[Coup de gueule] : La série « La Fièvre » de Canal + totalement larguée entre absurdités et clichés sur la communication de crise

J’attendais avec gourmandise la nouvelle série télévisée écrite par Eric Benzekri pour Canal+. Talentueux scénariste des trois saisons mythiques de « Baron Noir », il propose avec « La Fièvre », un opus qui veut explorer les radicalités de la société française à travers un fait divers survenu dans le monde du football. Malheureusement, l’originalité du pitch s’avère être un piteux ballon de baudruche qui se dégonfle à coups de préjugés gratuits et d’incohérences irréalistes sur les communicants de crise. La guerre d’image que se livrent deux femmes « spin doctors », vire à la pochade ridicule à grands renforts de bonasseries psychologisantes et populistes.

L’intrigue avait pourtant de quoi accrocher aussitôt l’attention. Alors que la soirée de remise des trophées annuels de l’UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels) bat son plein, le joueur vedette du Racing assène un violent coup de boule à la Zidane à son entraîneur qui venait de lui glisser quelque chose à l’oreille et le qualifie de « toubab » (mot à connotation péjorative qui veut dire « homme blanc » en mandingue).

Fodé Thiam quitte alors immédiatement la salle sidérée. Les réseaux sociaux qui ont capté la scène s’enflamment. Les médias accourent. Les dirigeants du club entrent en mode crise médiatique et convoquent l’agence de communication Kairos dont fait partie la consultante jouée par Nina Meurisse. Au même moment, une stand-uppeuse à succès (jouée par Ana Girardot) au discours très identitaire, surfe sur l’incident pour chauffer à blanc l’opinion publique et la mener à la guerre civile (rien que ça !).

Une vision caricaturale de la communication de crise

Peu de temps avant la diffusion de la série sur Canal +, Eric Benzekri avait explicité dans les médias, son ambition à travers cette nouvelle série (1) : « C’est un peu le contrechamp de Baron noir sur la société. Baron noir parle de la France d’aujourd’hui et pour en parler, on essaie d’ausculter un peu le milieu politique. La Fièvre, c’est exactement la même chose, sauf qu’on déplace la caméra pour filmer la société. Donc : un club de foot, des communicants, des journalistes, les réseaux sociaux, énormément. On a tourné plus de 180 vidéos TikTok ».

En écrivant son scénario et en tournant les scènes, Eric Benzekri n’a pourtant pas dû souvent mettre les pieds dans le milieu de la communication de crise. Tout sonne pompeusement faux dans sa façon de faire intervenir l’équipe de communicants volant au secours du président du club (joué par ailleurs comme un pied par Benjamin Biolay) et du joueur cogneur. C’est consternant de bêtise militante où la communication est carrément présentée comme « la déconstruction de la société ». Encore un qui ne dépareillerait pas aujourd’hui au département sociologie de la faculté de Nanterre ou dans les amphithéâtres wokistes de Sciences-Po.

Et que dire des punchlines toutes pétées qu’on inflige au spectateur au fur et à mesure des épisodes. La stand-uppeuse nous envoie un hilarant « L’art de la communication, c’est de choisir le bon visage au bon moment ». L’agent du joueur incriminé n’est pas en reste : « Les communicants, c’est comme les avocats. C’est quand on est dans la merde qu’on les voit ». Grande classe ! Sans oublier la poilante réplique : « vous imaginez les gens de Lubrizol faire silence alors que les personnes ne peuvent plus respirer autour de Rouen ». Bah justement ! C’est précisément ce qu’a fait Lubrizol. Bref, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas !

Crédibilité zéro !

Les scènes ne sont pas plus crédibles. Appelée en catastrophe par le président du club qui ne sait plus quoi dire face à l’emballement médiatique, l’équipe de l’agence de com arrive dans les locaux du club façon inspecteurs de la Police judiciaire et se met à interroger le staff comme s’il s’agissait d’auditions. Pire encore ! Lorsque l’agence présente son plan d’action aux dirigeants sportifs, elle truffe son discours de références sociologiques emphatiques et de concepts foireux où pour sortir de la crise, il faut s’extirper de « l’espace passionnel identitaire » (sic) pour aller directement dans « l’espace passionnel de la nation » (re-sic). Comme si un briefing de com’ de crise ressemblait à un oral de philo au baccalauréat ! Tout cela bien sûr en suggérant (ou plutôt en tirant instamment la manche du spectateur) qu’on vise à manipuler l’opinion publique en mode billard à trois bandes et coups fourrés dans les médias.

