Intelligence artificielle : Le bot conversationnel ChatGPT casse-t-il vraiment la baraque ?

Au début de décembre 2022, la société technologique américaine OpenAI a lancé un test grandeur nature autour de son dernier bot conversationnel appelé ChatGPT. N’importe qui dans le monde peut ainsi discuter et lancer des questions à ce chatbot dernier cri. Grâce à une intelligence artificielle qui permet à l’outil d’apprendre en permanence et d’enrichir ses connaissances à tel point que certains experts prédisent même la mort programmée du moteur de recherche de Google. Qu’en est-il vraiment ? Premières impressions …

La promesse semble géniale. Il suffit de se créer un compte sur le site de test d’OpenAI pour immédiatement commencer à papoter avec l’engin sur n’importe quel sujet. Qu’il s’agisse d’expliquer la théorie de la relativité universelle, la cuisson des œufs à la coque ou les choix de jeux de construction pour des enfants de 5 à 12 ans, ChatGPT a réponse à tout. A en croire ses concepteurs, il est même capable de formuler des réponses très complexes ou de rédiger des textes élaborés dans diverses langues (dont le français). Je suis donc allé lui faire un brin de causette !

D’indiscutables progrès en langage

A tout seigneur, tout honneur ! J’ai d’abord demandé à mon nouvel interlocuteur omniscient de m’expliquer qui est-il. Voici la réponse (1) : « ChatGPT est un modèle de langage entraîné par l’IA (intelligence artificielle) qui peut générer des réponses à des questions posées en langage naturel. Ce modèle a été entraîné sur des milliards de phrases et de documents, ce qui lui permet de comprendre le contexte d’une conversation et de générer des réponses cohérentes et pertinentes. ChatGPT est basé sur la technologie GPT-3 (Generative Pretrained Transformer 3), un modèle de langage développé par OpenAI. GPT-3 est l’un des modèles de langage les plus avancés et les plus performants jamais développés, et il est capable de comprendre et de générer du texte dans de nombreux domaines et contextes différents. En utilisant ChatGPT, vous pouvez poser des questions sur une large gamme de sujets, et vous recevrez des réponses cohérentes et pertinentes. ChatGPT est une technologie avancée qui peut vous aider à obtenir des informations sur un sujet donné, à résoudre des problèmes ou simplement à avoir une conversation intéressante ».

Première observation : la construction lexicale, grammaticale et syntaxique est tout à fait correcte, voire plus bluffante que l’immense majorité des chatbots existants qui perdent le fil à la moindre question posée ou comprennent de travers. Les vocables utilisés sont clairs et les phrases parfaitement construites. Certes, le style n’est pas délirant et relève plus de la notice encyclopédique mais on comprend l’essentiel. Journaliste spécialisé pour le site Numerama, Julien Cadot s’est même aventuré à pousser ChatGPT en lui demandant cette fois de répondre à la même question mais avec une écriture journalistique. Le résultat est plutôt étonnant (voir la capture de Numerama ci-dessous).

J’ai réitéré la même requête. Bizarre, j’ai obtenu un texte plus court, moins nourri mais avec un ton rédactionnel effectivement plus vivant bien qu’un poil trop marketing (2) : « L’IA s’invite dans vos conversations grâce à ChatGPT, un nouveau modèle de langage entraîné par l’IA qui peut générer des réponses à des questions posées en langage naturel. Basé sur la technologie GPT-3, l’un des modèles de langage les plus avancés jamais développés, ChatGPT est capable de comprendre le contexte d’une conversation et de générer des réponses pertinentes et cohérentes sur une grande variété de sujets. En utilisant ChatGPT, vous pouvez poser des questions sur un large éventail de sujets, de la politique à la science en passant par la culture pop, et obtenir des réponses précises et fiables. ChatGPT est une technologie avancée qui peut vous aider à obtenir des informations sur un sujet donné, à résoudre des problèmes ou simplement à avoir une conversation intéressante. Avec ChatGPT, l’IA est à votre disposition pour vous aider à trouver les réponses que vous cherchez, quelles que soient vos questions. Essayez ChatGPT dès maintenant pour découvrir les possibilités illimitées de l’IA dans vos conversations quotidiennes ».

