Quels sont les grands enjeux de communication à relever en 2024 pour les entreprises ?

Qu’est-ce qui va particulièrement mobiliser les équipes de communication en 2024 dans la foulée d’une année 2023 qui fut riche en événements marquants, en évolutions technologiques qui ne cessent de faire bouger les lignes mais aussi en attentes sociétales et environnementales toujours plus pointues et inflexibles à l’égard des entreprises. Loin des prédictions abusives ou des promesses pompeuses du post-Covid, le Blog du Communicant s’est livré à un tour d’horizon des enjeux réputationnels dont la communication corporate doit absolument se préoccuper pour nourrir positivement la réputation de l’entreprise.

Enjeu n°1 : La réputation corporate toujours plus à l’épreuve des défis climatiques et environnementaux …

Les entreprises n’ont certes pas attendu l’évidence du dérèglement climatique pour s’emparer du thème et s’engager dans divers chantiers sociétaux et environnementaux. En revanche, l’année 2023 a montré en de multiples occasions que la réputation des entreprises est de plus en scrutée et décortiquée à l’aune des actions qu’elle prétend mettre en œuvre pour contribuer à la transition écologique. En plus de la tentation toujours persistante du « greenwashing » pour embrouiller ou retourner les opinions, nombre d’organisations voient leur réputation se flétrir significativement pour n’avoir pas (ou pas suffisamment) aligné leurs paroles et leurs actes.

Parangon de cette tension réputationnelle : TotalEnergies qui n’en finit pas de crouler sous les attaques des ONG et des médias (et aussi de quelques procès à la clé) tandis que le géant français des énergies fossiles s’efforce péniblement d’affirmer qu’il travaille d’arrache-pied au développement des énergies renouvelables et qu’il s’inscrit pleinement dans le scénario Développement durable de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) où les renouvelables représenteront plus de 35 % du mix énergétique en 2040. Et le PDG du groupe, Patrick Pouyanné d’égrener sans relâche les chiffres (1) : « Nous progressons très vite : 1 milliard d’euros investi dans les énergies bas carbone en 2020, 2 milliards en 2021, 4 en 2022, 5 en 2023… Nous ne pouvons pas aller plus vite ».

Pourtant, il s’avère bien difficile de croire au verdissement réputationnel de TotalEnergies quand dans le même temps, celui-ci annonce (entre autres) le relancement d’un projet d’exploitation de gaz naturel liquéfié au Mozambique début 2024 et le maintien du pharaonique projet pétrolier Eacop/Tilenga en Ouganda et en Tanzanie. Pire encore ! Dans un rapport publié en octobre 2023 (2), Greenpeace a calculé que TotalEnergies était impliqué pour l’année 2022 dans 33 bombes climatiques (projets dont les émissions pourraient dépasser chacun le milliard de tonnes de CO2) qui équivaudront à plus de deux fois les émissions mondiales de gaz à effet de serre si elles entrent en exploitation commerciale.

Pour TotalEnergies, ce grand écart réputationnel va devenir impossible à gérer à plus ou moins brève échéance. Indice probant de cette ligne de fracture qui se creuse : l’Assemblée générale des actionnaires qui a eu lieu à Paris en main 2023. L’événement s’est accompagné d’échauffourées dans la rue à proximité du lieu de l’AG entre militants activistes, forces de l’ordre et certains petits actionnaires assez réfractaires sur la thématique du climat. Tout cela sous l’œil goguenard des caméras des chaînes d’information continue et des smartphones relayant les vidéos sur les réseaux sociaux.

Dans la salle, la résolution climatique de l’ONG Follow This (alliée pour la circonstance à 17 investisseurs dont les branches Asset Management de La Banque Postale, Sycomore et Edmond de Rothschild) qui réclamait une baisse plus drastique des émissions de gaz à effet de serre de TotalEnergies, s’est vue validée par 30,44% des actionnaires en dépit d’un intense tir de barrage de la direction générale du pétrolier.

A l’initiative des entreprises ou (plus souvent) des actionnaires et/ou des investisseurs institutionnels, le Say on Climate est en effet une résolution portant sur les efforts climatiques des entreprises qui est inscrite à l’agenda d’une assemblée générale et soumise au vote des actionnaires. Objectif : exiger de l’entreprise de fixer des objectifs environnementaux élevés sur le risque climatique et d’y adjoindre des moyens, des plans d’action et des critères de mesure concrets. D’abord apparu aux Etats-Unis, ce type d’initiative connaît un vrai engouement en Europe. En 2022, dix entreprises françaises ont présenté un Say On Climate lors de leur assemblée générale avec un taux d’approbation des plans suggérés de 93% (3).  Il est fort à parier que ce nouveau terrain d’expression va vite devenir un gros enjeu de communication pour les entreprises et pourrait par la même occasion battre en brèche les opérations de « greenwashing ».

