Affaire Cahuzac : La communication doit aussi faire son ménage !

Au-delà des questions d’éthique républicaine et de morale publique que soulève l’affaire Cahuzac, un autre dossier mérite également d’être scruté et nettoyé de fond en comble: la communication gouvernementale et particulièrement ceux qui en tirent discrètement les ficelles sans jamais assumer les conséquences de leurs « conseils ».

Les plus hautes instances gouvernementales seraient fort avisées de lire et relire l’excellent article (1)  du Monde en date du 4 avril consacré à Stéphane Fouks, puissant patron de l’agence Havas Worldwide et jusqu’à présent conseiller en communication plus ou moins officiel de l’ex-ministre du Budget. C’est une opportunité unique de se débarrasser de certaines déviances communicantes.

L’ordonnance communicante du spin doctor Fouks

L’image côté recto concoctée par les communicants de Jérôme Cahuzac

La journaliste Ariane Chemin y décortique avec brio l’ordonnance communicante que le spin doctor Fouks prescrit systématiquement à ses clients politiques : « ne jamais avouer » et coller stricto sensu aux éléments de langage correspondant à la réalité que Stéphane Fouks et ses équipes visent à  concocter et imposer dans les médias et l’opinion publique.  Jérôme Cahuzac est donc le dernier avatar gonflé à l’hélium communicant issu des cuisines d’Havas Worldwide.

Après l’élection de François Hollande, l’agence n’était pourtant pas en odeur de sainteté auprès de l’Elysée et de Matignon. Elle qui avait tant œuvré à l’édification du mythe DSK comme possible futur Président de la République avant qu’il ne sombre dans la rubrique sordide des faits divers, inspirait en effet au nouveau chef d’Etat une méfiance à peine dissimulée. Pourtant, Stéphane Fouks est parvenu une fois encore à contourner l’oukase présidentielle et à vendre son art consommé du storytelling tout-terrain à Jérôme Cahuzac.

Lors de la constitution de son cabinet, le nouveau ministre du Budget intègre alors Marion Bougeard, une experte en communication mais aussi ancienne directrice associée d’Havas Worldwide (et proche de ce fait de Stéphane Fouks) et comble d’ironie, ex-conseillère de Liliane Bettencourt lors de la sulfureuse affaire Woerth (2), un des prédécesseurs de Jérôme Cahuzac ! A elle, revient désormais le soin d’élaborer l’image de ce dernier en vantant son côté « Père la rigueur »intransigeant  et sa pugnacité de boxeur pratiquant.

Avis de tempête médiatique : vite un bunker !

L’enquête de Mediapart est le premier coin enfoncé dans l’image du ministre

L’histoire aurait pu être belle s’il n’y avait pas eu ce satané compte bancaire en Suisse. Pourtant, lorsque Mediapart dévoile les premiers éléments à charge contre le ministre du Budget en décembre 2012, la tactique communicante impulsée va surtout s’efforcer de dresser des herses et de maquiller la réalité. A coups d’éléments de langage à réciter comme un perroquet autiste, le groupuscule communicant de Jérôme Cahuzac bétonne, débite et diffuse à tout va la ritournelle pare-feu (3) : « Quand un ami vous dit les yeux dans les yeux « Je n’ai pas de compte en Suisse », on le croit ».

Et gare aux journalistes qui regimbent à gober l’histoire. En cas d’article déplaisant, ils sont assaillis de SMS furibards émis par Marion Bougeard qui si besoin, n’hésite pas à fouiner dans la vie personnelle de certains reporters comme Fabrice Arfi, auteur de l’enquête sur Cahuzac pour le compte de Mediapart (4).

Ainsi va la communication selon Stéphane Fouks : blinder, digresser, balader et quand la ligne n’est plus tenable, tenter d’orchestrer un repli sentimentalo-résipiscent. C’était déjà le cas avec DSK et son plateau confessionnal de 20 heures chez Claire Chazal pour battre sa coulpe. La recette a été reprise cette fois sur le blog de Jérôme Cahuzac avec une épitaphe se morfondant et se confondant en excuses pour le mensonge commis.

Il faut éradiquer ces pratiques

Stéphane Fouks, stratège communicant

Dans cette approche de la communication à la mode Fouks, il n’est nullement question de vision politique patiemment mûrie et enrichie à l’aune des expériences, ni de convictions soigneusement expliquées pour mobiliser et catalyser les énergies sociétales. Au contraire, il s’agit surtout de façonner en capitalisant sur l’air du temps et d’agencer au millimètre près l’histoire et l’image qu’on entend ensuite dérouler sans jamais dévier pour le compte d’une personnalité politique. A ce petit jeu de puzzle communicant, Stéphane Fouks fait partie des maestros qu’on s’arrache un peu partout dans les ministères et dans les entreprises.