Les conseils dispensés lors des deux premiers épisodes sont d’ailleurs tout autant calamiteux. Les communicants de service imposent au club le silence absolu alors que la gestion de crise impose a minima une prise de parole pour acter des faits. Surtout lorsque les réseaux sociaux se déchaînent et élucubrent. Ensuite, la crise du coup de boule aurait pu être dégonflée en peu de temps. En effet, le joueur a pris conscience de son geste inepte et est prêt à s’excuser auprès du coach. Lequel est d’accord pour accepter les excuses et même reconsidérer le poste du joueur sur le terrain, source de l’embrouille initiale. Tout était donc réuni pour faire une déclaration commune à la presse ou dans une émission sportive et l’on passait au chapitre suivant. Ah mais oui, suis-je ballot ! Il n’y aurait plus eu de scénario.

Au lieu de cela, la conseillère (Nina Meurisse) impose le mutisme au joueur après un média-training pas assez concluant et envoie (tardivement) le coach, avec sa faconde méridionale et ses origines populaires, défendre son joueur sur le plateau de Canal Football Club qu’Éric Benzekri n’a pas dû regarder depuis un certain temps tant on a la fâcheuse impression qu’on est plutôt dans TPMP chez Cyril Hanouna. Bon, au moins, cela reste corporate ! L’action se déroule sur les chaînes Bolloré. N’ayant pas encore regardé la suite, je suis prêt à parier que CNews aura droit à sa petite fenêtre avec par exemple l’actrice fachoïde qui rêve de guerre civilisationnelle et identitaire.

Rien ne va !

Les scènes les plus improbables s’enchaînent à tout va. Il y a par exemple celle de la conférence de presse que s’apprête (enfin !) à donner le président du club. En attendant son arrivée, les journalistes se mettent tous à regarder en « live » sur leurs mobiles, le sketch de la comédienne aux accents zemmouriens qui anticipe avec fiel les déclarations du club et qui surtout déclenche un pugilat entre les journalistes, entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Plus réaliste tu meurs !

Autre pépite : la scène où Nina Meurisse est avec son fils d’environ 12 ans. Ce dernier (HPI évidemment !) est dans le canapé en train de lire studieusement « Bâtir au Moyen Age – XIIIe-milieu XVIe siècle » de l’historien Philippe Bernardi. Au même moment, la mère s’assied dans le canapé et allume un programme de télé-réalité crétin tout en justifiant à sa progéniture que c’est important de regarder l’émission pour son travail parce que cela l’aide à deviner, telle une pythie communicante, les tendances sociétales.

Par acquit de conscience, je regarderai les 4 épisodes suivants pour savoir laquelle des deux ex-amies (je spoile : les personnages de Nina Meurisse et Ana Girardot ont travaillé ensemble dans la communication politique 5 ans plus tôt avant de rompre brutalement et ne jamais se revoir) gagnera ce duel à distance de communicantes en carton entre prêchiprêchas mélenchonistes et exhortations zemmouriennes, saupoudrés par l’intervention verbeuse d’un psychologue qui soigne l’une des deux protagonistes. Monsieur Benzekri, désolé mais cette série mérite un gros carton noir. N’y voyez aucun corporatisme de ma part. Simplement, lorsqu’on met en scène une profession, on le fait de manière réaliste ou même humoristique mais pas persiffleuse et fallacieuse.

Sources

– (1) – Laurent Valière – « « La Fièvre » : la nouvelle radiographie de la France par Eric Benzekri, l’auteur de « Baron noir » » – France Info – 17 mars 2024



6 commentaires sur “[Coup de gueule] : La série « La Fièvre » de Canal + totalement larguée entre absurdités et clichés sur la communication de crise

  1. Diane  - 

    Qu’une des protagoniste soit une stand-uppeuse identitaire française relève du fantastique. Dans notre société, cela n’existe pas. Une stand-uppeuse doit être féministe, progressiste, éco-anxieuse, doit parler de sa ch@tte et vouloir faire la révolution contre le patriarcat (blanc).

    1. Olivier Cimelière  - 

      Cela n’existe pas vraiment en l’état aujourd’hui mais je ne suis pas si « serein » que vous. Quand on voit le collectif féministe d’extrême droite Nemesis ou encore l’influence tradi-catho Thais d’Escufon, cela pourrait à terme se produire. Le stand-up n’est pas une exclu d’un camp ou d’un autre !

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