Twitter & #Radio Londres : Tricherie électorale ou vrai défi démocratique ?

Annoncé comme le lieu où serait contournée la loi électorale pour annoncer à l’avance les résultats des votes, le fil Twitter #radiolondres a été un tsunami de messages et de chiffres. Simple pochade numérique  sans conséquence ? Pas si sûr.

Si les partis politiques ont au final fait une campagne plutôt plan-plan sur les médias sociaux, les internautes se sont en revanche immiscés et défoulés  comme jamais dans le déroulement du 1er tour de l’élection présidentielle. Twitter a particulièrement été à la pointe de la sédition bon enfant en accueillant deux fils (#radiolondres et #icilondres) entièrement dédiés à celles et ceux voulant annoncer des informations liées au scrutin sans tomber sous le coup de l’article L 52-2 du code électoral qui interdit de divulguer des résultats partiels et/ou définitifs sous peine de sanctions allant jusqu’à 75 000 euros.

Envie de transparence

Guillaume Champeau lance son appel en donnant les codes à utiliser !

Les rodomontades du procureur de Paris et de la commission électorale brandissant d’implacables patrouilles numériques pour attraper sur le vif les vilains contrevenants n’y ont rien fait. Les internautes ont décidé de braver les menaces de sanction en s’inventant des espaces digitaux où ils pourraient dire ce que bon leur semble. Ils ont même eu un général en chef pour lancer la « sédition » sur la Toile en la personne de Guillaume Champeau, le fondateur du site de l’actualité numérique, Numérama. Le 18 avril, ce dernier lançait son appel à contourner les interdits en recourant à des messages codés sur le fil #radiolondres à l’instar des célèbres « sanglots longs des violons de l’automne » annonçant l’imminence du débarquement de juin 1944.

Et de débarquement, il y en eut un en effet en ce dimanche de 1er tour. Chacun y est allé de son image pour évoquer sans le dire ouvertement les résultats électoraux des départements d’Outre-Mer puis ceux de France métropolitaine. C’est ainsi que François Hollande a suscité une publicité sans précédent pour le « flan » tandis que la « Rolex » connaissait un regain de notoriété pour Nicolas Sarkozy. Tôt le dimanche matin, les tweets n’ont cessé de s’enchaîner à une vitesse de dragster, avec plus ou moins de véracité mais souvent avec un humour ravageur, photos sarcastiques à l’appui.

Quand la loi twitte moins vite que son ombre !

Twitter dans le collimateur de la loi électorale ? (visuel Le Plus)

On souhaite bien du courage à l’équipe de 10 personnes chargés de scruter la Toile pour repérer les dérives et les infractions à la loi électorale tellement le flux de messages facétieux charriés de toutes parts a été ininterrompu. A cet égard, on peut noter que la loi a décidément bien du mal à s’adapter à l’évolutivité supersonique des usages numériques. On avait déjà eu un avant-goût avec Hadopi brandissant d’emblée le gros marteau pour ramener à la raison les internautes pirates de contenus. Le 1er tour de l’élection n’a pas dérogé à la règle. Les « free riders » ont encore de beaux jours devant eux.

Tout le monde sera en tout cas au moins d’accord pour dire qu’il y aura un avant et après 22 avril 2012 en matière de respect du code électoral et de diffusion d’informations pouvant influencer sur le vote des électeurs. Autant 2007 n’avait fait l’objet que de quelques saillies digitales çà et là, autant 2012 a vu l’irruption des médias sociaux dans le déroulement d’une élection. On avait déjà eu un avant-goût des débats avec la question surannée du respect du temps de parole des candidats à la télévision et à la radio alors qu’Internet pouvait continuer à déverser ses messages et ses appels à la mobilisation à l’adresse des divers camps en compétition.

