Havas cesse la communication politique : bluff ou vrai pari ?

Avec les pataquès Cahuzac et DSK conjugués au vives critiques envers Stéphane Fouks, leur éminence communicante, le vice-président du groupe Havas, Yannick Bolloré annonce le retrait de son agence de la communication politique. On rembobine sur de meilleures bases ?

Avec cette décision forte, de deux choses l’une. Soit il s’agit d’une opération de com’ sur la com’ pour enrayer une dangereuse dégradation de la réputation d’Havas Worldwide suite aux retentissants fiascos du spin doctor Stéphane Fouks et ainsi calmer le jeu médiatique en attendant des jours meilleurs. Soit l’objectif est véritablement de revenir à des fondamentaux plus solides et déontologiques que la communication cosmétique si volontiers dispensée par Stéphane Fouks et ses équipes.

A l’heure d’aujourd’hui, difficile de deviner quelle intention prioritaire sous-tend cette annonce mais en tout cas, elle constitue une opportunité unique pour éradiquer les pratiques de communication politique barbouzardes et excessives qui ont émaillé la saga Fouks.

Pragmatisme chez Havas ?

Portrait officiel de Stéphane Fouks chez Havas

Si l’homme « sacrifié » tente de sauver les meubles en déclarant que cet arrêt est une option prise conjointement par Yannick Bolloré et lui-même, nul n’est dupe. Stéphane Fouks commençait à trimballer une image bien trop sulfureuse pour qu’une entreprise de la surface et de la notoriété d’Havas puisse encore se permettre d’absoudre ad vitam aeternam les embardées déontologiques de son « roi de la com » borderline. Si le conseil aux politiques est un indéniable vecteur d’influence et d’accès direct aux décideurs gouvernementaux actuels et futurs pour un groupe de communication, il n’est toutefois pas aussi rémunérateur que les énormes contrats publicitaires, marketing et digitaux que l’entreprise gère par ailleurs dans le monde pour le compte de prestigieuses marques.

Problème : Stéphane Fouks a nettement eu tendance ces dernières années à accumuler des plantages en communication politique dont la presse a largement fait les choux gras. En 2002, le personnage avait déjà été pointé du doigt comme co-responsable de l’élimination de Lionel Jospin dès le 1er tour de la présidentielle à cause d’une ligne communicante illisible. Après s’être requinqué, Stéphane Fouks et son staff s’étaient alors ingénié à fabriquer un Dominique Strauss-Kahn, futur président de la République. Pour parvenir à imposer leur créature en dépit de tout, les démiurges communicants ont multiplié à l’envi les artifices les plus vendeurs tout en alternant avec la politique de la trique et de l’écran de fumée si d’aventure un journaliste renâclait à croire à la belle histoire. Chacun connaît la suite.

L’affaire Cahuzac aura en fin de compte asséné le coup de grâce à ce spin doctor trop fier de l’être. Peu de temps après l’aveu de l’ex-ministre du Budget, le Tout-Paris communicant bruissait d’ailleurs déjà de la disgrâce imminente de ce communicant qui s’est cru faiseur de rois grâce à un entrisme forcené, arrogant et peu regardant sur les techniques employées pour imposer « sa vérité » au détriment de tout le reste. A vrai dire, Havas ne pouvait guère se permettre de continuer à cautionner un pareil « palmarès » plus longtemps. A terme, cela aurait fini par desservir le business de l’entreprise et brouiller son image auprès de ses grands clients mondiaux, peu enclins de s’acoquiner si ouvertement avec une société qui recèle en son sein de tels praticiens controversés.

Péché d’orgueil chez Fouks ?

Stéphane Fouks, trop d’ego communicant ?

Aux ratages répétés de son mandarin, Havas s’est également probablement lassé de la visibilité médiatique envahissante de sieur Stéphane Fouks. Là où ses principaux concurrents veillent obstinément à demeurer dans les coulisses des stratégies de communication et ne veulent quasiment jamais apparaître aux yeux du grand public, Stéphane Fouks s’est progressivement laissé griser par l’ivresse d’une influence madrée qu’il se plaisait à cultiver en mazarin mi-ombre mi-lumière et que nombre de médias aimaient aussi à lui renvoyer tant le profil du personnage avait un fascinant côté Rastignac de la com’.

