Marques & Fake news : L’incroyable fable de la pastèque, de la Palestine et de Starbucks

Starbucks est probablement l’une des marques au monde les plus ciblées par des opérations récurrentes de désinformation et/ou de manipulation. Le dernier avatar en date accuse la marque de café de récupérer hypocritement l’actuel conflit Israël-Hamas à des fins mercantiles au Proche-Orient à travers une collection spéciale de mugs siglés d’une pastèque et pour ainsi se dédouaner d’un supposé soutien apporté à Israël. Une anecdote qui souligne à nouveau combien il est impérieux pour les marques et les entreprises d’opérer une veille et une riposte informationnelles permanentes pour déminer et endiguer les attaques réputationnelles.

Le 16 janvier 2024, une influenceuse de TikTok qui s’affiche sous l’alias @realgodivagoddess, décide de s’en prendre ouvertement à Starbucks. La raison de sa colère ? Une série limitée de mugs édités par l’enseigne américaine et décorés pour la circonstance par une pastèque. Pour cette influenceuse aux 204 000 abonnés, cette action de communication n’a rien d’innocent. Selon elle, Starbucks tente de faire pardonner son soutien à Israël dans la guerre que l’Etat juif mène contre le mouvement terroriste palestinien du Hamas. Si la marque s’arroge ainsi l’imagerie de la pastèque, c’est parce que cette dernière est depuis la guerre des Six Jours en juin 1967, un symbole de soutien de la lutte palestinienne qui aujourd’hui, est très repris sur les réseaux sociaux.

Ce subtil alliage du vrai et du faux

Bien que le propos de l’influenceuse américaine soit quelque peu décousu, la pastèque est effectivement un emblème utilisé de manière récurrente pour défendre la cause palestinienne. Du fait de ses quatre couleurs (rouge, vert, blanc et noir), le fruit incarne subliminalement le drapeau palestinien aux coloris identiques et interdit en Israël. Si l’association symbolique est vraie, l’interprétation qu’en fait @realgodivagoddess tourne en revanche au procès radical et biaisé de Starbucks. Pour elle, l’action de soutien de Starbucks intervient trop tard et n’est pas sincère. Elle cherche juste à contourner la censure israélienne en mettant une pastèque sur ses mugs pour discrètement regagner les faveurs des consommateurs au Proche-Orient. La vidéo s’avère efficace et compte à ce jour plus de 195 000 vus et plus de 8400 commentaires majoritairement cinglants envers la marque.

Trois jours plus tard (une éternité !), Starbucks réplique à l’Agence France Presse par la voix de son directeur de la communication corporate, Jaci Anderson (1) : « Le mug en question a été lancé en mai 2023 dans le cadre de notre collection d’été au Royaume-Uni et n’a aucun lien avec le conflit actuel au Moyen-Orient ». Et pour cause, serait-on tenté de dire puisque Starbucks n’a en de surcroît aucune implantation en Israël, en Cisjordanie ou à Gaza. Mais pour les autres pays voisins du Proche et Moyen-Orient où Starbucks est présent, l’image de la marque s’en trouve forcément endommagée.

Rien ne va plus

Malgré la condamnation officielle de Starbucks des violences et des actes de terrorisme commis en Israël et à Gaza, la réputation de l’enseigne reste en effet entachée aux yeux du « vulgum pecus ». L’affabulation proférée sur TikTok (et toujours en ligne) est un caillou de plus dans le jardin réputationnel de la marque qui se voit par ailleurs autant attaquée par les pro-Hamas que les pro-Israël. En interne, un syndicat d’employés (Starbucks Workers United) a même ajouté à la confusion depuis le 7 octobre 2023 en affichant publiquement sur les réseaux sociaux, un soutien sans failles au peuple palestinien victime des représailles de Tsahal. A tel point que syndicalistes et direction de l’entreprise ont entamé en retour des procédures judiciaires les uns contre les autres aux Etats-Unis et que des magasins ont reçu de nombreux appels menaçants dans tout le pays (voire ont été vandalisés).

