Storytelling & Brand Content : Frères ennemis ? Un livre répond

Pas un pitch d’agence, ni article de la presse professionnelle n’échappent au storytelling et au brand content (ou contenu de marque en Français académique). Ils sont tellement omniprésents que préjugés et suspicions ne manquent pas non plus d’abonder à leur égard. Fondatrice de l’Institut de la qualité de l’Expression, Jeanne Bordeau vient de leur consacrer un livre pour remettre les pendules à l’heure. Avec une devise en exergue : « Conter une histoire, ce n’est pas raconter des histoires ».

Lors de la conférence le 4 octobre à Paris pour son ouvrage intitulé « Storytelling et contenu de marque : la puissance du langage à l’ère numérique », Jeanne Bordeau a déploré que le storytelling et son compagnon parfois d’infortune, le brand content, soient chargés de tous les péchés véniels qu’une certaine communication politique ou consumériste manipulatoire a effectivement nourris.

Du bla-bla pour temps de cerveau disponible ?

Le storytelling n’a pas toujours bonne réputation parmi le public

Cette notoriété en demi-teinte, storytelling et brand content le doivent notamment à l’écrivain et chercheur Christian Salmon. En 2007, il publie un essai au succès fracassant sous le titre déjà soupçonneux de « Storytelling, la machine à fabriquer les histoires et à formater les esprits ». De fait, le livre décortique une flopée d’exemples venus en grande majorité d’Outre-Atlantique où grand marques américaines et politiques peu regardants ne cessent de recourir à des techniques narratives pour orienter les comportements.

Si l’on ne peut nier l’évidence des cas cités par Christian Salmon, Jeanne Bordeau n’entend pas ostraciser storytelling et brand content. Les dérives communicantes que ces procédés ont connues ne doivent pas pour autant les ostraciser définitivement des plans stratégiques des directeurs de communication et de marketing. Pour elle, ils sont d’autant plus indispensables que l’ère numérique a profondément accéléré l’avènement de la conversation 2.0. Laquelle implique que marques et entreprises sachent et osent se raconter à leurs différents publics.

Selon Jeanne Bordeau, le discours ex-abrupto et enjolivé que Christian Salmon dénonce, ne peut plus s’appliquer et s’imposer de la même manière. Si auparavant il était un peu plus aisé de camoufler et biaiser des propos, il devient aujourd’hui nettement plus risqué de dévoyer le storytelling et le brand content à des fins manipulatoires. Tout simplement parce que le Web a une mémoire quasi indélébile où tout mensonge ou racontar amélioré à l’excès peuvent ressurgir et briser des réputations a posteriori. De même, l’opinion publique est de mieux en mieux informée et de plus en plus critique à l’égard de trop beaux discours des marques et des entreprises.

Storytelling : transfiguration ou défiguration ?

Le storytelling ne défigure pas, il transfigure selon Jeanne Bordeau

Au-delà de cette méprise défiante qui continue de planer autour de ces deux techniques de langage, les définitions et les perceptions varient très amplement en fonction des personnes interrogées. Le livre de Jeanne Bordeau a d’ailleurs interrogé plusieurs professionnels de la communication et des médias. La lecture de leurs propos est assez surprenante car pas une personne n’attribue spontanément le même périmètre et le même usage au storytelling et au brand content. Preuve si l’en est qu’un vrai travail d’éveil et de clarification est encore nécessaire.

C’est précisément ce à quoi s’est attelée la réflexion de la présidente de l’Institut de la qualité de l’Expression. Après avoir brossé un intéressant panorama du langage de la communication à travers les décennies récentes et offert un éclairage sur les fondamentaux de l’écriture numérique, le livre opère d’emblée un distinguo essentiel entre storytelling et contenu de marque. Le premier est un récit d’ampleur qui s’inscrit totalement dans la durée et qui puise dans la génétique même des marques et des entreprises qu’il raconte. En revanche, le brand content est un procédé narratif plus ponctuel avec des visées pédagogiques, servicielles, ludiques et/ou créatives. Autrement dit, l’un est l’épine dorsale du discours. L’autre est l’animation chronique de celui-ci.

