[Stratégies Dircom Summit] : Des dircoms prennent la parole sur leurs enjeux

Interrogé(e)s par Gilles Wybo, directeur de la rédaction du magazine Stratégies, dix dircoms de grandes entreprises françaises ont expliqué les enjeux de communication auxquels sont confrontées leurs organisations et les différents chemins stratégiques empruntés pour y répondre efficacement. Le Blog du Communicant était dans l’audience. Petits morceaux choisis parmi quelques interventions.

En partenariat avec Vincent de la Vaissière (VcomV) et le groupe Le Parisien – Les Echos, le média professionnel Stratégies a lancé le 6 mars dernier à Paris la 1ère édition du Dircom Summit, un événement qui a vocation à être annuel pour faire le point sur la façon dont les grandes entreprises communiquent avec leurs publics. Au regard de la richesse des différents entretiens de cette matinée (à retrouver également en intégralité dans le numéro 2210 de Stratégies et sur le site), nul doute que cette conférence va vite trouver sa place dans un univers où les directeurs/trices de la communication ont tendance à réfréner leur expression publique et « se cacher derrière la marque de l’entreprise » comme l’a fort justement fait remarquer Gilles Wybo en introduction.

Frédérique Raoult, directrice de la communication d’Orpéa

Cette communicante, spécialiste des transformations d’organisations tout au long de sa carrière, avait avec le dossier Orpéa, du pain sur la planche lorsqu’elle a rejoint il y a 18 mois une entreprise moribonde à la réputation totalement entachée par les révélations du livre-enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs (lire à ce sujet sur le blog). Pour cette ex de Suez et Keolis, il a fallu d’emblée tout rebâtir, à commencer par l’équipe de communication.

Pour Frédérique Raoult, la priorité a été la mise sur pied d’un plan de refondation pour rétablir la confiance des collaborateurs, puis ensuite celle des patients et leurs familles et celles des investisseurs prêts à relancer une structure au bord de la faillite. Le pari de la transparence a été effectué. Un pari pas forcément évident dans une entreprise qui jusque-là était opaque et désorganisée en matière de communication. En s’appuyant sur le nouveau projet médical d’Orpéa, l’équipe dirigeante a été régulièrement au contact des médias pour expliquer et convaincre qu’un vaste changement était entrepris. L’équipe com’ a même mis un point d’honneur à répondre aux critiques les plus virulentes sur les réseaux sociaux pour prouver la véracité de ce changement.

En interne, il s’est agi de mettre en place un Intranet (inexistant auparavant) pour rassurer et convaincre sur la nécessaire restructuration financière engagée pour sauver le patient Orpéa. Aujourd’hui, Frédérique Raoult estime que la première phase de refondation est achevée. Y aura-t-il un prochain changement de nom pour apurer définitivement le passé ? A ce stade, des réflexions sont en cours tant la marque est au centre des enjeux réputationnels. Mais rien n’est tranché. En revanche, Frédérique Raoult fait remarquer un paradoxe vécu durant ces 18 premiers mois : « la communication peut avancer et structurer plus facilement dans un contexte de crise et face à l’urgence des enjeux par rapport aux périodes calmes ! ». Nécessité oblige !         

Christophe Piednoël, ex-directeur de la communication et relations extérieures de Lactalis

Pour cet ancien communicant de Suez Environnement, AXA, SNCF, Saur et plus récemment Lactalis, la crise réputationnelle a régulièrement ponctué ses expériences. Pour autant, ce chevronné de la com n’entend pas céder à la tentation de la crise permanente qui saisit les organisations. A ses yeux, seuls les gros imprévus ou les accidents requièrent le passage en mode crise. Les autres dossiers sensibles (comme des plans sociaux) peuvent se préparer en anticipation et être gérés sans se mettre une pression exagérée.