Cette fois, on est au cœur du problème : comment intégrer la dimension sociale du nécessaire débat électoral sans pour autant risquer de fausser le résultat des urnes. Les initiatives rebelles visant à annoncer avant l’heure officielle les premiers résultats de sortie des urnes sont là pour rappeler l’acuité de la question. En cela, les médias suisses et belges leur ont procuré une sacrée bénédiction puisque ceux-ci n’ont eu de cesse de proclamer qu’ils publieront les résultats au fil de l’eau sans même attendre le timing édicté par les autorités françaises. Sans parler de Libération jugeant cet embargo « archaïque » et le président de la République sortant lui-même estimant cette règle « datée » !

Liberté, égalité … complexité !

L’expression sur Twitter : un casse-tête chinois en temps d’élection

La question demeure néanmoins délicate et moins binaire qu’il n’y paraît. D’un côté, on ne peut nier que la liberté d’expression se doit d’être garantie, particulièrement dans un pays républicain comme la France. Pour autant, une élection n’est pas un vulgaire concours de bookmakers ou de turfistes militants. Avec l’expression débridée que les médias sociaux cultivent, le sujet relève désormais d’un véritable casse-tête chinois pour lequel va falloir trouver une solution idoine. S’il en existe une ?

C’est en tout cas pour éviter précisément ces fuites que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait demandé aux médias français de cesser toute information envers les DOM-TOM (qui votaient plus tôt) pour appliquer la période de réserve exigée par la loi la veille et le jour du scrutin. Un peu comme ces « quiet periods » qu’on impose dans la communication des grandes entreprises cotées en Bourse pour éviter l’émission de toute information susceptible d’impacter le cours de l’action avant la publication des résultats trimestriels et de créer de potentiels délits d’initiés.

Sauf que voilà ! Cette volonté de garantir l’équité du scrutin a un effet collatéral que l’avocat blogueur Maître Eolas n’a pas manqué de souligner avec justesse. Pour lui, cette décision est anticonstitutionnelle (1) : « Où est la continuité territoriale et l’égalité entre les Français ? Cela ne repose légalement sur rien du tout ! Dans quel pays vit-on ? L’élection présidentielle devient un sujet interdit dans les médias. Le CSA se ridiculise ». Pourquoi effectivement traiterait-on différemment les électeurs de ces départements de ceux de la métropole ! Surtout à l’heure d’un Internet global et du satellite !

Même pas peur du Père Fouettard !

En dépit des admonestations clamées par la commission électorale, les internautes ont largement brisé le verrou que cette dernière entendait imposer. Dans ce carrousel incessant de messages en 140 caractères (d’aucuns ont parlé de 9000 tweets à l’heure !), avouons que l’imagination et le sens de la dérision de certains ont atteint un niveau d’inventivité plutôt très rigolo. Suivre la TL de #radiolondres et de #icilondres était à coup sûr la garantie de tomber sur des pépites humoristiques comme seul Internet sait en générer.

Mais très vite, l’exercice suscite aussi réflexion surtout lorsque les premiers twittos s’aventurent à dévoiler dès midi les résultats des DOM-TOM (puis des départements métropolitains) à travers de formules cousues de fil blanc du style « le flan se marie bien avec le rhum martiniquais ». Formules accompagnées de chiffres plus ou moins fiables mais donnant toujours une idée assez claire des tendances de vote enregistrées.

D’autres moins imaginatifs ou moins « courageux » préfèrent discrètement se déclarer fans de la presse suisse et belge et glisser subrepticement un lien menant tout droit aux pages des dits sites publiant in extenso dès 12h00, les premiers résultats. Enfin, certains ont carrément live-tweeté le déroulement du 1er tour comme cet internaute basé à Montréal au Canada. Dénommé Laurent Gloaguen, il a diffusé un scrupuleux journal de bord à mesure que la journée s’écoulait et les résultats s’accumulaient.

Conclusion

Il est fort à parier que les perdants (en tout cas ceux s’estimant lésés) du 1er tour vont immanquablement brandir l’argument d’un Internet dévoyé ayant biaisé les résultats du vote en dévoilant à l’avance des résultats et par conséquent incité des électeurs à changer d’avis à la dernière minute. On le sait, Internet est fréquemment un bien commode bouc émissaire pour expliquer les ratages ou les déviances que la société connaît par ailleurs. A cet égard, Jacques Séguela, auteur de l’inénarrable citation « Internet est la plus grande saloperie qu’aient inventée les hommes », en a remis une couche subtile en mars 2012 dans un entretien à L’Express (2). Toujours aussi remonté, il juge avec son œil d’expert infaillible que Twitter est « l’écume de la politique » et qu’Internet « dessert la politique et la communication ».

