Free Mobile : l’image du geek trublion suffira-t-elle à s’imposer sur le marché ?

D’aucuns l’attendaient avec impatience au pied de leur sapin de Noël. Pas de chance ! Free Mobile n’a pas encore dégainé l’offre fracassante promise par son emblématique patron, Xavier Niel. En attendant le 10 janvier, échéance butoir fixée par l’ARCEP (le régulateur des télécoms) pour procéder au lancement effectif, celui que les médias surnomment volontiers le « flibustier du Net » peaufine sa stratégie de communication pour bousculer les opérateurs traditionnels mais aussi les MVNO, ces acteurs sans réseau qui proposent des forfaits low-cost.

Décryptage d’une image savamment cultivée de rebelle high-tech allergique à l’establishment guindé des télécoms. Un pari à quitte ou double ? A voir !

Génétiquement rebelle

Xavier Niel, l’empêcheur de tourner en rond des télécoms et d’Internet avec sa marque Free

Toute l’essence du groupe Iliad créé par Xavier Niel en 1991 pour gérer ses activités de télécommunications se résume dans une marque iconique à la sémantique parfaite : Free. A elle seule, elle incarne le combat que n’a jamais cessé de mener Xavier Niel à l’égard des rentes de situation jalousement défendues par les opérateurs télécoms traditionnels. Son « Austerlitz » à lui, il l’a décroché au début des années 2000 en faisant vaciller le poids lourd France Telecom dans l’accès à Internet à grands coups de tarifs ultra-avantageux et d’innovations technologiques gonflées. Depuis cette victoire, la marque Free résonne incontestablement comme le chien fou déboulant sans crier gare dans le jeu de quilles soigneusement élaboré par le triumvirat des télécoms tricolores : Orange, SFR et Bouygues.

Pour rehausser cette image de geek trublion que véhicule Free, la réputation iconoclaste de son propre patron vient encore appuyer un peu plus la légende qui emprunte même des chemins sulfureux. Xavier Niel doit en effet une partie de sa grosse fortune à sa réussite dans le Minitel rose que ses adversaires les plus farouches ne manquent jamais de rappeler dédaigneusement tout comme les aléas judiciaires qu’il a connus en investissant dans un peep-show. Autant dire que l’homme détonne dans un univers surdominé par des crânes d’œufs psychorigides et pas vraiment funs, tous diplômés de surcroît des plus prestigieuses écoles françaises d’ingénieurs.

Autre atout mais non des moindres qui concourt à la réputation décalée de Xavier Niel : l’entêtement des acteurs traditionnels à verrouiller le marché des télécoms à leur unique avantage et souvent sur le dos du consommateur. Si depuis 10 ans, le prix des télécommunications mobiles a effectivement baissé de 40%, les Français continuent toujours de débourser plus que leurs voisins européens. S’il n’y avait pas eu les efforts soutenus des autorités de régulation, il est même fort à parier que le trio historique n’aurait pas raboté les prix des abonnements. Un pont argumentaire en or pour Free pour se différencier !

Dessin de Na! Son site : www.dessinateur.biz

D’ailleurs, lorsqu’il s’est agit d’attribuer une 4ème licence mobile, ce fut une gigantesque levée de boucliers au sein du triumvirat accompagné d’un intense lobbying auprès du gouvernement pour tuer dans l’œuf l’éclosion d’un potentiel nouveau concurrent. Ce qui faisait dire avec mordant en avril 2008 à Guy Roussel, alors président de l’équipementier télécoms Ericsson en France dans une interview donnée à Economie Matin (1) : « Un opérateur, c’est un monopole. Deux opérateurs, c’est un duopole. Trois opérateurs, c’est une entente illicite. Quatre opérateurs, c’est la vraie concurrence » ! Gonflé mais véritable reflet du statu quo prévalant sur le marché français et auquel Free a décidé de s’attaquer.