… mais aussi face à la pression croissante réglementaire et judiciaire

Toujours sur la question environnementale, la communication corporate des entreprises va également devoir s’imprégner de certaines nouveautés réglementaires et légales dès 2024. Côté réglementaire, 50000 entreprises actives au sein de l’Union européenne vont devoir appliquer à compter du 1er janvier 2024, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Derrière cet énième acronyme, figure une nouvelle obligation : fournir un reporting annuel de performance extra-financière au niveau organisationnel, sociétal et environnemental. Autrement dit, terminées les belles et ronflantes brochures aux envolées lyriques sur les actions conduites par l’entreprise. Désormais, il va falloir nourrir et justifier par le chiffre et le concret. Et en cas d’omission ou de mensonge, la case tribunal se rapproche de plus en plus.

Sur le terrain juridique, les rapports se sont en effet nettement durcis. Longtemps absents des prétoires, les procès climatiques enregistrent dorénavant une progression fulgurante. Le Sabin Center for Climate Change Law de l’université de Columbia aux États-Unis a recensé 2 341 contentieux climatiques à l’heure actuelle devant les tribunaux dans une cinquantaine de pays à travers le monde. Depuis l’Accord de Paris de 2015, le nombre a même été multiplié par trois (4). Autre point notable : les décisions des juges s’inscrivent une fois sur deux dans un sens favorable au climat. L’inaction climatique est d’ailleurs très régulièrement le motif invoqué pour traîner une entreprise en justice.

Financièrement, le risque induit par ces litiges est proportionnellement grandissant. En mai 2023, une équipe de chercheurs du Grantham Research Institute de la London School of Economics a sorti la calculette pour évaluer les impacts. A leurs yeux, les litiges climatiques sont un risque financier d’envergure pour les entreprises – en particulier celles des énergies fossiles. En moyenne, le dépôt d’une nouvelle plainte ou la publication d’une décision de justice contre une entreprise réduit sa valeur boursière attendue de 0,41%, avec des variations selon les étapes du processus : – 0,57% en moyenne après le dépôt d’une plainte et -1,5 % après un jugement défavorable (5). A cette facture qui peut donc s’avérer douloureuse pour la trésorerie, vient aussi s’ajouter concomitamment la menace réputationnelle d’autant plus que ces procès enregistrent une médiatisation croissante.

Autre épée de Damoclès qui pend également au-dessus de la réputation des entreprises : le délit d’écocide. En France, il existe déjà depuis la loi Résilience qui l’a intégré dans le Code de l’environnement et qui se définit comme un acte intentionnellement commis et préjudiciable pour l’environnement. Le 16 novembre 2023, un accord a été trouvé au niveau des 27 de l’Union européenne pour reconnaître le crime d’écocide et inscrire ainsi une directive sur la criminalité environnementale dans le droit pénal européen. De nouvelles infractions ont été ajoutées comme la commercialisation de produits issus de la déforestation importée, les prélèvements illégaux d’eau, la destruction de l’habitat ou de l’ozone, le rejet de substances polluantes par les navires ou encore le commerce de mercure.  Les entreprises en infraction se verront infliger dans les cas les plus graves des amendes pouvant aller jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires mondial annuel ou 40 millions d’euros. De plus, elles pourront être privées de financements publics et seront tenues de réparer les dommages et d’indemniser les victimes (6).

Enjeu n°2 : Les conflits armés s’invitent dans la communication des entreprises

Les champs de bataille n’ont jamais vraiment été la préoccupation première des communicants d’entreprise (hormis peut-être celles qui évoluent dans l’industrie de l’armement et autres activités militairement sensibles). Depuis que la guerre a éclaté en Ukraine suite à l’invasion russe du 24 février 2022, les entreprises se sont retrouvées propulsées sur une nouvelle ligne de front réputationnelle à leur corps défendant. Très vite en effet, elles ont été sommées de cesser leurs activités industrielles et commerciales en Russie dans le cadre des sanctions économiques et diplomatiques édictées à l’encontre du pays dirigé par Vladimir Poutine. Certaines ont rapidement obtempéré (souvent parce que leur business russe était d’importance moindre et/ou peu florissant) quand d’autres ont dû se faire tirer par la manche pour se retirer comme TotalEnergies, Société Générale ou encore Renault en France.