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Sources

(1) – Bénédicte Lutaud – « Présidentielle : peut-on empêcher les Belges de diffuser les résultats ? » Quoi.info – 19 avril 2012
(2) – Renaud Revel – « Jacques Séguéla : Internet dessert la politique » (vidéo) – L’Express.fr – 1er mars 2012

Lectures complémentaires

– Cécile Chalançon – « Ici Londres/Radio Londres » : le 1er tour à l’heure de Twitter, Facebook et l’Internet mondial » – Slate.fr – 22 avril 2012
– Blog Big Browser – « Le flan est au four, le nain chausse du 26 ou comment annoncer les résultats avant 20h ? » Le Monde.fr – 22 avril 2012
– Thierry de Cabarrus – « Quand Twitter détourne la loi électorale avec humour » – Le Plus du Nouvel Observateur – 22 avril 2012



4 commentaires sur “Twitter & #Radio Londres : Tricherie électorale ou vrai défi démocratique ?

  1. Stéphane  - 

    Pas d’accord, la « nouveauté » apportée par le Web était plus frappante et profonde en 2007. En 2012, c’est juste plus bruyant, plus massif et principalement potache, mais sinon, pas tellement de différence. On était déjà rivé tout le dimanche sur les sites Web du Soir ou du Matin en 2007…

    1. Olivier Cimelière  - 

      C’est vrai ! Tu as raison mais cela restait cantonné aux quelques initiés du Web 2.0 donc une infime portion d’électeurs. En 2012, les médias sociaux ont pris une ampleur qui va au-delà des simples ultra-pratiquants (dont je fais partie) du 2.0. D’où la réflexion qu’il me semble important d’avoir

      1. Stéphane  - 

        Je ne crois pas qu’il s’agissait d’initiés : en 2007, il y avait déjà plusieurs millions d’abonnés au haut débit. Et je me souviens que des personnes qui ne sont actuellement pas sur Twitter étaient déjà sur le Web à consulter les sites web de nos voisins francophones – et à se prévenir par… SMS! La nouveauté, c’est surtout la conversation et le commentaire. D’ailleurs, déjà le débat en 2007: http://www.zdnet.fr/actualites/sondages-l-internet-va-t-il-bousculer-la-loi-electorale-39368768.htm 😉 Quant au débat TV vs Web, on passe encore beaucoup de temps à commenter la TV… sur Twitter!

        1. Olivier Cimelière  - 

          Tu ergotes un peu quand même 🙂
          2007 est justement l’année où j’ai commencé à me mettre sur les réseaux sociaux. Il y avait déjà en effet le débat que tu soulignes fort justement mais très sincèrement, cela n’avait pas eu le retentissement de 2012. Les médias traditionnels en avaient un peu parlé. Ce matin en revanche, les articles étaient abondants. Probablement aussi parce que les plateaux TV de TF1, France 2, France 3, etc ont été d’une telle vacuité avant l’annonce des résultats que la conversation sur Twitter est devenue cette fois une question touchant un public plus large et moins initié.
          En 2007 sur le million d’abonnés haut débit, combien pratiquaient vraiment les réseaux sociaux ? Des « early adopters » comme toi, des « vieux » comme moi essayant de comprendre, quelques journalistes pointus, quelques influenceurs un peu « techy » et c’est tout.
          En revanche, suis bien d’accord avec toi sur le débat TV vs Web. Complètement dépassé et hors de propos. On sait déjà dps un certain temps que la TV est commentée sur Twitter via les smartphones et tablettes … Et tous les broadcasters lancent des pilotes (F2 avec Courbet par exemple) pour appréhender ce nouveau mode d’interaction.
          Pas sûr au passage que l’intelligibilité y gagne ! Mais çà, c’est une autre histoire !

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