Conversation digitale : Le « thread » s’impose de plus en plus sur Twitter

Un mystérieux compte Twitter a récemment mis en ébullition le petit monde des communicants parisiens digitaux. Intitulé @eiffel1812, le tout nouveau profil annonce à la twittosphère qu’il vient de découvrir un appareil photo de marque Canon au pied d’un abribus aux Buttes-Chaumont. Le tweet est assorti d’une requête pour partager cette information et permettre au propriétaire de récupérer son précieux bien. Et si derrière le format « thread » que Twitter va bientôt enrichir, il y avait un formidable outil de narration et de communication en substance ?

A priori, rien que de banal. Twitter regorge de ce type de messages où quelqu’un trouve un objet égaré et fait appel à la communauté pour en identifier le détenteur. Sauf que dans le cas d’@eiffel1812, l’histoire ne s’arrête pas là. Le premier tweet sorti de nulle part est aussitôt retweeté plus de 12 000 fois. Très vite dans la foulée, est égrenée une série de tweets complémentaires qui prennent les apparences d’une enquête policière façon « escape game ». Il n’en faut pas plus pour piquer la curiosité des internautes. En l’espace de 72 heures, le compte agrège près de 15 000 abonnés (1). Jour après jour, l’intrigant profil révèle de nouveaux indices autour cette histoire d’appareil photo oublié et de sa carte SD dont sont extraits les indices régulièrement postés.

Les conjectures vont bon train parmi les twittos. Le Huff Post se fend même d’un article (2) où le site suppute fortement une opération de marketing qui serait liée à la sortie sur grand écran le 18 décembre prochain de l’épisode IX de Star Wars, « L’Ascension de Skywalker ». La théorie fait long feu. Le compte @eiffel1812 dément être à l’origine d’une quelconque promotion. Il n’en demeure pas moins que les spécialistes des médias sociaux se piquent au jeu de ce qui est nommé le « thread fiction » (littéralement, le fil de conversation fictionnel). Doit-on dorénavant y voir un nouveau mode d’écriture et de communication digitale dont Twitter serait le réceptacle ? Une chose est sûre. Le « thread » permet de contourner le format contraint du tweet et ses 280 caractères en déroulant une série de tweets qui raconte une histoire, des faits ou des opinions.

Aux origines du « thread »

Ce format conversationnel ne date pourtant pas d’aujourd’hui. En décembre 2017, Twitter avait en effet annoncé la mise à disposition d’une fonctionnalité baptisée « Ajouter un autre tweet ». L’objectif de celle-ci est de permettre à un utilisateur de composer un fil de tweets qui seront affichés en même temps et visibles par tous les autres internautes. A l’époque, Sasank Reddy, chef de produit chez Twitter, justifie ainsi cette innovation (3) : « Nous avons remarqué il y a quelques années que des gens créaient des ensembles de tweets de manière créative pour partager plus d’informations ou raconter une histoire plus longue. Nous avons vu cette approche (que nous appelons threading) comme une manière innovante de présenter un ensemble de pensées composé d’éléments connectés mais distincts. ».

Plus récemment, Twitter s’est à nouveau penché sur la problématique du fil de conversation. En mars 2019 via Twttr, une application expérimentale qui propose d’essayer en avant-première ses prototypes, la plateforme invite quelques 2000 bêta-testeurs (4) à découvrir et commenter un projet visant à justement retravailler la présentation et le design des éléments de discussion issus d’un « thread ». Twitter remarque alors que les heureux testeurs ont une appétence particulière pour … Twttr qui leur permet justement de converser sur les apps testées de façon très intuitive. Ce qui a incité l’oiseau bleu à confirmer le 27 novembre dernier qu’un nouvel affichage des conversations va désormais se déployer progressivement courant 2020 sur l’application mère Twitter.

Pour plus de clarté et de lisibilité du « thread » par les twittos, les tweets seront désormais reliés par des branches grises. Plus besoin de numéroter les tweets les uns à la suite des autres pour guider les lecteurs. Autre point notable : le tweet de départ de la conversation est mis en avant à l’aide d’une petite icône représentant un microphone, permettant d’identifier par la même occasion la personne qui a lancé le « thread ». Avec cette évolution, Twitter confirme donc que l’intérêt du thread est loin d’être un gadget superfétatoire mais bel et bien un usage croissant. De nombreux journalistes et acteurs publics sont d’ailleurs de plus en plus adeptes de ce mode d’expression sur Twitter pour développer plus longuement un point de vue ou une analyse d’un sujet.

De « thread » en « thread »

En novembre dernier, les « threads » ont connu un regain d’activité sur Twitter. Il y en a pour tous les goûts notamment durant le Thanksgiving Day aux Etats-Unis. Parmi ceux-ci, on peut citer celui d’un étudiant à l’Université de Miami qui exhorte sa communauté à faire part d’une opinion polémique sur l’alimentation en retweetant son message originel. C’est un véritable raz-de-marée qui va bien au-delà des presque 4000 abonnés du jeune homme. Même l’acteur Jim Belushi y va de son mot en qualifiant le homard de cancrelat des mers ! Autre exemple qui a déchaîné les passions : la vidéo d’un américain s’amusant à sculpter le tout nouveau Cyber Truck de Tesla dans une pomme de terre ! Cette dernière enregistrera plus de 4 millions de vues (6) et un fil de conversation gonflé pendant plusieurs jours. Dans le même registre, une jeune femme dénommée Maya Kosoff poste un tweet avec une photo d’un étrange dessert (7) concocté pour Thanksgiving. L’emballement est immédiat. Chacun se met à converser en ajoutant la photo de sa propre bizarrerie culinaire dans un thread au bord de l’indigeste !

