Eric Zemmour ou la communication victimaire à son paroxysme

Que d’encre et de salive n’aura-t-il pas fait couler cet Eric Zemmour ! Entre son dernier sulfureux opus « Le suicide français », sa controversée interview au Corriere della Sera et son éviction soudaine d’iTélé, le journaliste pamphlétaire a continué de saturer l’espace médiatique selon la vieille tactique communicante de la victime injustement mise au ban. Et si l’exclusion n’était pas forcément la réponse appropriée ?

Longtemps, Eric Zemmour n’aura été qu’un scribouillard rageur s’agitant dans les colonnes amidonnées de la presse de droite conservatrice tout en publiant quelques biographies politiques sans envergure. Déjà, il y touillait à l’époque ses obsessions intrinsèques sur les races, l’immigration, l’identité française et la décadence des genres sexuels dans la société. Dans sa chrysalide de papier conquise d’avance à ses thèses, Eric Zemmour a fourbi et rôdé les armes rhétoriques qui lui offrent aujourd’hui un écho médiatique sans précédent.

Provoquer pour exister

Sans "On n'est pas couché", Eric Zemmour serait probablement encore un obscur polémiste

Sans « On n’est pas couché », Eric Zemmour serait probablement encore un obscur polémiste

D’une intelligence redoutable au verbe ciselé, Eric Zemmour n’est au final qu’un provocateur excellant dans l’art du politiquement incorrect. Fort de sa quincaillerie idéologique qu’il sait disruptive et sous le prétexte racoleur de combattre la « bien-pensance » et le « politiquement correct », l’homme sulfate à tout va et assène ses ratiocinations comme un procureur sûr de son fait. Il aurait pu demeurer longtemps confiné dans son monde de naphtaline un brin suranné si la télévision ne lui avait pas offert une incomparable chambre d’écho.

Médiatiquement, Eric Zemmour n’existe effectivement que depuis 2006. Année où il rejoint le plateau du talk-show de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché » pour former un duo décapant avec Eric Naulleau, autre trublion qui n’a pas sa langue dans sa poche.

A partir de cette tribune hypermédiatique qui lui ouvre les portes de la notoriété, Eric Zemmour va mettre en branle la mécanique communicante qui forge et nourrit le personnage qu’il est devenu aujourd’hui. Entre coups de griffe péremptoires envers les invités qu’il n’aime pas et élucubrations politiques et sexistes personnelles qu’il dégaine tous azimuts, Eric Zemmour est le prototype parfait de la créature médiatique clivante qui n’en finit pas d’accoucher de polémiques bruyantes pour mettre ainsi l’audimat en état priapique. Lorsqu’on y regarde en effet de plus près, Eric Zemmour n’est qu’une collection ébouriffante de déclarations « borderline » dont le but est de systématiquement susciter le fracas et l’indignation. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux poursuites judiciaires et admonestations du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) dont il fait l’objet de manière récurrente.

Se victimiser pour durer

Zemmour - supportersChaque rodomontade de l’impétrant ne survient jamais au hasard. Tel le gamin turbulent qui cherche la taloche pour mieux pleurer ensuite à chaudes larmes, Eric Zemmour titille sciemment les zones de crispation de la société française. Plus il envoie du lourd, plus il sait qu’en retour les cris d’orfraie alimenteront sa posture d’incompris injustement conspué. Depuis qu’il est devenu une figure médiatique incontournable, il s’adonne sans retenue à la ficelle victimaire qui s’articule toujours de la même façon. D’abord, je balance une bonne grosse assertion subversive comme celle de « Pétain ayant sauvé des Juifs ». Ensuite, je surfe sur les réactions outrées exigeant excuses, sanctions et réparations. Enfin, je chouine au motif qu’on ne respecte pas mes idées et qu’on tente d’étouffer ceux qui ne pensent pas comme les autres. A l’heure actuelle où écosystème médiatique et réseaux sociaux se repaissent goulument des clashs binaires, c’est automatiquement bingo pour Eric Zemmour.

Son éviction d’i-Télé a procédé du même ressort. A l’origine, Eric Zemmour donne une interview au quotidien italien Il Corriere della Sera où il se prend à rêver d’un fantasque retour au pays des immigrés vivant actuellement en France. Evincé par la chaîne d’information pour ces propos sulfureux, il n’a alors plus qu’à capitaliser sur l’inéluctable vague d’indignation contre la censure pour endosser les oripeaux de la victime expiatoire idéale et iniquement bannie des médias. Dans cette victimisation orchestrée, Eric Zemmour ne manque jamais d’ajouter l’incontournable couplet de l’ostracisme de la presse. Pourtant lorsqu’on décompte le nombre de ses interventions en télé, radio et presse nationale, on en vient à fortement douter du sens sémiologique du mot « ostracisme » !

Ainsi fonctionne Eric Zemmour. Sortez le par la porte, il reviendra encore plus fort par la fenêtre avec son cortège de supporters enamourés sur les médias sociaux. Il suffit à cet égard de taper sur Google pour tomber sur un nombre incroyable de comptes Twitter et de blogs défendant à corps perdu leur champion. Avec toujours la même ritournelle diablement efficace qui veut s’insurger contre « la police de la pensée », la « fatwa médiatique », « l’étouffement de la dissidence », etc. Autant d’affirmations fortes qui renforcent et cultivent à l’envi le mythe auréolé d’un Zemmour vaillant à l’instar d’un Alexandre Soljenitsyne ferraillant contre la censure totalitaire des soviets. Conséquence : répondre à l’outrance de Zemmour par l’excès de zèle ne fait que consolider la stratégie de communication d’un fonds de commerce bien rôdé. Autant le laisser pérorer comme bon lui semble. A force de se sentir intouchable et tout-puissant, Eric Zemmour finira par faillir de lui-même.

Pour aller plus loin

– Lire le très complet portrait d’Ariane Chemin – « Et Zemmour devint Zemmour » – Le Monde – 8 novembre 2014



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