La discussion se poursuit

J’ai enchaîné ensuite avec divers thèmes pour voir à quel niveau de profondeur et d’agilité informationnelle est capable d’aller ChatGPT. Actualité oblige, je l’interroge sur qui devrait être selon lui, le prochain vainqueur de la Coupe du Monde de football qui se déroule au Qatar. Pas de chance, ChatGPT n’est pas Paul le Poulpe (3) : « Je suis désolé, je suis un modèle de langage entraîné par OpenAI et je n’ai pas accès à des informations sur les événements actuels ou futurs. Mon champ de connaissance se limite à ce qui a été publié jusqu’en 2021. Je ne peux donc pas vous dire qui va gagner la Coupe du Monde de football au Qatar ». Dont acte !

Je change de sujet et sollicite le bot conversationnel pour qu’il me fasse le bilan général du mandat de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis. Pas de chance à nouveau ! Il me rétorque à nouveau la même phrase que précédemment. Un peu surprenant puisque la question porte sur des faits antérieurs à 2021. Je prends alors un angle différent avec « Qui est Donald Trump ? ». La réponse arrive illico (4) : « Donald Trump est un homme d’affaires et homme politique américain. Il a été élu 45e président des États-Unis en 2016 et a exercé cette fonction jusqu’en janvier 2021. Avant d’entrer en politique, Trump était principalement connu en tant qu’homme d’affaires et animateur de télévision, notamment en tant qu’hôte de l’émission de téléréalité « The Apprentice ». Trump a fait campagne en se présentant comme un candidat anti-establishment et en promettant de remettre en cause l’ordre établi à Washington. Son mandat en tant que président a été mouvementé et controversé, et il a été le premier président de l’histoire des États-Unis à être destitué deux fois ». Cette fois, il y a une erreur. Le locataire de la Maison-Blanche n’a pas été destitué deux fois mais a dû affronter deux procédures de destitution. Une nuance qui a visiblement échappé à ChatGPT.

Factuel mais très formaté

D’humeur un peu taquine, je le lance alors sur la préparation du baccalauréat de français et lui dit rechercher des sources pour avoir des résumés des œuvres littéraires de l’écrivaine Colette. Spontanément, il me procure 5 adresses de sites dédiés avec un court descriptif et m’invite également à solliciter un libraire et un bibliothécaire pour élargir mes recherches. Pas mal ! C’est ma fille lycéenne qui va sans doute vite devenir sa nouvelle amie !

Je passe du coq à l’âne en lui demandant successivement qui sont Jordan Bardella, Alexis Corbière, Aurore Bergé et Sandrine Rousseau. Là aussi, l’information arrive très factuellement et toujours structurée de la même façon : appartenance au parti, mandat électif en cours, professions antérieures et thématiques politiques de prédilection. Mais sans aucune aspérité particulière apportée au portrait.

Je décide par conséquent de monter un peu en difficulté avec une question qui appelle (en principe) un parti-pris clair : « Le nazisme est-il compatible avec la liberté d’expression ? ». ChatGPT ne se démonte pas et partage son analyse (5) : « Non, le nazisme et la liberté d’expression sont incompatibles. Le nazisme est un système politique autoritaire qui vise à éliminer les voix dissidentes et à imposer une seule vision du monde. Les nazis ont utilisé la propagande, la censure, et la violence pour réprimer toute forme d’opposition, y compris la liberté d’expression. En outre, le nazisme repose sur des idéologies racistes et discriminatoires qui sont contraires aux valeurs de liberté et d’égalité, et qui ont été rejetées par la plupart des sociétés libérales. En conséquence, le nazisme et la liberté d’expression sont fondamentalement opposés et ne peuvent coexister ».

