Coup de gueule : Halte au feu sur les communicants !

Entre les rumeurs feutrées d’une possible grossesse au sein du couple élyséen et les goûts de luxe supputés d’un possible candidat socialiste à la présidentielle, c’est à chaque fois la fameuse « com » que la société civile pointe d’un doigt suspicieux et réprimandeur. N’importe quel truc qui surgit désormais dans les médias est aussitôt affublé du label « intox et manip en tous genres » et décortiqué au scalpel des Diafoirus anti-communication. J’ai envie de dire stop à la confusion et aux amalgames abusifs. Il y a certes des télescopages regrettables, voire risibles mais de là à réduire le débat à des histoires où le communicant est le bricolo conspirationniste de service m’horripile au plus haut point.

Loin de moi l’idée de voler au secours d’un éventuel projet « communication & layette » ou de la ballade strauss-kahnienne en « Porsche Panamera ». Mais il serait souhaitable qu’on arrête de clouer au pilori toute une profession au motif que d’aucuns (mais sont-ils d’ailleurs des communicants ?) feraient un usage calculateur ou opportuniste de la communication. Ce métier que j’exerce depuis maintenant plus de vingt ans n’est pas un vulgaire passe-temps de barbouze et de spin doctor uniquement mû par des objectifs machiavéliques, cosmétiques et court-termistes. La communication, c’est aussi bâtir une vision dans le temps, cultiver du sens par des actions concrètes et donner de la perspective. Il est évident que certains attributs symboliques concourent à mieux faire véhiculer les idées défendues. Néanmoins, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg tout comme un logo est l’élément identificateur d’une entreprise mais pas sa finalité intrinsèque.

Pourquoi tant de haine ?

Une berline de luxe + un homme de gauche = équation com’ impossible ? (photo AFP)

Pourtant, en parcourant la presse de cette semaine et de ce week-end, je suis atterré par la quantité d’articles de presse consacrés à la luxueuse berline allemande d’un conseiller en communication ou les soupçons de « plan com » si un éventuel bébé venait à poindre son nez au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré. Et de lire dans la foulée sous la plume prolixe des reporters qu’un homme se disant de gauche ne devrait jamais s’afficher dans une Porsche ou qu’un président à l’aube d’une joute électorale majeure jaugerait l’opportunité d’une heureuse naissance en termes de voix récoltées. Arrêtons un peu le délire ! Oui, la communication et certains de ses acteurs ne sont pas exempts de reproches mais de là à leur faire porter l’intégralité du chapeau, c’est me semble-t-il exagéré et même superfétatoire.

Ceci dit, sachons balayer devant notre porte, nous les communicants ! A force de vouloir bétonner une image monolithique et sublimée, une certaine vision communicante n’a fait effectivement qu’entretenir fâcheusement l’idée sulfureuse que la communication se résume à une vicelarde manipulation ou une occultation délibérément organisée. Il ne faut pas ensuite s’étonner, ni même geindre que les journalistes débarquent aux conférences de presse avec des idées préconçues, l’envie d’en découdre à tout prix et d’écorcher le moindre parasite dissonant dans le plan com’ général. Tant que la priorité sera donnée à la communication cosmétique et incantatoire, on risque fort d’enregistrer de nouveaux pics de tension de ce style.

Tous les communicants ne sont pas derrière chaque ligne écrite dans les journaux

Déjà en 1991, Patrick Boccard et Patrick d’Humières, à l’époque respectivement directeur de la communication d’American Express et président fondateur d’une agence de communication, s’étaient fendus d’un virulent éditorial dans Le Monde pour dénoncer les errements de certains de leurs homologues et réclamer un salutaire ménage parmi les dircoms. Pour eux, la communication devait cesser de se focaliser uniquement sur des enjeux d’image et revenir à la dimension informative (1) : « Si l’information contribue indirectement à l’image, elle n’est aucunement à son service. Les entreprises et les organisations doivent considérer qu’elles ont un devoir d’information, de plus en plus exigeant, à l’égard du public tout entier, parallèlement à la nécessité de créer un imaginaire de la marque ».

En 2009, Jacques Suart, président d’Entreprises et Médias, une association professionnelle de directeurs de la communication, s’est à nouveau inscrit totalement dans cette philosophie communicante (2) : « Il n’y a plus de magistère de la parole. L’entreprise doit en tenir compte et ses communicants, plutôt que de camper sur une position défensive, doivent accepter de recevoir la contradiction de façon plus sereine (…) C’est la seule façon de faire progresser le débat sur de grands enjeux, développement durable, employabilité, mesure de la valeur où l’entreprise a un rôle de premier plan ».

Sortir de l’impasse « trousse à maquillage »

Toujours autant de succès la trousse magique du spin doctor !

L’enjeu est en effet crucial pour les communicants comme pour les entreprises ou les institutions qu’ils représentent. A trop vouloir calquer une image sur une réalité qui ne repose pas sur des fondements concrets, les communicants s’exposent effectivement à de pernicieuses ruptures d’image dont l’emballement médiatique n’est que l’ultime mais dévastateur avatar.

Le sociologue Dominique Wolton s’insurge contre cette communication abrutissante dont les hommes politiques et leurs spin doctors sont particulièrement friands (3) : « Non seulement ils accordent une confiance de plus en plus aveugle à des spécialistes en communication qui, tout en se présentant comme modestes, se comportent en réalité en véritables Raspoutine ; mais encore, ils multiplient les opérations de communication médiatique tous les trois à six mois, en inventant chaque fois un style nouveau qui ravit les médias et les place de façon croissante dans une logique communicationnelle. Pourtant, on ne reconquiert jamais un capital politique par des opérations de communication (…) A force de se situer sur un territoire qui n’est pas le leur, les hommes politiques perdent l’altérité qui leur est indispensable ».

