Héros un jour, haro l’autre jour : le cas José Bové

Le 16 novembre prochain, José Bové et trois de ses compères faucheurs volontaires seront fixés sur leur sort judiciaire. Soit ils écopent d’une amende de 6000 € pour avoir fauché des plants de maïs transgéniques près de Marmande en 2006, soit ils sont relaxés. En d’autres temps, la nouvelle aurait fait grand bruit et l’objet d’une tapageuse couverture médiatique.

Cette fois, l’histoire n’a pas fait vraiment recette hormis quelques images dans les JT de 20 heures et de bien classiques reportages. Onze ans plus tôt, le moustachu rebelle avait pourtant déchaîné les passions en démontant un restaurant McDonald’s à Millau. A l’époque, les caméras de télévision avaient déboulé en force pour suivre les combats de l’Astérix écolo contre les légions consuméristes et productivistes de la malbouffe.

Entre ces deux épisodes, comment expliquer que José Bové soit passé du statut de « héros médiatique » à celui de quasi quidam de la vie publique. Dans les deux affaires, l’homme a commis des dégradations passibles de sanctions judiciaires similaires. Pourtant, l’information est aujourd’hui renvoyée au rang de sujet de « seconde zone » là où elle phagocytait les unes des journaux et les plateaux de télévision quelque temps auparavant. Décodage d’un phénomène pipolo-médiatique récurrent à travers le cas José Bové.

Recherche bon client médiatique

José Bové : un mythe s’éveille … puis s’éteint

La relégation éditoriale de José Bové est symptomatique du fonctionnement des médias à l’égard des figures qui surgissent et alimentent l’actualité. Jamais repu, le démiurge médiatique fonctionne selon une mécanique implacable qui engendre et façonne des créatures avant de les vilipender ou de les jeter ensuite aux orties aussi prestement qu’elles ont été portées au pinacle. Comme tant d’autres, José Bové n’a pas échappé à cet axiome qui le cantonne aujourd’hui à un acteur écolo un peu en perte de vitesse et vaguement notabilisé depuis son élection sur les bancs de l’assemblée européenne.

Un documentaire réalisé en 2007 par le journaliste Damien Doignot et intitulé « José Bové ou le cirque médiatique », s’est penché en particulier avec minutie sur la construction et la déconstruction médiatique du fermier moustachu du Larzac. Uniquement visible sur Internet, le reportage met clairement à jour la façon dont l’ancien porte-parole de la Confédération Paysanne a fait soudainement irruption dans le petit théâtre médiatique.

José Bové: Le cirque médiatique 1/3
envoyé par mortimer111. – L’info video en direct.

La convocation au tribunal de Millau pour un McDo démonté vaut à Bové la consécration médiatique (photo Eric Franceschi)

José Bové a gagné ses galons médiatiques avec le fameux « démontage » d’un restaurant McDonald’s à Millau en août 1999. Motif de cette opération coup de poing : protester contre la hausse de 100% des taxes douanières frappant le fromage de Roquefort aux Etats-Unis. Syndicaliste agricole et militant altermondialiste de longue date, l’homme n’en est pas à son premier coup d’éclat musclé. Activiste convaincu, il n’a de cesse de dénoncer le capitalisme qui tue les petits producteurs. La destruction du « McDo » n’est donc qu’une action parmi d’autres comme l’explique dans le reportage, son compère de l’époque Jean-Emile Sanchez (1) : « Au départ, on a eu seulement un reportage sur France 3 Sud, une demie page dans le Midi Libre et la Dépêche du Midi, quelques lignes dans Libération et terminé. C’était une action comme on en a fait des dizaines (…) Tout a changé de dimension avec la dérive policière et judiciaire liée à cette action ».

Quelque temps plus tard, les militants sont en effet incarcérés pour les dégradations commises. Le juge d’instruction subordonne leur libération au versement d’une conséquente caution. Fort des comités de soutien qui se forment et des actions commandos menées par la Confédération Paysanne, José Bové en appelle alors à la résistance et décide d’ameuter les médias. Bingo ! Les caméras flairent le bon client et accourent aussitôt pour capturer l’image d’un Bové rebelle qui sort de prison peu de temps après en brandissant victorieusement ses poings menottés entre des cordons massifs de CRS et surtout sans avoir payé sa caution libératoire. La starification est désormais en marche ! José Bové devient l’emblème médiatique de la lutte gauloise des produits du terroir contre la malbouffe du géant multinational du hamburger.