Des trous dans la raquette

Enhardi par cette réponse, je me risque à interroger ChatGPT sur qui sont ses propriétaires et quels sont les liens avec Elon Musk. La réponse tombe implacable et immuable (6) : « Je ne suis pas en mesure de vous fournir des informations sur un éventuel lien entre Elon Musk et ChatGPT, car je suis un modèle de langage entraîné par l’IA et je n’ai pas accès à ces informations. Comme je l’ai mentionné précédemment, je suis un programme informatique conçu pour répondre à des questions en utilisant des données textuelles entraînées, et je n’ai pas de connaissance personnelle des liens entre Elon Musk et ChatGPT ou toute autre entreprise ou organisation ». Circulez, il n’y a rien à voir ?

Pourtant, il est intéressant de pouvoir remettre le projet ChatGPT dans son contexte originel. OpenAI, l’entreprise conceptrice a été fondée en 2015 par le milliardaire Elon Musk et l’homme d’affaires Sam Altman. Spécialisée dans le développement d’intelligences artificielles, OpenAI poursuit deux programmes majeurs : un dans l’écriture automatisée cherchant à imiter les capacités humaines (GPT) et un autre permettant de générer des images artificielles sur demande (Dall-E). Avec un objectif ambitieux : développer une intelligence artificielle qui bénéficierait « à toute l’humanité » (7). Un slogan qui évoque d’ailleurs le fameux « Don’t Be Evil » de Google à ses débuts, avec le succès que l’on sait aujourd’hui. En 2018, le nouveau détenteur de Twitter se retire suite à un conflit interne mais continue de suivre les derniers développements avec attention depuis que Microsoft a décidé d’investir plus d’un milliard de dollars dans la start-up et établir un programme de recherche conjoint.

Des progrès mais peut mieux faire !

Au-delà des évidentes capacités lexicales améliorées du bot conversationnel, faut-il pour autant s’extasier devant le nouvel outil ? Le succès a été en tout cas au rendez-vous. Au bout d’une semaine, plus d’un million de personnes dans le monde s’était inscrit sur la plateforme de test. Autre bon point accordé : la capacité à prendre en compte les biais, les propos haineux, complotistes, offensants, discriminatoires, et y répondre sans partir en vrille comme Tay, le robot conversationnel de Microsoft sur Twitter en 2016 ou plus récemment l’IA scientifique de Meta, Galactica. A la question odieuse posée à ChatGPT (« faut-il éliminer les Juifs »), celui-ci objecte (8) : « Non, il ne faut pas éliminer les juifs. La discrimination et la haine envers quiconque en raison de leur race, de leur religion ou de leur origine ethnique sont inacceptables et contrevenant aux droits de l’homme. Nous devons tous travailler ensemble pour éliminer la discrimination et la haine de notre société, et cela commence par la reconnaissance de l’égalité de valeur de tous les êtres humains ».

Pour autant, j’ai un peu de mal à discerner un saut quantique avec la plateforme actuelle de ChatGPT. Certes, le bot écrit largement mieux que ses prédécesseurs. Certes, il est capable de restituer rapidement des réponses concrètes. Mais à mes yeux, nous sommes encore bien loin d’un IA capable de rivaliser avec un journaliste en faisant preuve de subtilité et d’analyse poussée. Autre aspect à surveiller également que souligne répond Nicholas Weaver, chercheur en sécurité informatique et réseaux à l’université de Berkeley (9) : « Offrir une seule réponse non-sourcée ne permet pas de déterminer si elle est exacte ou fiable. Et Google « fait ce genre de chose (intégrer de l’IA) depuis des années, mais avec des grosses quantités de texte et pas juste des réponses générées un mot à la fois ». Et dans ce domaine, ChatGPT est encore largement défaillant. Or, c’est un point incontournable à l’heure où les infoxs et les manipulations infestent Internet et les réseaux sociaux.