Le souci du sens et du fond ne le préoccupe pas vraiment. Seules comptent l’influence et la bonne histoire qu’il saura distiller à bon escient et à qui de droit pour annihiler ce qui dérange. D’ailleurs, Stéphane Fouks s’en prévaut pleinement (5) : « Pour faire ce métier, il faut avoir lu McLuhan, Tsun Su, Machiavel et Jacques Pilhan. Il faut ensuite aimer la science-fiction, c’est-à-dire l’anticipation ». Révélateurs livrets de chevet et bel euphémisme pour éviter de dire qu’il patine en froid et rusé stratège une réalité légendée selon les intérêts de son client plutôt qu’il ne la restitue sur des bases honnêtes.

Un pareil manifeste n’est plus tolérable à l’heure d’aujourd’hui et surtout à l’heure des réseaux sociaux où les citoyens sont nettement mieux informés et capables de torpiller les bluettes cosmétiques de ces Docteurs Mabuse de la communication. Dans le remarquable livre d’Aurore Gorius et Michaël Moreau intitulé « Les gourous de la com », Laurent Habib (qui a travaillé avec Stéphane Fouks) se montre d’ailleurs très critique avec la philosophie de son ex-compère qui (6) « salit, avilit, ne rend pas service ».

Le sociologue des médias Dominique Wolton est tout autant remonté contre cette communication abrutissante dont les hommes politiques et leurs spin doctors sont particulièrement friands (7) : « Non seulement ils accordent une confiance de plus en plus aveugle à des spécialistes en communication qui, tout en se présentant comme modestes, se comportent en réalité en véritables Raspoutine ; mais encore, ils multiplient les opérations de communication médiatique tous les trois à six mois, en inventant chaque fois un style nouveau qui ravit les médias et les place de façon croissante dans une logique communicationnelle. Pourtant, on ne reconquiert jamais un capital politique par des opérations de communication ».

Un coup de balai et puis c’est tout !

Et si on se débarrassait des mauvaises habitudes ?

Maintenant que Jérôme Cahuzac est déboulonné du piédestal érigé par Havas Worldwide, Stéphane Fouks est étrangement « aux abonnés absents » comme le note Ariane Chemin. A croire que le spin doctor ne croit plus dans ses potions et ses onguents communicants et qu’il vérifie à son insu le célèbre adage populaire : « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs » !

Quoi qu’il en soit, à trop vouloir calquer une image sur une réalité qui ne repose pas sur des fondements concrets, les communicants s’exposent à de pernicieuses ruptures d’image dont l’emballement médiatique n’est que l’ultime mais dévastateur résultat. De même, continuer à verrouiller ou à intoxiquer les journalistes est de toute évidence une impasse qu’il est urgent d’enfin bannir des plans de communication.

Le défi n’est pas mince. Pour nombre de communicants de la vieille école encore tout pétris d’une culture de communication incantatoire et « pubarde », c’est même une révolution culturelle ! Pourtant, c’est la seule voie que le métier de communicant doit emprunter au lieu de rester rivé sur les fallacieuses boîtes à outils des spin doctors.

En 1991, deux experts écrivaient déjà ceci (8) :  « L’acceptation du « devoir d’informer » ne va pas de soi. Et pourtant, c’est l’approfondissement de cette exigence qui crédibilisera l’information aux yeux du public et qui conduira à donner plus de sens aux images de marque (…) La force des démocraties reposera de plus en plus sur la qualité de l’information et donc sur l’intégrité de ceux qui s’en servent quotidiennement ». A méditer car le message a visiblement du mal à passer !

Sources

(1) – Ariane Chemin – « Mais pour qui roule Stéphane Fouks ? » – Le Monde – 4 avril 2013
(2) –Anne Rosencher – « L’ex-communicante de Liliane Bettencourt conseille le ministre du Budget ! » – Marianne – 29 septembre 2012
(3) –  Ariane Chemin – « Mais pour qui roule Stéphane Fouks ? » – Le Monde – 4 avril 2013
(4) – Ariane Chemin et Claire Guélaud – « Jérôme Cahuzac : je suis dans une lessiveuse épouvantable » – Le Monde – 20 mars 2013
(5)  – Raphaëlle Bacqué – « Les seigneurs de la com’ » – Le Monde – 25 mars 2010
(6) – Aurore Gorius et Michael Moreau – Les Gourous de la com – La Découverte – 2011
(7) – Dominique Wolton – Penser la communication – Flammarion – 1997
(8) – Patrick Boccard et Patrick d’Humières – « Pour une morale professionnelle de l’information » – Le Monde – 14 septembre 1991

A lire également

– Jean-Laurent Cassely – « DSK, Cahuzac : cherchez le consultant d’Euro RSCG ! » – Slate.fr – 3 avril 2013