Le plan aurait pu sans doute fonctionner si l’homme avait su faire preuve d’un peu plus d’humilité mais également éviter de partir dans des errances professionnelles où la communication est brutalement réduite à de l’intox informationnelle, de l’intimidation de journalistes et de l’emballage de la réalité au forceps. Si aujourd’hui opinion publique et journalistes confondus flairent des « coups de com » à tous les étages (même si cela n’est pas le cas), c’est grandement (et malheureusement) dû aux pratiques contestables usitées par Stéphane Fouks et son quarteron de fidèles. Au détriment de celles et ceux qui s’efforcent de donner une dimension autrement plus valorisante et honnête à la communication.

Fouks, l’arbre qui cache la forêt ?

Anne Hommel, héritière de la tradition Fouks

En placardisant Stéphane Fouks, le groupe Havas rend un fier service aux 110 000 communicants professionnels exerçant en France dans les entreprises, les associations et les institutions. Même s’il n’est probablement pas dénué d’arrière-pensées business, le choix des dirigeants de l’entreprise de dire stop est malgré tout courageux. Il constitue un signal concret que les autres adeptes du manipulatoire devraient à leur tour méditer.

Ceci étant dit, il ne faut pas se leurrer. Pour un Fouks cloué au pilori, il reste encore beaucoup de praticiens « old school » pour lesquels la communication se résume à du bétonnage abrutissant, du contrôle confinant à une psychorigidité d’airain, du mensonge  habilement cousu main et/ou des petits arrangements avec la réalité des faits. Le flambeau de l’héritage Fouks n’est pas près de s’éteindre si l’on n’y prend pas garde.

Une preuve ? Disciple parmi les disciples de celui qui est devenu aujourd’hui tricard, Anne Hommel (qui vole désormais de ses propres ailes avec son agence Majorelle) a repris la communication de Jérôme Cahuzac dans la foulée de son ex-mentor. Signe que tout n’est pas réglé au sujet des déviances d’une certaine communication, elle déclare cette semaine dans le Nouvel Observateur que « la vérité n’est pas mon sujet ». « Jolie » philosophie de communicant qui ne va guère aider à redorer l’image cabossée d’un métier que par exemple, un Edwy Plenel abomine au plus haut point en le qualifiant de « poison de la démocratie moderne ».

Edwy Plenel : « les communicants sont un poison… par ITELE

Vite, une nouvelle gouvernance

Pour une nouvelle gouvernance des métiers de la communication

Hormis les plus indécrottables réfractaires qui penseront toujours que la communication est la fille incestueuse de la manipulation, il est impérieux que la faillite Fouks serve de point de réflexion à une vaste refondation déontologique de la profession. Président de l’association professionnelle Communication & Entreprise et par ailleurs directeur de la communication de Bouygues Construction, Jean-Luc Letouzé s’est inquiété à juste titre cette semaine dans La Tribune que « la fonction communication se voit réduite dans la conscience populaire à une odieuse technique de gestion du « mensonge ». A une profession irresponsable dont l’utilité se résumerait à la mise en forme d’éléments de langage pour masquer la réalité ».

On ne saurait qu’être pleinement d’accord avec ce risque grandissant si rien n’est entrepris pour que la communication soit un outil stratégique au service d’une saine influence et d’une nécessaire confiance. A cet égard, Stéphane Fouks ne doit devenir un peu trop facilement le vilain petit canard de la profession devant lequel on se pince désormais le nez alors qu’il est loin d’être l’unique parangon de cette communication détestable.

Dans un récent ouvrage, le sociologue Dominique Wolton a parfaitement décrypté l’enjeu actuel qui doit unir information et communication pour casser cette spirale destructive de valeur de part et d’autre : « L’information et la communication sont inséparables de l’histoire de l’émancipation de l’homme. C’est par la liberté d’information que la connaissance du monde et l’esprit critique ont pu se développer. C’est par la communication que l’égalité entre les individus et la légitimité du dialogue ont pu s’imposer. Elles sont les deux faces de la grande question de l’émancipation. On les perdra ou les sauvera ensemble ». Il n’y a effectivement pas d’autre alternative. Puisse la décision d’Havas permettre d’ouvrir un salvateur débat sur l’essence même des pratiques de la communication et éradiquer ses déviances insupportables et injustes pour celles et ceux qui font ce métier avec intégrité et passion.

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– « Affaire Cahuzac : la communication doit aussi faire son ménage » – 3 avril 2013