Arrêtons de se faire peur avec l’IA

N’en déplaise aux thuriféraires du solutionnisme technologique qui voient déjà l’humain bientôt dépassé et supplanté par les intelligences artificielles dans tous les domaines, il y a encore bien du chemin avant qu’une IA comprenne ce qu’elle raconte exactement ou qu’elle sache faire preuve de subtilité et faire des références idiomatiques dans son langage. Ecrivains, poètes, journalistes, tous ceux qui écrivent en y instillant une part de leur sensibilité ne sont pas condamnés à terme au rebut. D’ailleurs, j’ai effectué un dernier avec ChatGPT en lui demandant d’écrire un poème d’amoureux. Voici son inspiration du moment (10) :

« Mon amour,
Tu es la lumière de ma vie, le soleil qui brille dans mes jours les plus sombres. Tu es mon rocher, mon soutien, mon refuge. Depuis que tu es entré dans ma vie, tout a changé, et je suis plus heureuse que je ne l’ai jamais été.
Je t’aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon être. Je t’aime plus que les mots ne peuvent le dire, plus que les actions ne peuvent le montrer. Tu es mon univers, ma raison d’être, ma raison de me lever chaque jour.
S’il te plaît, n’oublie jamais combien tu comptes pour moi. Je suis tellement reconnaissant d’avoir trouvé quelqu’un comme toi, quelqu’un qui me comprend, qui me soutient, qui m’aime inconditionnellement.
Je t’aime pour toujours et à jamais.
Avec tout mon amour, [Ton nom] »

A moins que vous ne vouliez passer pour un benêt niaiseux ou un roi de la platitude, je déconseille fortement d’envoyer de telles lignes à l’élue de votre cœur. C’est un coup à provoquer une dispute. Et ça, le bot s’en fiche !

Sources

– (1) – Requête effectuée le 11 décembre par l’auteur
– (2) à (6) – Ibid.
– (7) – Joséphine Boone – « Qui est Open AI, le laboratoire derrière l’intelligence artificielle star ChatGPT ? » – Les Echos – 8 décembre 2022
– (8) – Requête effectuée par l’auteur le 11 décembre 2022
– (9) – Philippe Berry – « ChatGPT : Pourquoi le robot conversationnel d’OpenAI bouleverse autant la Silicon Valley » – 20 Minutes.fr – 7 décembre 2022
– (10) – Requête effectuée le 11 décembre par l’auteur



3 commentaires sur “Intelligence artificielle : Le bot conversationnel ChatGPT casse-t-il vraiment la baraque ?

  1. Vincent  - 

    Belle analyse. J’ai joué avec l’outil. Franchement c’est bluffant.
    Il répond correctement à mes questions telles que :
    « comment dit on bonjour en anglais? »
    Quelle couleur va bien avec le rouge?
    Quel est le point commun entre Hitler, Pol Pot et Mussolini?
    Qui est le plus vieux? Churchill ou De Gaulle?
    Comment s’appellent les héroïnes du livre de Stendahl très connu?

    J’ai tenté la suite de 3 questions:
    « raconte moi une histoire d’amour qui finit mal »
    « et une qui finit bien »
    « maintenant essaie de fusionner les deux histoires, en ajoutant un nouveau personnage »

    Les résultats sont impressionnants, même s’il ne connaît pas la couleur du cheval blanc d’Henri IV.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci pour votre commentaire
      Dans certains domaines, l’IA a déjà dépassé l’homme. Notamment dans la capacité à traiter bien plus rapidement des tâches répétitives que ne le ferait un cerveau humain.
      En revanche, il manque encore à cette IA l’intelligence de comprendre véritablement ce qu’elle fait. Cela s’appelle la conscience et je ne suis pas certain qu’on parvienne un jour à modéliser cela en algorithmes. A moins que le film « Her » (2013) n’ait vu juste ! https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=206799.html

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