Affaire Johnny/Dr Delajoux : Allumer la com …

« … Et voir grandir la flamme dans vos yeux » ! Et de flamme, le « satané » docteur Stéphane Delajoux a dû effectivement affronter quelques retours dans sa rocambolesque controverse avec le vénéré rockeur Johnny Hallyday. L’entourage du chanteur a particulièrement bien su exploiter à son avantage les ressorts d’un canevas médiatique récurrent et redoutable pour qui se voit précipité du mauvais côté de la barrière : l’indissociable binôme « victime – coupable ». Certains médias n’ont d’ailleurs pas hésité à transformer le Dr Delajoux en bouc émissaire idoine, abondant ainsi dans le sens de la communication du chanteur visant à protéger des enjeux qui sont largement au-delà du bulletin de santé défaillante du Jojo national.

Le canevas médiatique « victime-coupable » repose sur un mécanisme largement rôdé et à l’impact médiatique toujours efficace. Comme dans les contes enfantins, la répartition des rôles est bien bordée et particulièrement binaire avec d’un côté, les bons, les gentils et les vertueux, et de l’autre, les mauvais, les méchants et les vicieux. A partir de là, toutes les combinaisons sont possibles pour rendre l’histoire croustillante ou le débat émoustillant.

Dès qu’une échauffourée commence à poindre dans les médias, celle-ci fonctionne invariablement sur l’axiome qui veut qu’à toute victime doit correspondre un ou des coupables. Pré-requis accusateurs et clichés victimaires prennent vite le pas sur toute autre considération éditoriale. Les journalistes jonglent alors dangereusement entre le brevet « d’innocence » et le délit de « sale gueule ».

Sur le ring des réputations et des symboles

Duel de réputations

L’histoire de l’opération de la hernie discale de Johnny Hallyday par le Dr Delajoux n’a précisément pas échappé à cet engrenage implacable. Dès lors, il devient très difficile de lire entre les lignes et de décrypter les vrais enjeux de fond tellement le poids caricatural des personnages prédomine et occulte toute la rationalité qu’il conviendrait pourtant d’adopter dans une telle affaire. Il faut bien avouer que sur ce ring médiatique, le casting relève de la quasi perfection !

Dans le rôle de la dite « victime », on trouve un monstre sacré de la chanson française à faire pâlir d’envie n’importe quel artiste, y compris les plus chevronnés. Johnny Hallyday est une époustouflante industrie à lui tout seul (1) : 51 ans de carrière et quasiment jamais d’éclipse, plus de 1000 chansons enregistrées, 40 disques d’or, 22 disques de platine, 3 disques de diamant, 9 Victoires de la musique et au final près de 200 millions de disques, CDs, cassettes vendus.

En plus d’être un chanteur à succès et un acteur plutôt talentueux, Johnny Hallyday alimente également une saga croustillante faite de mariages, de divorces, de bringues fastueuses, de femmes somptueuses et de vie flambée par les deux bouts. Pour parachever ce décorum ébouriffé, on retrouve également dans le sillage de Johnny, le ban et l’arrière-ban du gotha artistique français (et même politique avec des fans affichés comme Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin, Eric Besson ou encore Rachida Dati) qui ne manquerait pour rien au monde l’un de ses méga-giga concerts aux effets scéniques à profusion dans les plus grands stades de l’Hexagone. En d’autres termes, Johnny Hallyday est une idole intouchable et indissociable du patrimoine artistique tricolore qu’aucune frasque ne saurait flétrir suffisamment aux yeux de ses fervents admirateurs.

Face à cette figure tutélaire du rock français, le docteur Stéphane Delajoux n’est pas non plus le premier venu en termes d’aura médiatique. Certes, il ne jouit pas du niveau de célébrité et de popularité de Johnny mais il bénéficie déjà d’une notoriété bien établie qui lui vaut le sobriquet à double tranchant de « chirurgien des stars ». En 2003, il est plongé au cœur d’un fait divers retentissant en étant le neurochirurgien qui tente de sauver désespérément l’actrice Marie Trintignant mortellement blessée par les coups de son compagnon, Bertrand Cantat, le chanteur de Noir Désir. Malgré l’échec de l’opération, il reste abonné à la rubrique « people » en opérant cette fois avec succès, la chanteuse et actrice Charlotte Gainsbourg, victime d’une hémorragie cérébrale. Fort d’un physique de playboy plutôt avenant, il est même propulsé dans les pages de Paris Match grâce à son idylle avec l’actrice Isabelle Adjani.

Le beau pedigree médiatique est toutefois émaillé par une existence tumultueuse. Jeune interne, il se livre à une escroquerie à l’assurance qui lui vaudra une incarcération de 45 jours, de la prison avec sursis et une lourde amende. Par la suite, il est condamné à plusieurs reprises à verser des indemnités à des patients consécutivement à des plaintes postopératoires. Sans parler des démêlés disciplinaires qu’il rencontre avec le conseil de l’Ordre des Médecins. Plus récemment, la vie du médecin connaît à nouveau une tournure polémique avec une séparation fracassante d’avec Isabelle Adjani qui l’accuse de surcroît d’avoir détourné de l’argent initialement prêté pour un projet humanitaire. Avec une réputation aussi contrastée, le docteur Delajoux apparaît donc comme un personnage sulfureux.

