Communication 2.0 : Good news ! L’art du langage redevient stratégique

A l’heure où chacun peut être alternativement émetteur et récepteur et dans un univers concurrentiel (voire cacophonique) où se différencier devient crucial, il n’est plus question de recourir aux vieilles ficelles discursives. Fondatrice et directrice de l’Institut de la Qualité de l’Expression, Jeanne Bordeau milite pour une communication où un authentique « parler juste » se substitue au revendicatif « parler vrai » dont tout le monde se réclame depuis des lustres.

C’est une évidence que tous les communicants connaissent : l’avènement du Web 2.0 a complètement remodelé le discours et la linguistique des entreprises et des marques. Du classique flux vertical et incantatoire, ces dernières ont dû apprendre à composer avec l’émergence accrue d’un flux horizontal et conversationnel durant ces dernières années. Dans cette nouvelle donne qui est loin d’avoir pleinement rebattu les cartes, l’art du langage redevient prépondérant dans les stratégies de communication.

C’est dans cette optique qu’avec son équipe, Jeanne Bordeau a mené une étude très fouillée sur le langage numérique adopté par six entreprises notoires à travers leur communication sur Internet. Trois secteurs différents ont été scrutés par les linguistes de l’Institut : le secteur bancaire (avec BNP Paribas et Fortuneo.fr), la vente par correspondance (avec les 3 Suisses et Vente-privée.com) et le marché de la chaussure (avec Puma et Sarenza.com). Au cours d’une conférence petit-déjeuner le 30 novembre à Paris, l’Institut a dévoilé quelques enseignements où ceux qui excellent en langage numérique ne sont pas forcément ceux que l’on imagine spontanément. Pourquoi ? Comment ? Synthèse et éléments de réponse extraits d’une passionnante conférence.

La sémantique comme constituant de l’ADN d’une entreprise

« Toutes les entreprises ont une charte graphique, pourquoi n’auraient-elles pas une charte sémantique ? »

Comme le déclarait Jeanne Bordeau dans une interview accordée au sujet de son livre intitulé « Entreprises et marques : les nouveaux codes de langage » et paru en 2010 (1) : « Je ne crois pas au parler vrai mais au parler juste. Toutes les entreprises ont une charte graphique, pourquoi n’auraient-elles pas une charte sémantique ? ». Mais attention à ne pas se leurrer sur le sens accordé à cette charte ! Il ne s’agit pas de constituer un glossaire d’expert compilant le jargon et/ou la novlangue que l’entreprise engendre inévitablement pour en faire une stratégie de langage.

Il s’agit au contraire d’écouter, de prendre le pouls de l’identité de l’entreprise, d’en cerner ses constituants les plus intrinsèques afin d’en extraire ce qui l’identifie vraiment et d’incarner ce qu’elle est fondamentalement sans s’arroger des critères qui ne sont pas véritablement siens.

C’est là où la force stratégique du langage intervient, notamment sur le Web 2.0 : en étant capable de véhiculer et de combiner à la fois des vocables et des images idoines mais également dans la façon de raconter, de mettre en histoire et de faire vivre cette identité en la fondant sur ces authentiques critères. C’est le premier pas préalable à accomplir pour disposer d’une stratégie de communication juste. Autrement dit, l’entreprise ou la marque doit s’appliquer à elle-même le célèbre adage de Socrate : « Connais-toi toi-même ». Or, encore aujourd’hui, nombreuses sont les marques et les sociétés à s’affranchir de cette introspection sémantique, à n’y voir qu’un gadget d’intello ou à se contenter d’un slogan accrocheur issu du cerveau créatif d’un publicitaire mais déconnecté ou dissonant par rapport à son ADN même.

Tant que la communication était verticale et poussée de haut en bas, cela pouvait plus ou moins marcher. Aujourd’hui, il n’est en revanche plus possible, voire très risqué, de faire l’impasse autour de ce travail analytique du langage de l’entreprise. Avec le Web 2.0, les employés sont des ambassadeurs qui ont désormais la possibilité de narrer la réalité des faits selon leur propre perception. Quant aux cibles externes (consommateurs, clients, influenceurs, décideurs), elles participent aussi de plus en plus activement à la réputation et la perception d’une marque et/ou d’une entreprise. D’où l’importance pour ces dernières de « posséder des identités plus vives, plus concentrées et plus dynamiques mais aussi de mettre en scène leurs équipes et désormais dialoguer avec un marché, avec des « consomm’acteurs » comme le souligne Jeanne Bordeau en préambule de la présentation des grandes lignes de son étude.

BNP Paribas et Fortuneo.fr : difficile de décoincer le costard-cravate du banquier !

Même avec un slogan qui détonne, difficile pour Fortuneo de s’éloigner du langage bancaire convenu

Même si les deux entreprises ont massivement investi le Web (c’est encore plus vrai pour Fortuneo qui a uniquement fondé son modèle sur celui d’une banque en ligne sans agence physique) pour communiquer avec leurs publics, elles ont globalement toutes les deux bien des difficultés à s’extirper d’un langage qui oscille entre le technocratique financier et l’ultra-précis qui en devient fastidieux et peu aisé à comprendre.