Entre conversations débridées, réflexions posées sur l’actualité et espace de narration fictionnelle, le « thread » est en train de grignoter du terrain. Consultant en médias sociaux, Sébastien Defrance est enthousiaste envers le format « fil de conversation » (8) : « Il fait vraiment tomber le mur avec le marketing pur, il est écrit comme si c’était une vraie personne. Il est moins calibré, comme s’il y avait eu un jeu d’aller-retour avec un client ». PDG de SocialBakers, Yuvak Ben-Itzhak partage un regard similaire (9)

« Les marques veulent développer la conversation avec leur audience. Le « thread » permet à la marque de construire une histoire et de voir les réactions en direct des suiveurs. La compagnie peut alors ouvrir une conversation avec ce public, de manière bien plus efficace que sur Instagram ou Facebook. Les marques veulent raconter des histoires plus longues, qui fidélisent davantage leurs cibles et ont un engagement plus grand que de simples tweets sponsorisés, tant pour le lancement d’un événement ou en cas de communication de crise »

On conserve le fil ?

Avec les enrichissements que Twitter est en train d’apporter au format « thread », il est fort à parier que celui-ci va constituer un canal d’expression de plus en plus privilégié. Les opportunités ne manquent pas. Lors d’un live-tweet, il sera ainsi plus aisé de suivre un événement et de comprendre l’enchaînement des contenus. On peut également imaginer un tel recours pendant une crise où il est nécessaire de diffuser rapidement des éléments tout en ayant besoin de développer et d’articuler un discours. D’ailleurs, Disney a emboîté le pas en octobre 2019 pour le lancement de son service de streaming vidéo, Disney +. En quelques 30 tweets d’affilée, Disney lève le voile sur les contenus qui sont disponibles à l’abonnement à partir de mi-novembre. Avec à la clé, un lien pour se pré-enregistrer. Le succès est foudroyant. Le tweet inaugural est liké 71 000 fois et partagé 20 000 fois. Quant au « thread », il s’enrichira de près de 600 tweets supplémentaires de commentaires (10).

L’usage du « thread » peut en tout cas survenir dans les cas de figure les plus inattendus. Ainsi, la National Crime Agency britannique a fièrement conté dans le détail l’arrestation du cyber-pirate de 32 ans, Maksim Yakubets. Recherché mondialement pour fraudes bancaires et informatiques, l’homme a été mis hors de nuire le 5 décembre après plusieurs années d’investigation en coopération avec le FBI et d’autres organismes de sécurité. S’est alors ensuivi un « thread » d’une petite dizaine de tweets compilant les faits saillants de l’affaire. 2000 personnes vont alors partager l’histoire auprès de leurs propres abonnés.

Tous ces exemples soulignent de facto que le « thread » est une nouvelle façon de conjuguer besoin d’immédiateté et nécessité de profondeur de contenu. Or seul Twitter offre cette instantanéité dans son univers digital constamment scruté par les médias, les décideurs et les influenceurs. Y ajouter la brique conversationnelle et la possibilité de lier des contenus plus étoffés (et de manière intelligible), constitue dès lors un outil de communication extrêmement intéressant pour capter l’attention des internautes tout en les engageant activement. Ce n’est probablement pas @eiffel1812 qui démentira. Lui dont on attend la suite de son fascinant fil de conversation !

Sources

– (1) – Ronan Tésorière – « Ce qui se cache derrière les « thread fictions », ces histoires populaires sur Twitter » – Le Parisien – 20 novembre 2019
– (2) – Stacie Arena – « Le compte Twitter Eiffel1812 cache-t-il une opération marketing “Star Wars” ? » – Huff Post – 20 novembre 2019
– (3) – « Twitter. Une fonctionnalité de « thread » pour lier une série de tweets » – Ouest France – 12 décembre 2017
– (4) – Arthur Vera – « Twitter présente Twttr, son application de bêta testing » – Siècle Digital – 13 mars 2019
– (5) – Emilie Heil – « A Twitter thread about ‘controversial food opinions’ started off harmless. That didn’t last long » – The Washington Post – 25 novembre 2019
– (6) – Jack Durschlag – « Tesla Cybertruck recreated with mashed potatoes in viral Twitter thread » – Fox News – 2 décembre 2019
– (7) – Jamie Feldman – « This Twitter Thread On Weird Thanksgiving Side Dishes Does Not Disappoint » – Huff Post – 26 novembre 2019
– (8) – Ronan Tésorière – « Ce qui se cache derrière les « thread fictions », ces histoires populaires sur Twitter » – Le Parisien – 20 novembre 2019
– (9) – Ibid.
– (10) – Michael Grothaus – « Disney just posted a massive Twitter thread revealing ‘basically everything’ coming to Disney+ » – Fast Company – 15 octobre 2019