Storytelling : Les tendances sociétales de 2011 décryptées en 10 tableaux de mots
Fondatrice et présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression, Jeanne Bordeau réalise depuis quatre ans un audacieux et original décryptage sémiologique à travers les vocables et les expressions qui ont marqué l’actualité de la société française au cours de l’année écoulée. A partir de cette rétrospective sémantique, elle conçoit des tableaux où elle assemble et colle artistiquement quelques 800 mots saillants répartis en 10 thématiques fondamentales.
En attendant que la collection 2011 soit officiellement dévoilée au public le 13 janvier prochain à la galerie Verneuil – Saints Pères à Paris, le Blog du Communicant 2.0 a eu le privilège d’avoir un avant-goût fort instructif du vocabulaire symptomatique et récapitulatif de l’année qui s’achève.
Mettre en récit un an de mots
De prime abord, le travail sémantique et artistique de Jeanne Bordeau peut parfois dérouter tant l’approche empruntée est unique en son genre. Mais, une fois dépassé le saisissement premier, les tableaux de Jeanne Bordeau recomposent sous nos yeux, une singulière « mise en récit » des sujets qui ont alimenté les gros titres des médias pendant 12 mois. Son auteur s’en explique : « J’essaie ainsi par ces tableaux d’embrasser les grands faits de société afin de dresser la « mémoire » de nos émotions et de ce qui nous a frappés. On s’aperçoit d’ailleurs qu’année après année, les moments d’actualité et les thèmes évoluent ».
A cet égard, le filtrage sémiotique des tableaux de 2011 fait ressortir avec une acuité sidérante, les sédiments les plus significatifs issus de l’incessant bruit médiatique. Il y a les mots qui naissent et s’évanouissent d’une année sur l’autre. Il y a les mots qui perdurent mais dont le sens glisse au fil du temps comme le souligne Jeanne Bordeau : « Sur la Crise par exemple, on parlait l’année dernière de « crise, crise, crise » et de « rigueur, rigueur, rigueur ». Cette année, la crise s’exprime par des mots comme « dette », « notation » ou « austérité ». On voit donc qu’à thème égal, les mots qui nourrissent chaque thème évoluent avec la vibration des événements ».
Il est impossible dans ce billet de se livrer à un balayage exhaustif des dix thèmes et des mots qui entrent en écho à chaque fois. Toutefois, partons à la découverte de quelques thèmes emblématiques du travail de Jeanne Bordeau que le lexicologue français Jean Pruvost a qualifiée avec pertinence de « lexicopicturaliste ».
Ressources (in)humaines ?
D’une année sur l’autre, le sujet des ressources humaines est toujours aussi prégnant et vecteur d’une ambiance désordonnée et plutôt anxiogène. En 2010, les mots « stress », « risques sociaux », « suicides », « souffrance » teintaient fortement le tableau de l’année. Cette année, la tension est toujours palpable mais se traduit plutôt par un état d’esprit anxieux, notamment avec le « chômage » et le risque de « perte de travail ». En revanche, le mot « stress » s’est dilué comme si les gens rechignaient plus à s’exprimer face à des patrons souvent jugés « abusifs ». Un autre registre transparaît a contrario nettement cette année sous la formule choc « mini-salaire, maxi-galère » ou en d’autres termes, « faire plus avec moins de gens en interne ».
En parallèle, il est un point qui perdure d’une année sur l’autre et qui s’articule autour de la nouvelle organisation du travail, notamment les « réseaux sociaux d’entreprise », l’ « entreprise 2.0 » ou plus généralement « l’espoir numérique ». En 2011 toutefois, la thématique s’est élargie à des notions plus vastes comme la « responsabilité sociétale de l’entreprise » et le « social business » qui émergeaient en filigrane un an plus tôt.
Un dernier gros sujet tend aussi à s’imposer de plus en plus dans le tableau 2011 : la recherche de sens dans le travail. La question du « bien-être » et de la « gentillesse » affleurait déjà en 2010. Elle s’amplifie encore plus un an plus tard avec en particulier un lien établi entre la « gentillesse » et la « réussite » dans le travail.
La communication en pleine ébullition
Déjà, les réseaux étaient à la pointe des mots de 2010. Ils ne font que renforcer leur présence dans notre quotidien en 2011 avec les mots « smartphones » et « réseaux sociaux », la croissance du mot « applis », l’émergence nette du mot « tablette » et même celui pourtant plus technique du « cloud computing ».