Dans ce tohubohu erratique, la stratégie de communication de Starbucks peine à émerger. Et pour cause ! L’entreprise originaire de Seattle n’est guère bavarde. Hormis un communiqué spécifique du 11 octobre en soutien aux partenaires commerciaux de Starbucks dans le monde entier et une rubrique spéciale (intitulée « Starbucks on the record ») sur les positions de l’entreprise sur le conflit Israël-Hamas, la voix de l’enseigne est bien timide. Résultat (2) : le cours de l’action a fortement baissé depuis la mi-novembre, reculant d’environ 9 %. Ce qui représente une baisse de quelque 11 milliards de dollars de sa capitalisation boursière. Tout n’est certes pas imputable au conflit du Proche-Orient et aux fake news inhérentes mais la réputation est sérieusement ébranlée avec cette nouvelle affaire.

La dangereuse tentation de l’esquive

Dans le cas de Starbucks, la pression est maximale et l’ornière profonde. A force d’être régulièrement impactée par diverses infoxs sur la qualité de ses produits, les conditions sociales des minorités comme les LGBT ou des opérations promotionnelles qui n’existent pas, la marque conserve dans son sillage numérique, quantité de traces qui s’agglomèrent, se transforment et ressurgissent parfois dans un halo de flou informationnel encore plus grand. Surtout si en plus, le contexte social s’y prête (les relations avec les syndicats étant particulièrement tendues aux USA) ou si l’actualité happe l’entreprise à son corps défendant. Brooke Binkowski, journaliste et ancienne rédactrice en chef du site de vérification des faits Snopes.com, le constate (3) : « les fausses nouvelles peuvent nuire aux entreprises sur le plan financier tout en détruisant la confiance et en créant une atmosphère dans laquelle les gens ne savent pas à qui ils peuvent faire confiance ».

Face à cette déferlante, Starbucks a certes répliqué pour l’histoire du mug à la pastèque comme pour les précédentes infoxs. Mais trop peu, pas assez fortement et pas dans la durée. Il est d’ailleurs étonnant qu’une marque de cette envergure disposant de moyens très conséquents, ne prenne pas plus à bras-le-corps cette infection informationnelle. Il existe bien une rubrique dédiée sur le site corporate où Starbucks entend répondre factuellement aux informations fausses et trompeuses qui circulent régulièrement. Mais après consultation, il s’avère que le contenu est relativement pauvre, peu mis en avant et de fait, peu partagé. Or, aujourd’hui, pratiquer la politique de la chaise vide (ou presque) dans les écosystèmes numériques, c’est courir l’énorme risque d’avoir à terme une empreinte réputationnelle où le faux et le falsifié recouvriront le vrai et le factuel.

Sources



4 commentaires sur “Marques & Fake news : L’incroyable fable de la pastèque, de la Palestine et de Starbucks

  1. Vincent  - 

    Qu’est ce que c’est compliqué! Est-ce qu’il y a une solution? Une manière correcte de réagir?

    D’un côté, si la marque répond, on va parler d’effet Streisand, dire qu’il ne faut pas remettre une pièce dans la machine. Expliquer que le démenti provoque plus de réaction que la fausse rumeur.
    Et si elle ne répond pas, comme starbucks, lui reprocher sa molesse…

    Je n’aimerais pas être à la place du directeur de la comm de Starbucks.

    1. Olivier Cimelière  - 

      La complexité est justement qu’il n’y a jamais de réponse toute faite effectivement ! Oui, parfois, il faut savoir ne pas parler en face d’une provocation ou d’une attaque. Mais dans le cas précis de Starbucks, le phénomène avait déjà atteint une ampleur significative. Dès lors, il ne s’agit plus de craindre un effet Streisand mais de réagir fortement afin d’opposer un démenti et un narratif alternatif à la fake news. Ne pas le faire suffisamment, c’est courir le risque que la version fausse prenne une part de voix disproportionnée. Mais pas simple, je vous le concède !

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