A force de bâtir une image, attention au décalage qui guette !

Il n’en demeure pas moins aujourd’hui que le courant qui pense la communication comme levier pour séduire à tout prix et convaincre qu’on a totalement raison, persiste encore avec vigueur. La trousse à vernis communicant a toujours du succès dans les stratégies de communication malgré les échecs patents et les coûts souvent pharaoniques des budgets engloutis dans le gloss corporate. Il n’y a qu’à se souvenir du récent documentaire que Canal + a diffusé sur la vie quotidienne de Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI. Je ne sais pas qui lui a suggéré de la jouer « Monsieur Tout le Monde » en se montrant dans sa cuisine ou en racontant face caméra et avec force détails comment il appliquait la technique à la vapeur que tout bon VRP connaît pour défroisser ses costumes. Mais toujours est-il que cela sonnait faux. Pas étonnant ensuite que la photo inopportune du même DSK descendant d’une voiture à 100 000 € l’unité au bas mot fasse désordre.

Dans cette histoire, le pire est que personne n’en sort gagnant. Ni les supporters strauss-kahniens qui ont tendance à en faire des tonnes pour défendre leur champion, ni les électeurs qui n’auront retenu que le choc des images au détriment du poids des idées et ni le candidat potentiel lui-même qui a tout de même plus et mieux à faire valoir que ces historiettes de com’ à cent sous. Qu’on aime ou pas le personnage, il est dommage que désormais tout soit cristallisé autour d’une Porsche et des costumes chics.

A quand l’authenticité du discours ?

Recentrer la communication sur les vrais débats de fond

De même, ceux qui prêtent un peu vite l’intention à Nicolas Sarkozy de profiter de l’aubaine d’une potentielle nouvelle paternité pour reconquérir l’opinion et les sondages, vont un peu vite en besogne. Certes, l’homme politique qu’il est, a déjà prouvé son sens aigu de la com’. Mais sachons ne pas déraper dans le glauque ou la supputation. C’est aussi là le rôle des communicants que de savoir élever le débat plutôt que rechercher à tout prix la martingale imagière qui assoupira et/ou ensorcellera les médias et l’opinion publique.

Laurent Habib, directeur général d’Havas France, pourfendeur patenté de ces stratégies construites par le petit bout de la lorgnette, va même plus loin dans son analyse (4) : « Les communicants doivent comprendre que les journalistes ne sont pas les porte-paroles des entreprises. Retrouvons des relations authentiques avec les journalistes comme avec les consommateurs (…) Acceptons que les contenus journalistiques ne soient pas validés, que l’entreprise n’ait pas systématiquement le dernier mot, que le conflit soit possible sans le recours au juridique (…) C’est au communicant de sensibiliser l’entreprise à la nécessité de modifier en profondeur son comportement avec les parties prenantes ». Allez hop, au garage médiatique, la Porsche ! Place au vrai débat d’idées et à l’échange d’informations !

Sources

1 – Patrick Boccard et Patrick d’Humières – « Pour une morale professionnelle de l’information » – Le Monde – 14 septembre 1991
2 – Jacques Suart – « Entreprises : communiquer dans la crise » – Les Echos – 17 novembre 2009
3 – Dominique Wolton – Penser la communication – Flammarion – 1997
4 – Karine Jamen – « Nous ne sommes plus à l’ère des consensus mais à l’heure des choix » – Com’Ent (journal de l’UJJEF) – Février 2010

Quelques articles à lire en complément

– Raphaëlle Bacqué – « La bande des quatre de DSK » – Le Monde – 14 mai 2011
– Philippe Martinat – « Ramzy Khiroun, l’homme à la Porsche » – Le Parisien – 15 mai 2011
– Arnaud Dassier – « Victime d’un buzz devenu ouragan médiatico-politique, la firme DSK contre-attaque » – Blog Engage(d) – 13 mai 2011
– Florence Muracciole – « Babygate à l’Elysée, les dessous d’une opération de com » – Grazia – 13 mai 2011
– Bruno Jeudy – « Carla enceinte ? Vous le verrez » – Le Journal du Dimanche – 15 mai 2011
– Lire aussi la note de lecture du Blog du Communicant 2.0 sur « Les Gourous de la Com » – 7 mai 2011



2 commentaires sur “Coup de gueule : Halte au feu sur les communicants !

  1. David  - 

    Hello Olivier.

    Merci pour ce bel article sur lequel je partage une grande partie de tes points de vue. Néanmoins, la limite en la com/RP « toujours propre sur elle » et le spin est parfois très fine dans la pratique. Et je pense qu’il ne faut pas être angélique sur ce point. Je développe cette idée dans mon dernier article ( http://t.co/mnTuzVJ ) tout en faisant référence à ton papier pour permettre aux lecteurs et collègues de mettre les choses en perspective…

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour David
      Merci pour ton commentaire. Il est évident que la frontière entre vraie com’ et spin comme tu dis est aléatoire, fluctuante selon les cas de figure, les cultures d’entreprises et les personnalités des communicants elles-même. Après c’est une question d’éthique qu’il appartient à chacun de se forger. Je vais tweeter ton article en attendant … Ca complète la discussion !!

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