias comme Marianne 2, Le Point, Le Journal du Dimanche) plutôt que déployer une énergie immense à allumer des contrefeux, désigner des boucs émissaires et crier au complot. Ces arguments usés jusqu’à la corde depuis des décennies ne suffisent plus à convaincre le corps social et à restaurer la confiance.

Au-delà de l’actuelle et grave affaire politico-médiatique, l’enjeu est prioritairement sur la capacité à engager les véritables réformes structurelles et structurantes pour l’avenir du pays. Sans la confiance restaurée, le fracas des mots risque de perdurer et de profiter aux agitateurs de peurs, aux tenants populistes du « tous pourris ». Simone Veil et Michel Rocard s’en sont d’ailleurs vivement émus dans une lettre ouverte publiée dans Le Monde.

Au lieu de cela, le citoyen français se retrouve aujourd’hui confronté à un incertain ring de catch où des politiques tentent de vanter des réformes et où nombre d’entre eux se retrouvent empêtrés dans les mailles des conflits d’intérêt et de l’argent roi. Difficile dès lors de ne pas tomber dans une communication schizophrénique et de ressortir du placard, les bonnes vieilles ficelles de la presse pourrie, de la manipulation trotskyste et autres florilèges de cette communication éculée. Difficile mais très dangereux pour la démocratie !

Epilogue : Et Mediapart dans tout çà ?

Dans le combat homérique qu’est devenue l’affaire Woerth-Bettencourt, faut-il également voir les premiers faits d’armes fondateurs du webjournalisme en France ? Une chose est certaine. Avec leur mise en ligne sur le site de Mediapart, la publication des écoutes téléphoniques pirates du majordome s’est déployée à une vitesse supersonique via Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux, obligeant l’ensemble de la presse à embrayer dare-dare. Le Point publiera d’ailleurs de manière quasi concomitante et les autres confrères consacreront une pagination importante aux rebondissements variés de l’affaire.

Mediapart joue désormais dans la cour des grands de l’info

C’est d’ailleurs parce que l’affaire Woerth-Bettencourt s’est répandue comme une traînée de poudre que beaucoup en ont profité pour à nouveau brandir le spectre de l’Internet poubelle et usine à rumeurs. Pour Hervé Morin, président du Nouveau Centre et ministre de la Défense, l’explication à cette «calomnie» est simple à comprendre (9) : «Une compétition effrénée entre la presse médiatique classique et internet (…) où plus rien n’est contrôlé (…) où on ne prend pas le temps, un seul instant, de vérifier simplement l’information qui vous est donnée».

Pour qui veut l’entendre, l’explication peut apparaître rassurante mais à l’épreuve des faits, elle est surtout un peu courte. Mediapart n’en est pas à son premier coup d’éclat en matière de journalisme d’investigation. A son actif, le site a déjà révélé avant l’heure les investissements hasardeux des Caisses d’Epargne en 2008 qui ont entraîné par la suite la chute du top management de la banque. Plus récemment, c’est lui encore qui a publié des révélations inédites sur l’affaire de l’attentat de Karachi et des rétro-commissions occultes. De plus, sa rédaction abrite en son sein des journalistes chevronnés et peu enclins à l’information dont la presse de caniveau se satisfait en revanche aisément. Dans une interview à Libération, François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart, estime d’ailleurs que « romancer les propos de la comptable, ça aurait été signer notre arrêt de mort ».

Pour autant, est-ce une victoire du Web contre la « Old Press » comme d’autres se plaisent à le commenter ? Là aussi, l’explication semble séduisante pour les acharnés du journalisme numérique tellement la presse traditionnelle est fréquemment accusée de conformisme, d’auto-censure quand ce n’est pas de collusion systématique. Cependant, plutôt que voir une victoire d’un canal de diffusion sur les autres, il faut avant tout voir un travail d’investigation journalistique mené par des professionnels. Plus que le canal dont ils se sont servis pour publier le résultat de leur enquête, c’est avant tout le temps et les moyens (les budgets sont pourtant peu élevés chez Mediapart !) investis par le media qui ont rendu possible une telle enquête. Laquelle aurait pu tout aussi bien se retrouver dans les colonnes d’un grand journal ou d’un magazine télévisé si une décision éditoriale avait été prise en ce sens.

Pour en savoir plus

– Pour suivre l’actualité sur le site de Mediapart : www.mediapart.fr
– Sur l’affaire Mediapart et le dossier Woerth-Bettancourt, lisez le reportage d’Eric Pfanner du New York Times – « French news website shakes Sarkozy » – 8 juillet 2010

Sources

(1) – Le Point – « L’été meurtrier » – 8 juillet 2010
(2) – France Inter – journal de 7 h 30 – 9 juillet 2010
(3) – Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin – « Affaire Woerth : l’Elysée espère retourner la situation » – Le Monde – 9 juillet 2010
(4) – Jean-Baptiste Garat – « L’UMP dénonce les « méthodes » de Mediapart et d’Edwy Plenel » – Le Figaro – 9 juillet 2010
(5) – Ibid.
(6)  Cyrille Louis – « Je n’ai jamais dit que des enveloppes étaient remises régulièrement à M. Sarkozy » – Le Figaro – 9 juillet 2010
(7) – Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin – « Affaire Woerth : l’Elysée espère retourner la situation » – Le Monde – 9 juillet 2010
(8) – Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin – « Nier, attaquer, triompher, la stratégie à risque de l’Elysée » – Le Monde – 10 juillet 2010
(9)  – Interviews d’Hervé Morin sur RMC et BFM-TV



4 commentaires sur “Communication & Information : 2 observations sur Mediapart et l’affaire Bettencourt–Woerth

  1. yhakov  - 

    Ces gens là demissionent et puis s’en vont; moi où vous tous; nous faisons pareil nous allon en taule. Le vrai scandale est là ! La coupe est pleine vous ne croyez pas ? Merci a Mediapart de denoncer tous ces scandales c’est vrai qu’on a pas beaucoup attaqué le canard enchainé ces jours-ci Bizarre …

    1. Olivier  - 

      Le tir concentré sur Mediapart visait probablement à régler quelques comptes particuliers. Le Canard Enchainé vient à nouveau de sortir une nouvelle histoire et bizarrement on n’entend personne dénoncer le complot trotskyste !

  2. Gilbert Kallenborn  - 

    Excellente analyse. Au final, la comm gouvernementale a réagi de manière très classique, voire plan-plan. Et pourtant, ces dirigeants doivent être entourés de coachs divers et variés, qui ne peuvent pas tous être nuls et qui auraient dû se rendre compte bien avant des risques liés aux collusions et aux conflits d’intérêt. Mais, si cela se trouve, ces risques ont bien été cernés, pesés et acceptés. Auquel cas ce n’est plus un problème de comm, mais de morale politique.

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