Risque & Progrès : Quand un mythe chasse l’autre (6/12)

L’empreinte de la philosophie des Lumières est énorme dans la perception moderne du risque. Ce dernier perd en effet son caractère exogène, longtemps issu du divin et du surnaturel, pour revêtir un caractère endogène où l’Homme détient seul les outils et la gestion du risque. Cette révolution dans la représentation du monde est fondamentale car elle précipite désormais l’Homme dans un monde désacralisé. Ce « putsch » philosophique investit les hommes d’une responsabilité immense. Ils sont dès lors, invités à vivre à l’abri des dangers, à tout mettre en œuvre pour les éviter, les réduire ou les faire reculer et non plus à s’en remettre avec soumission et passivité aux châtiments divins.

L’Homme est donc devenu l’artisan unique de sa destinée et du monde dans lequel il vit, grandit et meurt. Ce transfert de responsabilité est écrasant car maintenant, les hommes sont face à eux-mêmes et sans recours possible à des dieux vengeurs et tout-puissants.

Cette situation terriblement anxiogène explique pourquoi très vite les hommes ont substitué à la vacuité de ce pouvoir divin désormais dénudé, une confiance quasi aveugle dans les progrès industriels et scientifiques que le 19ème siècle et le 20ème siècle vont générer à cadence soutenue.

Face au risque, l’Homme est désormais maître de son destin. Un poids énorme !

Un nouveau mythe vient donc de naître que le philosophe Jean-Pierre Dupuy décrit ainsi (1) : « Il tient à ce que j’appelais en commençant l’orgueil métaphysique de l’humanité moderne. Tout ce qui fait la finitude de l’homme est rabattu au rang de problème que la science, la technique, l’ingéniosité humaine permettront tôt ou tard de résoudre. La mort elle-même est vue désormais comme un problème, ainsi que la nature lorsqu’elle nous fait obstacle (…). Leurs rêves de maîtrise risquent d’engendrer des monstres qui nous dévoreront ».

Les ingrédients du vaste quiproquo autour de la perception du risque sont désormais en place. Et d’aventure, si un grain de sable vient à gripper la belle mécanique, le paravent divin pour justifier l’accident a disparu. L’homme est véritablement en première ligne. Un transfert de responsabilité qui est loin d’être anodin.

Pour tenter de contourner ce poids nouveau sur ses épaules, l’homme place donc sa confiance dans la modernité et le progrès qui doivent mener l’humanité sur la voie d’un monde forcément meilleur où le risque serait quasi nul. En l’espace de deux petits siècles, le monde va accomplir un bond phénoménal. Des traditionnelles saignées aux sangsues et aux onguents à mi-chemin entre sorcellerie et empirisme qui prévalaient pendant des milliers d’années, on est soudainement passé à l’ère des vaccins, des molécules, du scanner, de la micro-chirurgie et de la génétique où des cellules souches pourraient reconstruire le corps humain de l’intérieur en cas de maladie ou d’anomalie.

Bien que les progrès soient avérés et indéniables, un cortège de nouvelles incertitudes va venir malgré tout obscurcir l’horizon et avec lui, bientôt la recherche de victimes expiatoires et le déni de la mort jugée inique. A suivre …

Sources

(1) – Jean-Pierre Dupuy – Petite Métaphysique des tsunamis – Seuil – 2005