Très en verve dans sa communication martiale, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky ne s’est lui-même pas privé d’exhorter publiquement de grandes enseignes à stopper immédiatement toute collaboration sur le territoire ennemi. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, il étrillera successivement des mastodontes américains comme Microsoft et Oracle mais aussi Nestlé et les banques suisses et des entreprises françaises comme Auchan et Leroy Merlin. D’aucunes vont pourtant renâcler comme Leroy Merlin, Auchan et Decathlon pour lesquelles le marché russe pèse une part très prépondérante dans leur chiffre d’affaires. Enfin, Bonduelle et Danone assurent quant à eux remplir leur « devoir alimentaire » et continuent de produire des denrées afin d’éviter des pénuries.

Deux d’entre-elles vont alors se retrouver avec une crise réputationnelle sur les bras. C’est d’abord Bonduelle qui se voit accusé début 2023 de collaboration ouverte avec le régime du Kremlin par l’Ukraine. Sur les réseaux sociaux, fleurissent des photos dénonciatrices de colis alimentaires que l’entreprise aurait adressés aux soldats russes avec un mot d’encouragement signé par la société ! Bonduelle démentira vivement cette controverse mais son image s’en trouve troublée. Plus récemment, c’est Decathlon qui vient de se faire pincer par le média d’investigation Disclose. Ce dernier révèle que l’enseigne nordiste continue de commercer avec la Russie via un système de distribution dissimulé entre Dubaï et Singapour. L’entreprise s’est défendue d’avoir commis une infraction en déclarant qu’elle ne faisait qu’honorer une fin de contrat avec le repreneur russe de ses anciennes activités. Pour l’enseigne régulièrement plébiscitée par les Français, la posture reste néanmoins embarrassante.

Un autre conflit a également happé des entreprises : celui qui oppose le mouvement terroriste palestinien du Hamas et l’Etat d’Israël suite aux carnages perpétrés par les premiers le 7 octobre causant le mort de 1400 personnes et la prise en otage de 240 autres. Tsahal a aussitôt répliqué en menant d’incessants bombardements meurtriers dans la bande de Gaza avant d’y pénétrer militairement quelque temps plus tard. Avec un bilan gravissime : plus de 20 000 morts dénombrés par les ONG sur place. Cette férocité a alors conduit de nombreux militants pro-Palestine à s’en prendre aux entreprises israéliennes mais également américaines du fait de l’appui diplomatique et militaire des Etats-Unis apporté à Israël. Dans le monde entier, les réseaux sociaux ont alors bruissé d’appels au boycott d’enseignes comme Starbucks et McDonalds (avec des magasins vandalisés en Turquie et des agressions en Malaisie) mais aussi Carrefour, Coca-Cola, Nestlé, etc. Les entreprises incriminées ont nié toute implication dans le conflit mais elles demeurent suspectes d’avoir une position pro-Israël. Notamment depuis que la franchise israélienne de McDonalds a annoncé en novembre dernier la distribution de milliers de repas gratuits à l’armée israélienne.

D’autres marques ont quant à elles vu leur image « kidnappée » et détournée comme la marque de textile Zara. Début décembre, celle-ci venait de lancer une campagne publicitaire plutôt décalée montrant des sculptures inachevées enveloppées dans des draps blancs, le tout dans un décor de murs endommagés. Il n’en fallut pas plus pour qu’aussitôt des centaines de milliers d’internautes pourrissent la marque espagnole en la suspectant d’une macabre et moqueuse mise en scène des bombardements sur les civils palestiniens à Gaza. La marque a dû interrompre séance tenante sa campagne et se fendre d’un mot d’excuse expliquant qu’il n’y avait aucune allusion au conflit mais une simple intention artistique élaborée avant le début des combats. Quant à l’équipementier sportif Puma, celui-ci s’est retrouvé dans un drôle d’imbroglio à base de fake news. A la même époque, la marque allemande annonce la fin prochaine de son partenariat sportif avec l’équipe nationale de football d’Israël. L’annonce est immédiatement reprise et glorifiée par un mouvement palestinien comme étant le résultat probant de ses appels au boycott. Pourtant, le Financial Times va vite révéler que cette décision était intervenue avant la guerre et qu’elle procédait simplement d’une nouvelle approche marketing de Puma qui souhaite équiper des formations plus huppées et médiatisées !