Emotions en stock

Tour 66 constitue le point d’orgue final de la phénoménale carrière de Johnny Hallyday

La rencontre entre le chanteur et le docteur a pourtant commencé sous les meilleurs auspices. Elle remonte à octobre 2008 où le rockeur choisit le chirurgien pour se faire opérer très discrètement de la hanche. L’intervention est une réussite même si elle ne sera pas rendue publique. Par la suite au début de 2009, les deux hommes connaissent même un épisode commun inattendu lorsque Laura Smet, la fille de Johnny, s’éprend de Julien Delajoux, trader et frère du chirurgien. Tout semble donc baigner dans l’atmosphère de carnet rose lorsque Johnny Hallyday confie à nouveau sa santé dans les mains du docteur Delajoux en novembre 2009 pour soigner une hernie discale. Et pourtant !

Devant les douleurs persistantes, le chanteur choisit en effet d’interrompre sa tournée intitulée Tour66. Sur le thème de la célèbre « route 66 » qui traverse les Etats-Unis, cette tournée doit constituer le point d’orgue final de la phénoménale carrière de Johnny Hallyday. Phénoménal est également l’enjeu financier de cette tournée dont le coût de la création est estimé à 2 millions d’euros sans parler des frais de location des salles et des stades où doit se produire l’artiste. Or, ce qui ne devait être initialement qu’une interruption temporaire se transforme quelques jours plus tard à l’orée de décembre 2009 en une annulation sine die devant la dégradation de la santé du chanteur depuis l’opération.

L’emballement médiatique est énorme. Il commence d’abord avec un cliché qui fait grand bruit : l’arrivée du monstre sacré avachi et mine fermée dans une chaise roulante à l’aéroport de Los Angeles. L’émoi est vif pour l’opinion publique plus habituée à voir un Johnny tous muscles saillants suer sang et eau sur scène dans un show volcanique entre cascades athlétiques et effets pyrotechniques.

Le choc de l’image d’un Johnny jamais vu ainsi

L’effet heuristique de cette image va avoir un impact d’autant plus ravageur dans la perception du public et des médias que le chanteur est plongé peu de temps après dans un coma artificiel par les médecins de la clinique Cedars-Sinai, l’établissement des stars d’Hollywood situé à Los Angeles. La ville même où six mois plus tôt, une autre idole planétaire du nom de Michael Jackson s’est éteinte d’un arrêt cardiaque dû à un surdosage médicamenteux administré par son médecin traitant.

Il s’ensuit alors un invraisemblable ballet de personnalités françaises accourant au chevet du rockeur dans une ambiance à la limite de l’oraison funèbre et sous les caméras quasi live des chaînes de télévision. Les éléments victimaires du drame sont désormais en place. Il ne manque plus que la mèche pour déclencher le feu accusateur.

Paroles contre paroles

Elle ne va pas tarder à entrer en scène de la bouche de l’inoxydable et incontournable producteur de l’idole, Jean-Claude Camus. Celui-ci traite ouvertement sur une radio française le Dr Delajoux de « boucher » ayant commis un « massacre ». Et Maître Olivier Metzner, l’avocat vibrionnant du chanteur d’embrayer aussitôt sur le registre du médecin voyou en le qualifiant de « Dr Jekyll » et de « médecin à ne pas consulter » car « sans scrupules ». La suite va être désormais une bataille de communication.

Le Dr Delajoux (à droite) et son avocat Hervé Temime

Sévèrement mis en cause, le Dr Delajoux n’entend pas endosser pour autant le costume préfabriqué du « bouc émissaire » que la partie adverse entend lui coller de facto. Malgré ses dénégations énergiques où il s’offusque de la « chasse à l’homme », il doit batailler avec sa réputation trouble que ses contempteurs n’hésitent pas à rappeler à tout moment. Séparation houleuse avec Isabelle Adjani, arnaque à l’assurance, plaintes d’anciens patients, agression par des inconnus, tous les arguments sont bons pour enfoncer le Dr Delajoux et lui affubler la casquette de coupable en titre. Entre les camps du « boucher » et de la « bête de scène », tous les coups sont permis à tel point que des experts médecins sont missionnés en décembre 2009 par la justice française pour tenter de démêler les causes et les responsabilités exactes.

Le conflit se déplace aussi sur le front des médias. L’Express publie d’abord une interview le 13 avril où le Dr Delajoux démonte point par point toutes les attaques qui lui sont objectées. L’hebdomadaire révèle ensuite en exclusivité le 26 mai des extraits du rapport médical rédigé par les médecins américains. Il est notamment question de l’addiction alcoolique hors limite du chanteur qui pourrait compliquer sa convalescence et qui aurait conduit les praticiens du Cedars Sinai à plonger Johnny dans un sommeil contrôlé. Le rapport n’impute au final aucune erreur au Dr Delajoux.