Un Astérix écolo est né !

L’ex-« taulard » devient une « rock-star » et en fait un livre manifeste

Les médias se sont emparés avec gourmandise de cette nouvelle figure héroïque comme le constate un Jean-Emile Sanchez un brin dépité (2) : « On a focalisé sur une personne qui a cristallisé toute l’attention médiatique par une décision de refuser de sortir de prison sous caution. On en a fait plus un homme public qu’un porte-parole d’une organisation syndicale ». De fait, le discours tenu par José Bové compte moins que les symboles qu’il véhicule devant une caméra. Avec ses moustaches tombantes version Astérix le petit Gaulois, il suçote une pipe à la façon d’un intello sartrien tout en portant des chemises rustiques tel un Charles Ingalls tout droit sorti d’une adaptation franchouillarde de la célèbre série « La petite maison dans la prairie ». Tous les ingrédients sont donc réunis pour catapulter José Bové dans le panthéon médiatique des « bons clients » d’autant que l’homme se double d’un excellent orateur, parfaitement bilingue de surcroît !

Avec un portrait pareil, José Bové a de toute évidence tout pour plaire et devenir une espèce de prophète bravache et véhément qui vitupère contre le capitalisme et la mondialisation. La presse en raffole comme cette journaliste de Radio France (3): « Il sait très bien sur quel format on travaille. Il te fait une réaction sur 40 secondes qui est un format parfait pour une radio ». Et son confrère de RMC d’ajouter dans le même registre (4) : « Il fait plus de bruit et il a par là une plus grande légitimité en communication et parce qu’il est plus connu que les autres porte-paroles ».

Le militant devient un forçat des plateaux. Emissions politiques, talk-shows, programmes de variétés, José Bové répond à toutes les sollicitations. Il mène une intense promotion de son livre militant (5) dont la couverture montre à nouveau un Bové exhibant fièrement ses menottes. L’animateur Thierry Ardisson le présente comme « une énorme star, l’Astérix de Seattle, un héros qui nous venge ». Rien de moins ! Chez Michel Drucker, il s’esbaudit en menottant l’inoxydable présentateur des après-midis dominicaux sur son canapé. Avec Laurent Ruquier, il se prête à une dégustation en aveugle de hamburgers tandis que sur TF1, il entre sur le plateau en conduisant un char à bœufs ! Très vite, le leader syndical de la Confédération Paysanne s’efface derrière le rebelle médiatisé qui fauche à tour de bras les champs de maïs OGM entre échauffourées avec les forces de l’ordre et démêlés avec les tribunaux.

De l’hégémonie aux gémonies

Les maladroites déclarations de José Bové sur le conflit israélo-palestinien marquent le début des hostilités médiatiques

Jouir du statut de bon client ne procure pas pour autant à son titulaire, une assurance-vie médiatique inexpugnable. Le statut de bon client exige notamment de ce dernier qu’il sache régulièrement se renouveler sans jamais lasser, sous peine sinon de vite devenir un Janus médiatique où la face lumineuse cède alors le pas à la face sombre. En revanche pour le pouvoir médiatique, peu lui importe la face exhibée puisque dans les deux cas, il disposera toujours d’un personnage sur lequel gloser et alimenter le feuilleton de l’actualité.

Après avoir adulé Bové et l’avoir filmé sous toutes les coutures dans ses multiples pérégrinations de rebelle planétaire à Seattle, Porto Alegre ou encore Davos, la machine médiatique commence alors à saturer. Les bacchantes contestataires deviennent peu à peu éculées à force d’être sollicitées tous azimuts. La jacquerie médiatique ne fait plus autant recette.