Toutes les guerres n’impacteront évidemment pas systématiquement le capital réputationnel d’une entreprise. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faudra dorénavant établir une veille très active dans le cas où une société opère dans un pays en guerre ou dont les activités sont susceptibles d’être attaquées par des belligérants. La puissance des réseaux sociaux fait que la tentation de tordre le bras d’un grand nom pour s’arroger des soutiens (ou en couper) devient une arme de guerre informationnelle. A cet égard, il convient de garder en mémoire le cas du cimentier français Lafarge coupable d’avoir soutenu financièrement l’organisation terroriste Daech en Syrie en 2013 et 2014 pour pouvoir continuer d’exploiter son usine locale. Bien que rachetée depuis par Holcim, la marque reste entachée d’une opprobre réputationnelle dont il sera difficile de se débarrasser.

Enjeu n°3 : Et l’IA dans tout ça ? Catastrophe en vue ou pas ?

S’il est un acronyme qui a déchaîné les passions et les prédictions en tout genre en 2023, c’est bien celui de l’intelligence artificielle (IA). Les professionnels de la communication n’y ont pas échappé. On ne compte plus le nombre de tribunes et d’interviews enflammées ou alors collapsologiques qui ont essaimé dans les médias sur le sujet. D’un côté, il y a les tenants du catastrophisme le plus absolu où les humains vont progressivement se faire remplacer par les algorithmes de l’IA. Au point d’en appeler à réguler urgemment et dans tous les sens pour éviter ce « grand remplacement » fantasmatique des communicants. De l’autre, des voix plus pondérées tiennent à rappeler que l’IA n’est qu’un outil, certes d’une puissance inégalée à ce jour mais qu’elle reste conçue et alimentée par l’humain pour pouvoir exister. Comme le rappelle à juste titre Carole Lailler (photo ci-dessous), docteur en sciences du langage et experte IA dans une interview accordée au Blog du Communicant (7) : « L’humain n’est pas supplanté ou réduit à la marge comme certains le prophétisent. L’humain reste au cœur de l’évolution et des usages de l’IA ».

Il est clair que l’usage de l’IA va s’intensifier et s’étendre dans les métiers de la communication à mesure que les modèles de langage vont s’améliorer et s’enrichir de toujours plus de données et de capacité de calcul. Mais plutôt que considérer abusivement que l’IA est l’extrême-onction du communicant (notamment en matière de création de contenus), il serait plutôt utile de reprendre ses esprits et savoir raison garder. L’IA va indéniablement modifier certaines façons de travailler mais en aucun cas, elle ne saura se substituer seule aux humains qui l’utilisent.

Prenons l’exemple du communiqué de presse, une action généralement très gourmande en temps passé à le documenter, le rédiger, le faire valider et le diffuser. L’adjonction de l’IA va constituer un gain de temps significatif dans la recherche de données, voire la suggestion de structures éditoriales mieux appropriées en fonction de la cible visée, l’affinage des listes de distribution (ce qui éviterait bien des spams !) ou encore la traduction de celui-ci en plusieurs langues. Pour autant, l’IA est incapable de pondre par elle-même une contenu pertinent et informatif si le concepteur humain n’a pas les idées claires et ne formule pas des requêtes adaptées et précises. Quiconque s’est déjà essayé à questionner ChatGPT, Bard et consorts, aura noté que les réponses sont assez fluctuantes en termes de qualité et de bien-fondé selon que la question est vague ou carrée ?

A mes yeux, l’IA va avant tout procurer une économie de temps inestimable sur des tâches souvent similaires et répétitives. En revanche, il faudra toujours avoir un cerveau humain pour définir les bonnes questions adressées à l’IA en amont et pour vérifier et corriger le cas échéant le résultat fourni en aval. Dans le cas de la traduction où le contexte idiomatique et culturel d’une langue est un point essentiel, une IA n’est pas en mesure d’aller à ce niveau de finesse et de subtilité du langage. Il ne faut en effet jamais perdre de vue que les bases de données constituées pour faire tourner un modèle de langage sont assemblées par des humains qui ont leurs propres biais linguistiques et schémas de pensée.