L’avocat de ce dernier, Maître Hervé Temime, s’empresse alors de commenter le scoop de l’expertise américaine qui selon lui (2) « a apporté la preuve que le docteur Delajoux a été stigmatisé d’une façon scandaleuse. Il est acquis que le docteur Delajoux a donné une indication opératoire justifiée et que les conditions dans lesquelles l’opération s’est déroulée était conforme aux règles ».

La riposte s’organise

Le JDD a pris le parti d’accabler le Dr Delajoux

C’est encore un journaliste de L’Express qui va sortir l’info sur son blog sur les médias. Le 5 juin, Renaud Revel dévoile la tenue récente d’un déjeuner à Paris rassemblant le couple Hallyday, leur avocate Virginie Lapp, l’entrepreneur Arnaud Lagardère (propriétaire notamment d’Europe 1, Paris Match et Le Journal du Dimanche), le journaliste Jean-Pierre Elkabbach et le conseiller en communication du groupe Lagardère, Ramzy Khiroun. Au menu des conciliabules selon le journaliste bien informé : restaurer à tout prix l’image malmenée du rockeur avec l’appui des moyens médiatiques du groupe Lagardère.

Faut-il y voir un lien direct de cause à effet ? Toujours est-il que le 18 juillet dernier, le Journal du Dimanche barre sans coup férir sa Une d’une manchette sur le rapport médical de Johnny Hallyday. Il consacre une double page intitulée sans pincettes « Le rapport médical qui accable le Dr Delajoux ». Les éléments publiés par le quotidien du week-end mettent largement en avant des éléments à charge contre le chirurgien, évoquant même un risque mortel auquel aurait finalement pu échapper le chanteur.

D’autres médias sont nettement plus mesurés dans leur analyse du pré-rapport d’expertise. Le Monde y voit plutôt un document qui « épargne le Dr Delajoux » tandis que L’Express s’attache à moduler les interprétations assénées par leurs confrères du Journal du Dimanche.

Conclusion : Quoi ma gueule ! Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

En attendant le rapport définitif qui doit être remis à la justice le 30 septembre prochain, il est fort à parier que les manœuvres en coulisses vont probablement s’intensifier. Les uns creuseront le sillon de l’idole victime d’un chirurgien sujet à caution. Les autres invoqueront un lynchage médiatique tellement excessif du chirurgien qu’il doit exonérer ce dernier de toute responsabilité dans les complications que l’idole a connues.

Pour l’opinion publique, seul compte l’artiste et rien d’autre (photo Gael Cornier – LP)

Dans cette affaire passionnelle qui touche quasiment à l’intime de l’inconscient collectif tellement Johnny est enchâssé dans le patrimoine artistique français, il est difficile pour les médias de relater les faits sans céder au binôme victime-coupable.

C’est d’autant plus difficile que l’opinion publique n’est elle-même pas disposée à entendre la vérité quelle qu’elle soit. Un sondage réalisé (3) en juin dernier par le magazine VSD a de quoi laisser pantois. Les résultats montrent un déni total au sein de la majorité des personnes interrogées. 72% estiment ainsi que les informations médicales (problèmes respiratoires, dépendance à l’alcool) de Johnny Hallyday auraient dû demeurer confidentielles. 80% souhaitent que les médias se concentrent exclusivement sur l’activité artistique du chanteur.

Pas étonnant dans ces circonstances que certains médias aient d’emblée joué la carte de la victimisation à outrance, quitte à pointer un peu hâtivement un coupable idéal à la vindicte populaire. Bien que la réputation du Dr Delajoux puisse être effectivement sujette à controverse, elle n’autorise pas pour autant les raccourcis et les « castings sauvages » où les rôles sont attribués d’entrée.

Pourtant, c’est encore trop souvent le cas. Un enfant dit obligatoirement la vérité, une association de militants est évidemment armée des meilleures intentions et des plus belles vertus. A contrario, un chef d’entreprise est forcément un Thénardier des temps modernes. Un curé ou un éducateur est forcément un pédophile en puissance. Un accusé au physique ingrat ou au mutisme apeuré est forcément un menteur qui cache les faits. Certains médias (Web y compris) continuent malheureusement à répandre ce traitement séquentiel de l’information selon le moule trop souvent pré-défini de la victime et du coupable.

Pour en savoir plus

– Lire l’excellent dossier réalisé par Serge Raffy – « L’affaire Johnny » – Le Nouvel Observateur – 22 juillet 2010

Sources

(1) – Chiffres extraits du site d’informations sur le chanteur : www.hallyday.com.fr
(2) « L’expertise médicale blanchit le médecin de Johnny » – L’Express.fr – 27 mai 2010
(3)  Sondage CSA/VSD réalisé par Internet du 28 au 31 mai 2010 auprès de 1014 personnes représentatives âgées de 15 ans et plus