Pour Jeanne Bordeau, le storytelling n’est pas « un discours qu’on décrète parce qu’il nous plaît ou nous valorise à l’envi. C’est au contraire un discours qui prend racine même dans les entrailles et l’ADN de l’entreprise en véhiculant des valeurs intrinsèques à celle-ci ». C’est justement dans cette optique que l’Institut de la qualité de l’Expression a réalisé en 2012 pour la SNCF, un important travail de mise en récit de la société ferroviaire. Pour bâtir cette « narrativité » de l’entreprise, la SNCF s’est appuyé sur de nombreux entretiens et témoignages de ses propres salariés afin que le discours global restitue la réalité des métiers. Jeanne Bordeau est catégorique : « Le storytelling n’invente rien, il s’inspire d’expériences réelles qui tissent une trame. Il ne brode pas sur du vide, il fait ré-émerger la parole intime et la met en forme (…) Il transfigure mais ne défigure pas ».

Brand content : bobard publicitaire ou mise en action de la marque ?

Le contenu de marque pour alimenter la conversation 2.0

A ce storytelling que Jeanne Bordeau estime indispensable pour des discours authentiques et nourriciers émanant de l’entreprise, elle n’y oppose pas le contenu de marque. Au contraire, elle y voit une extension complémentaire qui a certes des visées commerciales mais qui ne se pratique plus n’importe comment à l’heure où le consom’acteur détient maintenant une capacité à contrer les discours un peu trop cosmétiques pour être crédibles.

Si les marques se sont toujours racontées et mises en scène comme par exemple les soap operas, ces feuilletons radiophoniques produits et diffusés par des marchands de savon comme Procter & Gamble et Colgate, jamais le brand content n’a connu une telle profusion depuis que la conversation digitale s’est imposée comme vecteur essentiel de communication. Face au registre plus émotionnel du storytelling, le brand content vient se positionner sur un territoire plus rationnel mais qui n’exclut pas forcément le distrayant, l’empathique ou l’onirique. Simplement, le contenu de marque opère pour créer des affinités auprès de ses consommateurs, pour converser avec ceux-ci et tenter de les fidéliser à travers de bonnes raisons ou des expériences agréables.

Jeanne Bordeau cite par exemple le cas de la boisson Oasis qu’elle juge remarquable comme contenu de marque : « Ils ont carrément créé des personnages et les ont dotés d’une novlangue rigolote et fraîche via des jeux et des interactions multiples. Résultat : 2,6 millions de fans. Qui dit mieux ? ». Pour elle, le contenu de marque est plus que jamais l’occasion de se distinguer mais à condition de rester ancré avec ses véritables attributs : « Les Croisières jaune et noire organisées par Citroën dans les années 30 étaient déjà du contenu de marque. Ces expéditions aventureuses visaient à raconter et démontrer la supériorité technique des automobiles au chevron. Cette saga imprégnera longtemps l’image de toute l’entreprise Citroën ».

Conclusion – Non, ce n’est pas sale !

A l’issue de cette conférence convaincue et convaincante, un constat s’impose : le storytelling et le brand content ne sont pas des procédés narratifs diaboliques. Seul l’usage abusif que d’aucuns en font parfois, peut nuire. Au contraire, ces techniques ont toute leur place dans l’arsenal de communication de l’entreprise et des marques. Ceci est d’autant plus vrai qu’à l’ère du numérique, l’entreprise est capable d’être son propre média à travers les réseaux sociaux et les outils conversationnels.

Une raison suffisamment valable pour se préoccuper davantage de son langage, de sa cohérence et de son authenticité avec les différentes audiences de l’entreprise et ses marques. Sinon, « un patron qui ne se préoccupe pas des réseaux sociaux, ne sera plus auteur de son propre projet » a déclaré Jeanne Bordeau en guise de conclusion.

En savoir plus sur le livre

Storytelling & brand content sous toutes les coutures

Jeanne Bordeau – « Storytelling et contenu de marque : la puissance du langage à l’ère du numérique » – Editions Ellipses – 256 pages – 25 €

Le développement du langage numérique est en marche ! À l’heure de l’interaction et de la conversation numérique quasi instantanée avec le consommateur, la communication digitale nécessite d’être présent sur tous les fronts. L’entreprise court ainsi le risque de fragmenter son discours et de perdre en lisibilité.  