A partir de 2002, les premières lézardes se font jour. Ce sont d’abord de discrètes critiques accusant Bové de trop en faire. Puis survient le dérapage qui met le feu aux poudres. De retour d’une rencontre officielle avec Yasser Arafat, José Bové se livre à des déclarations extrêmement maladroites sur le conflit israélo-palestinien. Il s’attire aussitôt le courroux de plusieurs intellectuels renommés. Avec la même promptitude que pour l’épisode des menottes et de la sortie de prison, la presse tape durement. Marianne ouvre ses colonnes à Alain Finkielkraut tandis que Le Point se fend d’une lettre ouverture rédigée par Bernard-Henri Lévy. Dans l’émission de Thierry Ardisson, Alain Minc assène sa sentence irrévocable (6) : « José Bové est plus dangereux que Ben Laden ».

Avec une égale constance, les médias poursuivent alors le dépeçage d’un mythe qu’ils ont pourtant eux-mêmes bâti. En octobre 2002, Canal + diffuse un reportage (7) particulièrement virulent où l’imagerie médiatique de José Bové est démontée avec d’autant d’application que le McDo de Millau le fut. Celui qui était encore il y a peu de temps un sympathique paysan révolté au volant de son tracteur aveyronnais, est désormais présenté comme un usurpateur n’ayant jamais réellement travaillé dans une ferme, ni vraiment manié la fourche doublé d’un fils de bourgeois manipulateur et hors-la-loi. C’en est désormais terminé avec la figure débonnaire du « Robin des Bois » paysan.

Conclusion : le Panthéon des bons clients

C’est l’histoire d’un faucheur fauché par trop d’exposition médiatique

Aujourd’hui, le « client » Bové est quelque peu rentré dans le rang des figures médiatiques. Certes, il continue d’avoir voix au chapitre comme lors de son expulsion manu militari au sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce à Hong Kong en décembre 2005. Le même jour, le journaliste Stéphane Paoli lui ouvre grand son micro dans le journal de France Inter pour clamer son indignation. Même sa candidature à l’élection présidentielle de 2007 n’aura pas suscité un écho aussi vivace que ses tribulations coup de poing contre les maïs transgéniques et les hamburgers-frites.

Son dernier avatar judiciaire lui a certes encore valu quelques micros et objectifs tendus çà et là à l’aube de répondre de ses actes devant le tribunal de Marmande. Cependant, on est bien loin des grandes fresques médiatiques où commentateurs, animateurs et journalistes se disputaient avec acharnement la bonne parole du prédicateur anti-OGM. La figure José Bové ne présente plus l’aspérité médiatique qui faisait accourir à bride rabattue les journalistes.

Pour autant, le filon du bon client n’est pas près de se tarir. A l’instar des hommes et des femmes politiques régulièrement jaugés dans les sondages, il existe depuis plusieurs années des baromètres d’opinion où sont étalonnées et classées les personnalités préférées des Français. Le plus connu de ces classements est celui qu’éditent tous les mois le Journal du Dimanche et l’institut de sondages IFOP. Un véritable Top 50 des bons clients où se croisent et s’entrecroisent des footballeurs, des acteurs, des scientifiques, des politiques, des chanteurs, des écolos, des comiques, des religieux, des tennismen, des explorateurs, bref tous ceux qui acquièrent une aura médiatique. Comme dans les hit-parades, on y entre, on en sort et on y revient, pourvu que le bruit médiatique soit au rendez-vous et que l’histoire soit croustillante. Tant que le bon client assure le service après-vente, les médias cautionnent et en redemandent. A qui le tour ?

Sources

(1)   – Damien Doignot – Documentaire « José Bové ou le cirque médiatique » – 2007
(2), (3), (4)   – Ibid.
(5)   – José Bové et François Dufour – Le monde n’est pas une marchandise – La Découverte – 2000
(6)   – Emission « Tout le Monde en Parle » – France 2 – 2002
(7)   – Eric Lehnisch – « José Bové, enquête de personnalité » – Canal + – Octobre 2002

Pour en savoir plus

– Sur la Toile, José Bové poursuit ses combats à travers notamment deux blogs : l’un officiel, « José Bové, un paysan pour l’Europe » et l’autre animé par des militants pro-Bové, « José Bové, l’homme nature«