Corollaire de cette ubiquité du réseau, des questions plus existentielles s’accroissent aussi pour « l’homo numericus », son « hyperconnectivité » et son « interactivité ». A tel point que la « réputation numérique » devient vraiment une préoccupation de 2011 tandis que l’an passé, le débat était plutôt focalisé sur « Hadopi » et « WikiLeaks ».
Côté acteurs de ce monde en réseaux, « Google » et « Facebook » tiennent toujours le haut du pavé mais plus sous l’angle de la « rivalité technologique » et de l’affrontement commercial entre les deux impétrants de la Silicon Valley. Enfin, cette année, la figure tutélaire de « Steve Jobs » sublime totalement la thématique de la communication entre la mort du « prophète » et la percée de ses deux dernières innovations : « l’iPad » et « l’iPhone 4S ».
Conclusion
L’ambition de ces tableaux n’est pas pour autant de revendiquer une froide et exhaustive approche statistique. Même si pour leur réalisation, il a fallu à Jeanne Bordeau brasser et découper des milliers de pages de magazines, de journaux et d’imprimés divers, leur but est avant tout de proposer un concentré émotionnel du bruit de notre époque à travers des mots qui ne cessent d’imprégner notre conscient et inconscient collectif à mesure que s’égrène l’actualité.
En ce sens, le travail artistique de Jeanne Bordeau constitue une vraie opportunité de se poser un instant, de réfléchir aux palpitations sociétales profondes qui agitent notre époque. Comme le décrit elle-même Jeanne Bordeau, « la force de ces tableaux, c’est leur création régulière chaque fin d’année. Ils représentent dans le temps, l’horloge émotionnelle de nos centres d’intérêt et de nos comportements ». Ce n’est sans doute pas par hasard que plusieurs entreprises ont commandé leurs propres tableaux pour graver à leur tour la mémoire de leur langage.
Pour aller plus loin
– Visiter le site de présentation de l’Institut de la Qualité de l’Expression
– Pour suivre l’actualité des activités de l’Institut, suivre son blog dédié
– Pour assister au vernissage du 13 janvier à Paris, contacter Damien Flynn : flynn@institut-expression.com
– Regarder ci-dessous la vidéo du « making of » des tableaux
2 commentaires sur “Storytelling : Les tendances sociétales de 2011 décryptées en 10 tableaux de mots”-
Minter Dial -
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Olivier Cimelière -
Un bel article à lire. L’histoire racontée (« the story told ») par le collage des mots sur un fond. Le concept d’un rendement artistique des mots m’a toujours paru censé. Le mot est structurant; l’art est libéralisant. C’est bien de savoir que les entreprises en demandent — mais je me demande ce qu’ils en font avec?
Plusieurs points m’ont frappés:
Quand tu parles de « la « mémoire » de nos émotions, » les émotions sont tellement importantes. Ça me renvoie vers un retour dans nos croyances. Sommes-nous prêts à faire évoluer nos croyances, pour vivre nos émotions avec plus d’épanouissement?
Les couleurs sont aussi des vecteurs de message. Le premier tableau, en jaune pétant, donne l’impression de positivisme… Le rouge, l’alerte. Le gris…
Par rapport à la recherche du sens, je sens une division entre ceux qui recherchent ce sens, tandis que d’autres continuent à croire dans l’ancien modèle… un décalage rude. Les RH doivent y jouer un rôle important — mais les dirigeants doivent incarner le changement en premier lieu.
J’aimerais bien voir la version 2011. Pour 2012, avec les Elections en prime, je vois arriver les mots « euro, » « pire encore » et « changement (again). »
Merci pour ton message. Je partage pleinement ton sentiment de nécessité de vivre nos émotions pleinement, y compris dans le monde de l’entreprise. Contrairement à ce que nombre de dirigeants et de DRH s’obstinent à penser (de peur probablement de perdre leur obsession du contrôle qui garantit leur petit pouvoir hiérarchique ?), elles constituent un formidable moteur de croissance et de dynamisme. Le bien-être en entreprise ne passe pas uniquement par des murs colorés, de la nourriture gratuite et aux autres placebos RH mais par un vrai respect des personnes composant une équipe. C’est à cette condition que se créé le sens et au final la performance d’une compagnie.
D’accord également avec toi pour dire que les dirigeants et les RH doivent être l’épine dorsale de ce changement. Malheureusement, la réalité montre que peu d’entr eux osent encore s’aventurer sur ces terrains pourtant riches en développements de tous ordres.
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