De même, l’IA est incapable de gérer la péremption des données qu’elle ingurgite. Seule, l’intervention humaine peut définir ce qui reste valide de ce qui est devenu obsolète. Plutôt que jouer à se faire peur, il convient juste d’appliquer le conseil de Carole Lailler (8) : « Faites votre propre expérience en utilisant les outils qui existent pour comprendre comment vous pourriez améliorer vos usages professionnels en gagnant du temps sur des tâches fastidieuses, en trouvant des suggestions qu’il vous revient ensuite d’optimiser et d’enrichir avec votre créativité et votre connaissance d’un sujet donné. L’IA générative reste un outil à votre service pour en tirer le meilleur parti ». En somme, « calmez-vous, ça va bien se passer » pour reprendre la remarque ironique d’un ministre actuel à une journaliste qui l’interrogeait.

Enjeu n°4 : Faut-il quitter X (ex-Twitter) mais pour quelle alternative ?

En 2023, c’est peu de dire qu’Elon Musk a totalement déglingué Twitter qu’il a rebaptisé en juillet dernier sous le nom de X. Sa stratégie erratique n’en finit pas de dérouter ses utilisateurs, exceptés les aficionados de saint Elon prêts à payer un abonnement pour disposer d’une pastille bleue, d’une meilleure exposition sur le réseau et de la possibilité de dire tout et n’importe quoi sans craindre le bannissement puisque la modération de la plateforme a été décapitée et que Musk milite pour une liberté d’expression absolutiste qui fait la part belle aux plus excessifs. Or, le problème réside justement dans ce chaos informationnel où la désinformation pullule, le conspirationnisme prolifère et le cyberharcèlement devient le mode d’action. Les scientifiques qui recouraient à Twitter pour expliquer le dérèglement climatique en savent quelque chose. Depuis que Musk est aux manettes, les trolls climatosceptiques opèrent des razzias verbales ultra-violentes à leur encontre. A tel point que nombre d’entre eux ont préféré clôturer leur compte et jeter l’éponge.

Récemment, deux figures politiques françaises, Anne Hidalgo, la maire de Paris et Christian Estrosi, le maire de Nice ont publiquement fait part de leur décision de quitter X en dénonçant précisément les dérives observées sur la plateforme. Il en faudra certainement bien plus pour convaincre nombre de profils établis et influents d’emboîter le pas à ces deux personnalités. Tant qu’il n’y aura pas d’hémorragie significative parmi les grands comptes, X restera indispensable malgré la puanteur des propos qui circulent. En effet, en ayant une gestion rigoureuse de son compte, on parvient encore à trouver des contenus intéressants et constructifs même s’ils sont de moins en moins favorisés par l’algorithme du réseau.

Ce point de bascule interviendra-t-il grâce aux réseaux concurrents ? Mastodon a un temps laissé entrevoir l’hypothèse d’une alternative avant de très vite stagner en termes de nouveaux abonnés. A cause d’une ergonomie brouillonne et complexe pour le quidam moyen et souffrant d’un manque criant de ressources financières et humaines pour développer sa technologie et soutenir sa croissance, Mastodon restera sans nul doute un épiphénomène et rien d’autre. Restent alors en piste deux autres larrons : Bluesky créé par le fondateur de Twitter, Jack Dorsey et Threads, le spin-off du Meta de Mark Zuckerberg désormais accessible en Europe.

L’expérience sur Bluesky est clairement agréable. Ici, point d’invectives et de propos complotistes mais des gens qui s’efforcent de partager du contenu intelligent ou amusant et de converser. Problème pour le moment : le presque sosie de Twitter vient seulement de franchir la barre des 2 millions d’utilisateurs dans le monde à la mi-novembre. Un chiffre modeste qui tient au fait que l’accès se fait sur invitation donnée par un profil déjà présent et actif sur Bluesky. Pour 2024, il est question que Bluesky change de braquet et s’ouvre nettement plus largement (MàJ : ouvert depuis février). Ce qui aurait le mérite d’accroître substantiellement le volume conversationnel et le nombre de profils valables encore un peu trop confidentiels pour l’instant. Mais également à condition que Bluesky puisse garantir une modération plus drastique et efficace pour éviter de réitérer le pourrissement de X.