Pour autant, il a expliqué l’importance de bien cibler les ferments exacts d’une crise réputationnelle qui éclate. Pour illustrer son propos, il est revenu ce qu’il a vécu chez SNCF en mai 2014. L’hebdomadaire satirique, le Canard Enchaîné, vient de publier un article ironique racontant que l’entreprise ferroviaire est désormais obligée de raboter les quais de gare pour pouvoir faire circuler des nouvelles rames de train plus larges que les précédentes. L’emballement est immédiat, en particulier sur les réseaux sociaux où les internautes pondent quantité de blagues sur les objets trop gros dans un espace trop petit.

Christophe Piednoël explique qu’il n’a pas tout de suite saisi la nature de la crise. Pour l’entreprise et ses ingénieurs, adapter les quais aux nouveaux modèles de rames est un exercice classique qui n’a rien d’une erreur ou d’une incompétence. Un argument rationnel est alors opposé pour expliquer que la SNCF ne s’est pas trompée. Mais très vite, il se rend compte que le discours technique est inaudible dans un contexte où le cœur de la crise est l’émotionnel. A contrario lors de la catastrophe de Brétigny en juillet 2013, la justesse de la posture de la SNCF à travers son PDG de l’époque, Guillaume Pépy, a permis d’atténuer l’onde choc. Les communicants de ce dernier ont d’abord évoqué les victimes. Guillaume Pépy lui-même est d’abord allé dans les hôpitaux auprès des blessés avant de dérouler dans les médias, des éléments d’explications plus techniques.

Néanmoins, pour Christophe Piednoël, l’exercice de la communication de crise est également compliqué à cause d’un certain antagonisme entre les impératifs juridiques et les impératifs médiatiques : « Le juridique argue que tout ce que vous dites, pourra être retenu contre vous. La communication défend que tout ce que vous ne dites pas, pourra être retenu contre vous ! ». Une équation effectivement délicate qui suppose que ces deux fonctions travaillent vraiment de concert pour éviter d’amplifier les impacts d’une crise.

Catherine Doumid, directrice de la communication de Radio France

Communicante issue originellement du monde politique et ministériel et des agences de communication, Catherine Doumid a fort bien rendu compte de la sensibilité de la réputation d’une entreprise comme le groupe Radio France qui est ultra exposé à la critique et aux attaques. Pour elle, cela tient à deux particularités. D’une part, les antennes de Radio France sont un service public sur lequel tout le monde estime avoir un avis et dans lequel, les gens se projettent de façon émotionnelle, voire irrationnelle. D’autre part, du fait de son statut de leader des radios françaises, l’enseigne est attendue comme devant être exemplaire, tant par ses auditeurs fidèles mais très tatillons sur la qualité de l’information que par ses détracteurs permanents qui qualifient la radio de « gauche ».

Au-delà de l’aspect délétère des fake news, celles-ci constituent aussi un axe de communication très fort pour Radio France pour répondre aux enjeux décrits ci-dessus. Dans le torrent de la mal-information, l’entreprise s’est dotée d’une agence de vérification des informations pour renforcer la confiance du public. Cela s’accompagne aussi d’opérations portes ouvertes des studios sur les réseaux sociaux et dans la réalité physique où des spectateurs peuvent (entre autres) assister à des émissions.

Autre point sensible : l’interne constitué de collaborateurs ultra-informés et avec des convictions fortes. Cela requiert une approche relationnelle très fine aux antipodes de la communication interne verticale qui prévaut souvent dans les organisations. Enfin, Catherine Doumid estime qu’il est aussi de son devoir de cultiver un certain lâcher-prise. Autant il est fondamental de prouver et montrer l’honnêteté des journalistes de Radio France, autant il est impossible de contenter tout le monde et particulièrement les « haters » inflexibles.

Fabrice Hermel, directeur de la communication de la Banque de France

Journaliste de formation, Fabrice Hermel a alterné des fonctions communicantes dans le monde politique et dans les grandes entreprises privées comme Bouygues Construction et RATP. Selon lui, un enjeu majeur est récurrent : préserver la confiance dans les institutions qu’elles soient privées ou publiques. Lorsqu’il a pris ses fonctions il y a 6 ans à la Banque de France, il découvre une organisation qui jouit d’une solide notoriété et d’une perception positive au sein du grand public. En revanche, c’est la confusion totale quant à la compréhension des missions de cet acteur financier indépendant.