Comment créer et maintenir un langage cohérent, juste et convivial sur le web ? Quels sont les codes à respecter ? La communication digitale annonce-t-elle une révolution du langage ? Quelle place accorder au Storytelling et au Contenu de marque (Brand content) dans cet univers en constante mutation ? Quelles sont leurs caractéristiques, leurs différences ?  

Jeanne Bordeau offre à ce sujet des points de vue croisés d’experts comme Michael Aidan, Christophe Barbier, Marco Tinelli ou Jean Watin-Augouard. De nombreux exemples commentés abordent des situations pratiques variées traitant du Contenu de marque et du Storytelling : SNCF, Puma, 3 Suisses, Total, Pampers, Sarenza, Prada…

Cet ouvrage offre aux professionnels des outils pour structurer leur communication écrite et des méthodes pour construire une stratégie de langage rationnelle, sensible et cohérente. L’entreprise et la marque ne resteront auteurs et maîtres de leurs propos qu’à la condition d’inventer une histoire irriguée par une identité sémantique et des valeurs authentiques. Car conter une histoire, ce n’est pas raconter des histoires.



5 commentaires sur “Storytelling & Brand Content : Frères ennemis ? Un livre répond

  1. N  - 

    Bonjour,

    Je souhaitais partager avec tous ceux qui s’intéressent au storytelling l’information suivante : il s’agit de l’ouverture d’un MOOC (cours en ligne, dispensés par l’Université de Postdam, gratuits) intitulé “The future of storytelling”

    Le MOOC annonce le programme suivant :
    « – storytelling basics,
    – serial formats (on the TV, web and beyond),
    – storytelling in role-playing games,
    – interactive storytelling in video games,
    – transmedia storytelling,
    – alternate-reality gaming,
    – augmented reality and location-based storytelling,
    – the role of tools,
    – interfaces and information architectures in current storytelling. »

    Les cours commencent le 25 octobre 2013, donc j’invite ceux qui voudraient intégrer ce MOOC à ne pas tarder à s’inscrire et à partager au plus vite l’info avec leurs contacts susceptibles d’être intéressés par ce MOOC 🙂

    Plus d’infos sur le MOOC et/ou inscription à l’URL suivante : https://iversity.org/courses/the-future-of-storytelling?r=14bd5

    En espérant rencontrer d’autres lecteurs du blog du communicant dans le cadre du MOOC ! 🙂

  2. Celina  - 

    Bonjour.

    Question : diriez vous « un film est un procédé narratif » ou « un film est la mise en forme d’une matière construite à partir de procédés narratifs »?

    Non je demande car je ne comprends pas bien comment on peut sémantiquement mettre sur le même plan Brand CONTENT (qui signifie CONTENU de marque donc qui désigne un « objet », une matière mise en forme, un livrable, un résultat en quelque sorte », un CONTENU quoi…

    & STORYTELLING qui est un ensemble de TECHNIQUES (de narration / caractérisation de personnages, etc. reposant sur l’oral / l’écrit / les images) utilisées pour produire des discours, des films, des romans, des bd, des jeux vidéos, des pièces de theâtre, des mythologies etc. Bref = des contenus / oeuvres d’art / éléments de culture.

    Faudra donc expliquer à mon cerveau probablement défaillant comment ces deux notions étant sur deux plans sémantiques différents peuvent être comparées et mise sur le même plan… Comme si je disais « Cuisine et Gâteaux au chocolat : frères ennemis? »

  3. Olivier Caussin  - 

    Fascinant. Est-ce que cela veut dire que Jeanne Bordeau voit le storytelling comme une stratégie et le brand content comme une tactique ? Et que le brand content suit la charte d’expression de l’entreprise alors que le storytelling est plus dicté par l’ADN (les deux étant bien sûr très fortement liés chez les marques fortes) ?

    C’est malin, il faut que je lise, maintenant 😉 Merci pour cet article très intéressant.

    1. Olivier Cimelière  - 

      C’est exactement cela ! Le storytelling est une stratégie long terme qui irrigue et sublime la com de l’entreprise (à condition qu’il repose sur de véritables attributs et pas des inventions). Le brand content est plus ponctuel et adopte des démonstrations sur divers registres autour des produits et des activités.

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