L’autre concurrent, Threads, est pareillement similaire de prime abord à X (hormis quelques fonctionnalités non disponibles). Seule contrainte (mais de taille à mon sens) : il faut déjà posséder un compte Instagram pour pouvoir se créer un profil sur Threads. Il n’en demeure pas moins que le démarrage (à contre-temps) en Europe est plutôt encourageant avec 2,6 millions de téléchargements de l’application en trois jours après le lancement en décembre dont 400 000 recensés dans l’Hexagone (9). Dans le monde entier, Threads revendique aujourd’hui 100 millions d’utilisateurs mensuels. Mais rien ne garantit pour autant que la dynamique va se maintenir en 2024. Malgré une perte d’environ 10% de ses abonnés en 2023 et des polémiques à la pelle, X demeure solidement installé avec 225 millions d’utilisateurs.

Pour les entreprises, il est encore difficile de se prononcer sur la stratégie à tenir. Quitter rapidement X, c’est prendre l’immense risque de perdre une communauté souvent acquise avec beaucoup d’efforts sans être certain de retrouver un pareil écho sur Bluesky et Threads. En outre, X reste incontournable en matière de veille sensible. C’est encore sur cette plateforme que la majorité des crises réputationnelles survient. Pour autant, il est conseillé aux communicants de s’inscrire (si ce n’est déjà fait) sur ces deux réseaux pour mieux en appréhender les codes et constituer une sorte de tête de pont communautaire qui pourra être utile si d’aventure, l’exode massif venait à se produire sur X. Il sera alors toujours temps d’entreprendre la grande migration et laisser les extrémistes s’invectiver et s’agresser entre eux sur X.

Attention aussi à ces 5 points de vigilance !

Ces quatre gros enjeux ne doivent pas occulter pour autant d’autres sujets où la réputation de l’entreprise peut également se heurter à des dérapages ou des oppositions fortes. Pour ma part, je vois 5 sujets additionnels où les communicants devraient être tout particulièrement vigilants :

  • Le recours aux influenceurs et la TikTok mania. Depuis le 9 juin 2023, une loi française encadre salutairement les activités des influenceurs sur les réseaux sociaux en matière de vente et de promotion de produits et de services. Il était temps tant les abus et les arnaques ont pullulé tout en remplissant les poches des personnes pas très regardantes. Il n’en demeure pas moins que les excès se poursuivent malgré la régulation. En particulier sur TikTok qui attire les influenceurs grâce à une politique de rémunération plutôt attractive pour produire des contenus qui accumuleront ensuite des millions de likes et qui ne se soucie guère des dérives. Dans l’idéal, marques et entreprises devraient restreindre le recours à ces profils généralement peu fiables et potentiellement germe de crise réputationnelle pour elles-mêmes. Dans le cas contraire, il serait souhaitable de ne s’adosser qu’à des acteurs véritablement établis, à l’éthique affirmée et reconnus pour la qualité de leurs productions.
  • Les fake news ne lâchent pas l’affaire. Contrairement à ce cliché largement répandu dans les états-majors des entreprises, la fake news ne frappe pas uniquement sur des questions politiques, géopolitiques, sanitaires ou environnementales. Elle s’attaque de plus en plus aux entreprises dans des secteurs extrêmement variés. Aux Etats-Unis par exemple, la société de vente en ligne Etsy se débat depuis déjà un certain temps avec des fake news issues des milieux complotistes. Ces derniers accusent la plateforme de commerce électronique de se livrer au trafic sexuel d’enfants en utilisant des codes et des signes faciles à déchiffrer par les pédophiles. Bien qu’aucune preuve concrète n’aie été apportée et que l’entreprise aie publié plusieurs démentis, nombre de personnes continuent de croire à cette théorie et la diffusent à leur tour. Pour les entreprises, il convient désormais de se doter de véritables outils de veille pour être en mesure de contrer ou de circonscrire rapidement une fake news. Trop d’acteurs restent encore attentistes ou minimisent les risques qui sont pourtant bien avérés.
  • Les deep fakes vont continuer à proliférer. Si l’IA a bien une face négative en ce qui concerne les communicants, c’est bien dans sa capacité accrue à truquer les images et les vocaux pour faire tenir des propos apocryphes à un acteur public dans le but de le discréditer. Les fameuses vidéos « deep fake » ont déjà inscrit à leur tableau de chasse plusieurs grands patrons dont Mark Zuckerberg lui-même. Alors que la version 6.0 de Midjourney vient d’être rendue disponible depuis le 21 décembre, il est fort à parier que les falsifications vont perdurer d’autant que cette nouvelle version du logiciel à base d’IA propose des effets visuels encore plus réalistes et par ricochet, plus fallacieux.
  • L’impact grandissant de la marque employeur. Sur un marché du travail où les jeunes générations de diplômés sont nettement plus rétives à rejoindre de grandes entreprises et/ou plus exigeantes sur les valeurs managériales et environnementales, la marque employeur est un levier crucial. Elle l’est d’autant plus que pour certains secteurs d’activité et certains profils, la concurrence fait rage entre les sociétés. Néanmoins, il est fortement conseillé de ne pas s’adonner à des campagnes qui relèvent plus de la perception voulue par l’entreprise que de la perception réellement vécue par les collaborateurs. Ce hiatus narratif est encore trop présent. Or, à force de tirer sur le fil d’un storytelling trop appuyé, le retour de bâton réputationnel n’est pas loin.
  • La communication interne plus que jamais d’actualité. Souvent le parent pauvre des métiers de la communication d’entreprise, la communication interne est pourtant plus que jamais essentielle à l’heure où la mobilité et le télétravail bousculent le rythme des équipes et le sentiment d’appartenance à une organisation. Pour certains, la révolution de la com’ interne va notamment passer par un recours accru à l’hypersonnalisation des messages grâce à l’IA qui analysera les données informatiques de chacun. Pas sûr que cela soit une riche idée pour autant. Cela pourrait même induire un sentiment contre-productif de flicage. Vouloir transposer à tout prix des techniques marketing de profilage pour s’adresser à ses collaborateurs est l’exemple même de la vraie-fausse bonne idée. Une communication interne efficiente passe d’abord par la valorisation des talents et des réalisations, par la diffusion d’informations utiles et concrètes pour mieux se situer dans l’entreprise et par l’animation de points de contact présentiels (et pas uniquement l’Intranet et les visio lives du management).

