Lancement d’Omerta : Procès en sorcellerie pro-russe justifiée ou abusive ?

Ce mercredi 16 novembre, avait lieu le lancement d’un nouveau média numérique baptisé Omerta. Se définissant lui-même comme «100% indépendant libre de toute pression », ce nouvel acteur éditorialement porté par Régis Le Sommier, ancien directeur adjoint de Paris Match et ex-grand reporter de la chaîne russe en ligne RT France, propose des enquêtes et des documentaires sur les enjeux géostratégiques et les mutations sociétales. A peine n’était-il pas encore né qu’Omerta a fait l’objet de débats agités, suspecté de véhiculer une ligne pro-russe et marquée radicalement à droite. Pour en avoir le cœur net, j’ai assisté à une partie de la soirée inaugurale à Paris (et lu beaucoup aussi).

Pas encore en ligne et déjà ciblé par de virulentes critiques. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le pré-accouchement d’Omerta qui a dû faire face à un tir nourri en deux temps du quotidien Libération. Dans un premier article en mai 2022, Régis Le Sommier est sévèrement taclé pour ses accointances avec la droite souveraine et anti-atlantiste proche de Bachar El-Assad et de Vladimir Poutine. Rebelote le 13 octobre alors que se profile l’arrivée d’Omerta dans le paysage éditorial français. Cette fois, le média est qualifié de « pro-russe dans la guerre de l’information ». Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. Face aux pressions de certains milieux activistes, l’équipe d’Omerta a dû modifier par trois fois le lieu de son lancement et opérer ces dernières 48 heures, une vraie partie de cache-cache. Alors, quelle ambiance et quelles perspectives ?

Jour de lancement

C’est en fin de compte à la Palmeraie, une salle de réception jouxtant le parc Aquaboulevard au sud de Paris, qu’Omerta a pu accueillir près de 1000 participants. Un endroit qui n’est d’ailleurs pas inconnu aux tenants de la droite radicale (voire plus) puisque c’était également là que Marion Maréchal et Eric Zemmour avaient organisé la Convention de la Droite en septembre 2019 qui rassemblait nationalistes et ultra-conservateurs sous un même chapiteau.

Le programme de la soirée était riche avec la diffusion de trois reportages sur la guerre en Ukraine côté russe, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et le phénomène sociétal de la transsexualité. D’agitation à l’extérieur, il n’y en eut point. C’est plutôt une audience tranquille et policée qui est venue assister au lancement. Avec une présence assez importante de jeunes à l’allure proprette entre cols claudine, lodens et costumes sobres d’étudiants en droit à Assas mais également des plus seniors devisant sagement entre eux sur les missiles meurtriers tombés en Pologne il y a deux jours et l’immigration illégale qui serait un plan organisé. Pour autant, pas d’identitaires prompts à la baston plutôt qu’à la discussion ou de radicalisés zemmouriens en croisade contre la décadence de la France (en tout cas pas ostensiblement).

Pas de tête d’affiche particulière

Dans le carré VIP (qui avait droit à son bar spécifique tandis que la plèbe devait se contenter d’un bar payant), pas de figures notoirement connues et issues des cercles que les contempteurs ont vite relié à Omerta. A part Henri Guaino connu pour son peu d’appétence pour l’OTAN qui débattra plus tard sur scène avec Régis Le Sommier, aucune visage fort en symbole politique n’est venu garnir les premiers rangs.

L’événement s’est ouvert avec la montée sur scène de Régis Le Sommier accompagné d’Aïcha Hmissi, jeune journaliste passée par LCI et Charles d’Anjou, investisseur et propriétaire à 100% du nouveau média. Si le discours de l’ancien directeur adjoint de Paris Match s’est essentiellement focalisé sur la volonté journalistique du projet et le souhait d’apporter une voix différente sur divers sujets en allant sur le terrain, celui de Charles d’Anjou a été quelque peu plus offensif en évoquant ouvertement une tentative de censure à l’encontre d’Omerta du fait des pressions exercées et son désir de monter un « commando » de journalistes.

Photo Marc Soyer/Alamo

La preuve par le terrain ?

La soirée s’est poursuivie avec la diffusion d’un reportage effectué par Régis Le Sommier lui-même dans les zones que l’armée russe a conquises depuis avril 2022 en Ukraine (et perdues pour partie plus récemment). L’intérêt intrinsèque du reportage est qu’il emmène le spectateur derrière la ligne de front russe dans diverses villes tenues par les occupants (notamment Kherson récemment libérée par l’armée ukrainienne). D’emblée, le travail journalistique du grand reporter n’a rien à voir avec celui de la journaliste française Anne-Laure Bonnel réalisé sur le Donbass. Autant cette dernière tirait les ficelles éculées d’une propagande poutinienne à la limite du crédible en dépeignant les Ukrainiens comme des meurtriers patentés de civils, autant le reportage de Régis Le Sommier apparaît plus équilibré.

Ainsi lorsqu’il rencontre des sommités politiques locales comme l’Ukrainien pro-russe Kirill Stremooussov (décédé depuis) ou des hommes liges envoyés de Moscou, son commentaire s’autorise des piques critiques sur le discours clairement propagandiste qui lui est déroulé. De même avec les militaires interrogés qu’il s’agisse de cosaques plutôt fanatiques de la Grande Russie ou de soldats musulmans du Daghestan sans état d’âme et idolâtrant Poutine. A la différence d’Erik Tegnér, militant politique qui se veut journaliste à travers son média en ligne Livre Noir (pro-Zemmour avant tout) qui débite l’argumentation du Kremlin, le propos est plus mesuré chez Régis Le Sommier.