En 2017, l’arrivée du nouveau gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, va impulser une nouvelle dynamique de communication. Le dirigeant estime qu’il est crucial que le public comprenne clairement les missions de son établissement. Ce qui va impliquer un gros travail de communication et d’évolution des mentalités. D’abord à l’interne où les agents n’étaient pas forcément rompus à l’exercice, voire ne le goûtaient guère. Ensuite, la Banque de France s’ouvre au public en établissant un dialogue régulier avec ses différentes parties prenantes et en adoptant un langage moins jargonneux et plus pédagogique auprès de ses cibles. Au point que le gouverneur accorde une interview au Petit Quotidien, un journal pour les 7-10 ans ou que la vénérable institution débarque sur Instagram.

Pour Fabrice Hermel, un chiffre illustre bien cette modernisation de la communication de la Banque de France : 16 000 personnes sont venues visiter ses locaux lors de la dernière Journée du Patrimoine. Des locaux (ainsi que dans les succursales régionales) qui accueillent régulièrement des conférences thématiques avec des experts maison. Et à la clé, une image qui a fortement évolué en 5 ans.

Ulrike Decoene, directrice de la communication, de la marque et du développement durable d’AXA

Après quelques années de communicante dans divers ministères, Ulrike Decoene a rejoint depuis une quinzaine d’années, le géant français de l’assurance, AXA. Depuis 2016, ce dernier a fortement fait évoluer sa stratégie de communication en accentuant sa prise de parole sur des sujets qui étaient auparavant moins spontanément traités, en particulier celui des risques (climatiques, géopolitiques, économiques et cyber). Du fait des modélisations et des projections constantes que l’assureur opère pour mesurer et évaluer les risques, celui-ci dispose de quantité d’études et d’informations valables qui doivent nourrir le débat public et positionner AXA en qualité d’observateur.

Pour Ulrike Decoene, la communication doit oser évoquer les sujets complexes (voire encore tabous comme le risque cyber). Non pas pour ajouter de l’anxiété à un contexte qui effectivement par certains aspects peut être angoissant. Mais pour apporter des solutions avec un ton volontariste en insistant par exemple sur une meilleure prévention des risques naturels et une approche plus collective entre acteurs privés et publics pour permettre une assurabilité durable des personnes et des biens et ne pas devoir se retirer et ne plus couvrir certaines activités.

Autre dimension communicante explorée par AXA : la décarbonation et la transition écologique. Là aussi, Ulrike Decoene insiste pour que l’entreprise porte ses convictions en la matière et assume s’il le faut les polémiques. Pour elle, la tentation du greenhushing (lire le billet à ce sujet sur le blog) constitue une impasse : « si vous n’affichez pas vos intentions, qu’est-ce qui peut faire penser que vous accomplissez réellement des choses ou pas ? ». Même si le discours n’est pas toujours facile ou évident à faire entendre auprès de certains publics, la communicante estime qu’il est impératif d’expliquer notamment le fait qu’AXA, en continuant d’investir dans des activités polluantes, contribue à les faire se transformer vers le bas carbone plutôt que les exclure totalement et les laisser poursuivre leurs émissions carbone.

Pour aller plus loin

Retrouvez en ligne ou dans le numéro 2210 en date du 7 mars du magazine Stratégies, les interviews prolongées des directeurs/trices de la communication cités de ce billet de blog. Auxquelles d’ajoutent également :

  • Sylvain Bruno, directeur de la communication et des affaires publiques du groupement Les Mousquetaires
  • Stéphanie Cau, directrice de la communication du groupe Renault
  • Hélène Freyss, directrice de la communication de LVMH
  • Benjamin Perret, directeur de la communication du groupe EDF
  • Dominique Wood-Benneteau, directrice de la communication d’Engie