Ce (très) long texte n’est toutefois pas exhaustif ! Si vous avez d’autres thèmes à suggérer et qui vous semblent majeurs (et manquants dans cet article) pour 2024, n’hésitez à déposer un commentaire sur le blog. Une réponse vous sera systématiquement faite.

Sources



2 commentaires sur “Quels sont les grands enjeux de communication à relever en 2024 pour les entreprises ?

  1. Frank  - 

    Bonjour Olivier,
    Merci pour ce tour d’horizon très complet des prochains défis en matière de communication 🙂 J’y retrouve bien sûr des points communs avec les métiers des médias (pour l’IA ou l’usage de Twitter notamment).

    Sur l’attractivité de la « marque employeur », bien de médias sont en difficulté pour recruter certains talents (en marketing ou développement), faut d’avoir trop longtemps compté sur leur « aura naturelle ». Non, les médias ne font plus rêver les jeunes non-journalistes qui les voient de plus en plus comme poussiéreux et peu innovants. Il va bien falloir qu’ils se bougent pour changer et pas seulement leur image. ^^

    Sur la question de la réputation (qui rejoint une peu le point précédent), c’est aussi un travail à faire de proximité avec ses lecteurs/acheteurs qu’il faudra travailler de plus en plus. Et aussi de prise de distance vis-à-vis de l’éditorialisme de plateau tv, qui abîme l’image du journalisme pour beaucoup, avec une confusion systématique (d’autres diraient « systémique ») entre faits et opinions (le contraire des bonnes pratiques journalistiques, comme bien tu le sais). 🙂

    Je partage ta crainte sur les fake news et les deep fakes qui risquent de nous projeter dans un univers informationnel de plus en plus incontrôlable, à la grande joie des pays autoritaires qui s’en servent pour déstabiliser nos démocraties. La guerre de l’information s’intensifie et masque pour moi une vraie guerre politique, pour ne pas dire civilisationnelle entre les pays autoritaires et nos démocraties. Qui rappelle la césure du monde entre Perses et Grecs au Ve s avant notre ère.

    Hâte de lire ton prochain livre ! Je m’en délecte par avance 🙂

    Très bonne année à toi !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Cher Cyrille, merci pour ce commentaire comme toujours très nourri ! Communicants et médias ont effectivement des enjeux très similaires pour toucher et fidéliser leurs communautés. Un mot me semble parfaitement résumer le défi global : proximité. Les uns comme les autres en manquent souvent. D’où un sentiment de désintérêt, voire (pour le pire) de suspicion. Très bonne année également !!

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