Sur le site (ou plutôt les sites) de BNP Paribas, on sent une nette volonté d’exhaustivité chirurgicale pour expliquer ce qu’est l’entreprise. C’est notamment frappant avec l’historique qui comporte pas moins de 10 liens pour raconter l’itinéraire de la banque. A l’heure où le multimédia permet des écritures narratives tout aussi complètes mais plus vivantes et concises, on touche presque au proverbe « Trop d’information tue l’information ». De même, le site tient un « double langage » perturbant. Dans une page, il affirme que la diversité est une valeur fondatrice de la banque. Or, lorsqu’on clique sur l’onglet « Valeurs », on ne trouve nulle trace de ce mot parmi les valeurs énoncées.

Bien qu’il soit un pur enfant du numérique (mais toutefois filiale du Crédit Mutuel), Fortuneo n’échappe pas non plus complètement à ce travers de langage. Si le slogan interpelle (« Arrêtez de banquer !»), le vocabulaire emprunté reste très technique et proche de la roborative brochure bancaire qu’on ne lit quasiment jamais sauf à être un boursicoteur perfusé aux courbes du Nasdaq et du CAC 40. A la lecture, on sent une volonté palpable de rassurer, de prouver qu’une banque en ligne est tout aussi sérieuse qu’une banque classique. Dommage que le site ne recoure pas à plus de sons, d’images, de vidéo-témoignages de clients, de petites infographies vivantes pour expliquer et rendre plus attrayant l’univers financier.

3 Suisses et Vente-Privée.com : en avant le dialogue !

Le mot « Chouchou » des 3 Suisses est apparu en 1983. Il continue de vivre encore aujourd’hui comme un vecteur du site Web

D’une entreprise créée en 1932 pour vendre de la laine par correspondance, on pouvait éventuellement craindre qu’Internet lui serait un étrange objet de langage. C’est l’agréable enseignement de cette étude : les 3 Suisses ont su garder cette fraîcheur d’esprit et de ton dans le dialogue instauré avec les internautes qui représentent aujourd’hui 60% du chiffre d’affaires de la société ! (2)

La preuve la plus flagrante de la sémantique « 3 Suisses » réside dans l’historique et incontournable expression « Chouchou ». Le mot est apparu pour la première fois en 1983 (3) dans une campagne publicitaire du vépéciste. Il ne cessera plus d’être le vocable référent qu’on retrouve en bonne place sur le site actuel avec notamment l’espace « Chouchouthérapie ». Le vocabulaire usité tant dans le catalogue en ligne que dans les pages institutionnelles est en règle générale énergique. Il met volontiers en avant les espaces de dialogue (blog, n°Azur, service client) et les métiers de l’entreprise incarnés par des salariés.

Son concurrent 100% digital, Vente-Privée.com, va encore plus loin dans sa logique langagière. A coups de titrailles travaillées et de formules proches des magazines féminins, il invite la consommatrice à faire son shopping de manière ludique et dynamique. Même la rubrique concernant l’adhésion au site est intitulée avec un verbe d’action (« Devenez membre ») au lieu du plus traditionnel « Etre membre ». Attention toutefois à l’écueil de ne pas trop en faire ! Le discours de Vente-Privée.com a une propension à parfois être « too much » comme la mosaïque des collaborateurs où chacun affiche sa maxime préférée. Cela peut susciter le sentiment d’une réalité peut-être un peu trop « rosifiée » comme la couleur du logo ! Et du coup, atténuer la crédibilité du discours développé.

Conclusion : Avec Sarenza, pas de bla-bla !

Bien que l’étude de l’Institut est infiniment plus complète, le cas Sarenza.com peut constituer la conclusion emblématique d’un langage digital adapté et crédible. Sur ce site de vente en ligne de chaussures, le produit est roi sous toutes ses coutures. Mais le tour de force discursif de Sarenza est d’avoir su le raconter de manière vivante, variée, connivent et concis à travers des vidéos comme « La millionième paire de chaussures » ou encore « La course d’escarpins ».

Mais là où l’exemple est encore plus intéressant, c’est qu’il ne cède pas à l’auto-déclaratif. Le site offre une plateforme conversationnelle où ses salariés expliquent leurs activités. Les clients peuvent s’exprimer sur une page dédiée, etc. Autrement dit, la ligne sémantique empruntée par la communication de Sarenza puise à l’essence étymologique latine même du mot « communiquer » qui initialement signifie « partager », « mettre en commun ».

Sources

(1) – Laurence Allard – « Il faut travailler le langage » – Le Point – 4 novembre 2010
(2) – Site Presse des 3 Suisses
(3) –Pierre Frustier – « Les 3 Suisses connaissent la chanson » –

Pour en savoir plus

– Visiter le site de l’Institut de la Qualité de l’Expression : www.institut-expression.com
– Suivre le blog : http://blog.institut-expression.com/
– Lire le livre de Jeanne Bordeau – « Entreprises et marques : les nouveaux codes de langage » – Editions d’Organisation – 2010
– Ecouter les chroniques de Jeanne Bordeau sur Canal Académie, site francophone des académies