Il s’attarde certes sur les civils des zones occupées qui souffrent des tirs d’artillerie ukrainiens et qui vivent dans des conditions de survie déplorables en laissant plus ou moins entendre que les troupes de Volodymyr Zelensky visent intentionnellement des cibles civiles en s’appuyant sur les propos de certains soldats russes ou ukrainiens pro-russes. Mais sans jamais mordre la ligne blanche de la propagande cousue de fil blanc à la Anne-Laure Bonnel. Au bout du compte, le reportage est instructif, extrêmement bien monté sans trop d’effets appuyés. A ce stade, difficile d’y dénicher une collusion patente avec la rhétorique poutinienne.

Des zones d’ombre subsistent

Serait-ce à dire qu’Omerta a été victime d’un mauvais procès avant l’heure ? Au vu du reportage projeté (je n’ai pas pu voir les deux autres à cause de contraintes personnelles), certaines mises en cause peuvent sembler un brin excessives mais pas sans fondements pour autant. Il y a d’abord le positionnement éditorial de Régis Le Sommier. Tant sur RT France que sur CNews et Europe 1 (médias du groupe Bolloré dont on connaît la teneur) où il intervient régulièrement comme chroniqueur, ses analyses non dénuées d’intérêt (c’est quelqu’un qui va sur le terrain) font tout de même du pied à certains arguments proférés par Poutine lui-même, notamment sur la menace que l’OTAN entend faire peser sur Moscou en élargissant volontairement sa sphère d’influence vers l’Est. C’est tout de même oublier que Poutine a suscité tant de craintes dans les ex-satellites soviétiques que ces derniers ont préféré s’abriter sous le parapluie américain sans qu’on leur torde le bras.

Autre point qu’il conviendrait de creuser à travers de cartographies digitales plus poussées mais qui dénote déjà des rapprochements idéologiques questionnables qui vont au-delà du projet journalistique. A observer en effet les profils des abonnés aux comptes Twitter d’Omerta et de Régis Le Sommier, on remarque une prépondérante proportion de gens ouvertement pro-russes, souverainistes, droite radicale, Rassemblement national et Reconquête (le parti d’Éric Zemmour). Difficile de croire qu’il s’agisse uniquement de brebis égarées s’abonnant par mégarde ou méconnaissance.

Quid de Charles d’Anjou ?

Enfin (et c’est probablement le point le plus suspect), il y a le rôle exercé par Charles d’Anjou au sein d’Omerta. Etabli en Russie depuis plusieurs années, l’homme est aussi le conseiller d’un groupe de sécurité privée russe présidé par un ancien colonel du FSB (structure héritière du sinistre KGB). Cette proximité lui permet en outre de servir de fixeur pour les médias français en Ukraine dans les zones contrôlées par les Russes. C’est d’ailleurs lui qui accompagne partout Régis Le Sommier dans son reportage. Sans oublier qu’il fut un candidat estampillé LR en 2021 aux élections des conseillers français de l’étranger (1).

Tout récemment, la Lettre A a publié un article (2) indiquant que le même Charles d’Anjou était en train de voler au secours d’un autre jeune média en ligne, Livre Noir (évoqué plus haut) dont les finances étaient mal en point du fait de divergences politiques entre les fondateurs. Avec Un Erik Tegnèr qui reste aux commandes et tenant d’une ligne pro-russe assumée. Toujours selon la Lettre A, des passerelles existaient entre les deux jeunes pousses éditoriales (transfert de personnel notamment et du directeur opérationnel d’Omerta).

Vigilance avant d’étiqueter ?

Sans établir de procès d’intention trop rapide, il va falloir surtout observer l’évolution d’Omerta et sa façon de traiter les différents sujets qui seront proposés à travers son application (disponible sur Google Play et l’App Store d’Apple – pour les abonnés seulement). Pour le moment, on remarque sur le site des contributeurs comme Alexandre de Galzain qui écrit par ailleurs pour Causeur et l’Incorrect aux lignes éditoriales clairement marquées droite dure. Encore un argument qui alimente l’idée de proximité idéologique marquée. Sans parler des articles louangeurs de Causeur et du Point, deux médias assurément à droite.

Il est toujours salutaire de voir un nouveau média se créer. Cela élargit la proposition éditoriale et permet à chaque citoyen de disposer de sources variées pour se forger une idée sur un sujet donné. Reste en revanche à clarifier la proposition journalistique qu’Omerta entend incarner. Pour le moment et si l’on se fie à la promesse affichée sur le site, il est question de rigueur et d’indépendance. Au jeune site de prouver que son actionnaire principal proche des milieux poutiniens, ne sera qu’un acteur soucieux de dividendes et pas d’autre chose.

Mise à jour du 19/11

La Lettre A a publié un très instructif article sur le parterre VIP qui composait le cercle des invités d’Omerta. Je vois que j’étais loin du compte au regard de la liste très très droitière, nationaliste, identitaire et pro-Poutine présente sur les lieux et même une journaliste russe décorée par Poutine himself ! (Forcément, je n’avais pas accès à l’espace VIP). Preuve est donc faite qu’Omerta est avant tout un faux-nez journalistique financé par un sbire de Poutine avec un recyclé de RT France à la manœuvre éditoriale.

Lire l’article de la Lettre A par Alexandre Berteau –  » Dans les coulisses de la soirée d’Omerta, le nouveau média de Régis Le Sommier » – 18 novembre 2022

Sources

– (1) – « Les dessous d’Omerta, le nouveau média de Régis Le Sommier » – La Lettre A – 12 octobre 2022
– (2) – « De Zemmour à l’Ukraine, comment le média identitaire Livre Noir a implosé » – La Lettre A – 14 novembre 2022