L’art du marketing viral selon Niel

Tous les opérateurs ont déjà dégainé leur offre à bas prix pour contrer l’arrivée de Free dans le mobile

Une fois sa quatrième licence en poche, Xavier Niel ne s’est alors pas privé de décocher ponctuellement des petites phrases laissant entendre qu’il allait largement secouer le cocotier juteux des opérateurs mobiles. Fort de sa base de 4,8 millions d’abonnés aux services ADSL et souvent « Free-maniacs » convaincus, l’impétrant aime titiller ses gros adversaires. En décembre 2009, il clamait déjà pouvoir « diviser par deux la facture des familles » (2). En mai 2011, il déclarait ainsi (3) : « Au Pakistan, vous avez un opérateur qui a un forfait à 3 dollars et qui gagne beaucoup d’argent. Donc, on a un espace économique colossal pour bouleverser le secteur ». Ajoutez à cela quelques petites confessions subtilement distillées sur les plus technologiques que comportera le futur réseau mobile Free et vous suscitez imparablement l’attente auprès des consommateurs prompts à migrer vers des acteurs moins chers et tout aussi performants.

Le message est d’ailleurs tellement bien passé que les grands opérateurs ont prestement concocté des répliques avant que Free Mobile ne ratisse trop large dans leurs portefeuilles d’abonnés. Sosh pour Orange, RED pour SFR et B&You pour Bouygues Télécom ont ainsi fleuri à moins de 30€ par mois via des offres sans engagement, sans mobile et de 10 à 20% moins chers que les forfaits classiques vendus en magasins. Même les opérateurs virtuels y sont allés de leur contre-offensive tarifaire comme Virgin Mobile avec Liberty Sim. Ce qui fait dire pas peu fier à Olivier Roussat, directeur général de Bouygues Télécom (4) : « B&You marche clairement sur les codes de Free issus du monde de l’Internet. En s’adressant à un internaute autonome, notre offre sera donc le principal challenger du futur entrant ».

De la com’ percutante avant le compte à rebours !

« The rocket is on the launch pad », le seul tweet de Xavier Niel mais quel tweet !

A l’amorce de la dernière ligne droite, Xavier Niel ne s’affole guère des agitations de la concurrence. Provocateur, il lance même lors de la conférence Le Web à Paris le 8 décembre dernier (5) à l’adresse de ceux-ci : « Commencez à couper vos prix, nous arrivons ! Partez ce week-end, repensez votre stratégie marketing et vous aurez peut-être une chance de continuer à exister ». Et histoire de faire monter encore un peu plus la pression, Xavier Niel publie quelques jours plus tard un hiératique message sur son compte Twitter  (est-ce vraiment le sien ?) qui agite aussitôt la blogosphère (6) : « La fusée est sur le pas de tir » ! De l’art de créer le buzz sans y toucher !

De fait, les médias ont parfaitement reniflé le filon. Ils s’empressent alors de multiplier les reportages sur le trublion de Xavier Niel et son prochain défi qu’est Free Mobile. L’iconoclaste patron a ainsi droit à un long article dans le Wall Street Journal où il martèle deux idées simples : Free Mobile sera l’offre la moins chère d’Europe et divisera par deux la facture. La Tribune et Le Nouvel Observateur embraient et demandent à Xavier Niel s’il ne craint pas l’échec. Réponse illico (7) : « Même si je ne prends que 5% du marché, cela fera un milliard de chiffre d’affaires et cela me suffira pour couvrir mes frais ». Argumentaire fier-à-bras que l’on retrouve dans les portraits publiés dans la foulée par Le Nouvel Observateur, Challenges et Le Point. Même France 2 consacre un long reportage dans son JT de 20 heures quelques jours avant Noël. La machine médiatique est lancée, le buzz peut tourner et répéter les recettes qui ont si bien fonctionné pour le lancement de la nouvelle Freebox quelques mois auparavant.

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Sources

(1) – Entretien accordé en avril 2008 à Olivier Magnant d’Economie Matin en présence de l’auteur de ce billet
(2) – Daniel Rosenweg – « Le pari osé de Free sur le marché du mobile » – Le Parisien – 21 décembre 2011
(3) – Guillaume Grallet – « Niel veut (encore) tout faire sauter » – Le Point – 22 décembre 2011
(4) – Emmanuel Paquette – « Bouygues Telecom, le maillon faible » – L’Express – 21 décembre 2011
(5) – Max Colchester – « Joyeux Noël for French mobile phone users ? » – Wall Street Journal – 14 décembre 2011
(6) – « Le missile Free Mobile prêt au lancement » – ForfaitFree.com – 13 décembre 2011
(7) – Claude Soula – « Le plan de bataille de Free » – Le Nouvel Observateur – 15 décembre 2011