Communication politique : Apprivoiser TikTok, Instagram, Snapchat … ne s’improvise pas !

TikTok, Snapchat, Twitch ou encore Instagram, les politiciens et leurs conseillers en communication en pincent actuellement « grave » (comme diraient les jeunes qu’ils cherchent à cibler !) pour ces réseaux sociaux un peu atypiques tant ils sont largement fréquentés par la tranche générationnelle des 15/34 ans. Est-il pour autant pertinent d’investir des canaux aux codes si particuliers au risque de susciter la risée et la défiance qui est déjà bien ancrée chez les plus jeunes ? Eléments de réflexion et exemples.

Sans conteste, le président de la République aura créé le buzz en accordant le 4 décembre dernier, une interview exclusive de 2 heures à un jeune média plébiscité des 15/34 ans : Brut. Lancé fin 2010, ce média en ligne s’articule autour de son site Web, de son application mobile et de sa présence sur plusieurs réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube, TikTok, Snapchat, Twitch). 70% de ses spectateurs ont moins de 35 ans (1) et ils adorent les vidéos adaptées aux réseaux sociaux et au téléphone portable, avec en majorité des sujets qui les intéressent. Emmanuel Macron n’est certes pas la toute première figure politique à parler avec Brut et son dispositif multicanal. Mais, force est de constater que l’objectif a été plutôt atteint en termes d’audience comme le précise un communiqué de Brut (2) : « L’interview d’Emmanuel Macron a été vue par plus de 50 % des 15/34 ans en France » soit l’équivalent de 7 millions de jeunes.

Les jeunes, cette énigme de #compol

Les jeunes générations constituent fréquemment un casse-tête pour les ténors politiques. A mesure que les décennies s’écoulent et que les supports d’information essaiment et se fragmentent, l’équation en communication n’a cessé d’empiler les inconnues à résoudre. Intrinsèquement rétifs à la parole politique qu’ils suspectent de mille maux, ils sont aussi des abstentionnistes patentés. Lors du 2ème tour des élections municipales en juin 2020, 28% seulement des 18-24 ans (3) se sont rendus aux urnes (contre 35% des 35-49 ans, 43% des 50-59 ans et 57% des plus de 60 ans, selon une étude Ipsos/Sopra Steria).

En parallèle, l’usage addictif des réseaux sociaux chez les adolescents et les jeunes adultes, est loin d’être un cliché éculé. Selon Médiamétrie en 2018, la tranche d’âge des 15/24 ans témoignait (déjà) d’une vraie suractivité avec 61,3 % d’entre eux qui se rendent sur les réseaux sociaux quotidiennement. Avec une moyenne 26 minutes par jour sur leur appareil mobile et de 2 minutes sur leur ordinateur (4) mais aussi avec une subtilité de taille : les réseaux privilégiés ne sont pas vraiment ceux adoptés par leurs aînés, et encore moins par les acteurs politiques. Snapchat et Instagram (puis plus récemment TikTok et Twitch) ont fait une entrée en force en matière de temps d’attention accordé par les plus jeunes.

Un fait avéré qui contraint les politiques à devoir investir cette « terra incognita » digitale d’autant plus que le discours politique n’y est plus totalement absent. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer ces TikTokers américains anti-Trump qui avaient appelé à réserver en masse des tickets d’entrée pour un meeting de Donald Trump se tenant à Tulsa dans l’Oklahoma le 20 juin. Le résultat fut édifiant : la moitié des sièges du stade est demeurée vide !

Une opportunité à saisir

La culture politique s’est répandue sur ces réseaux de nouvelle génération. En revanche, elle s’intéresse la plupart du temps à des causes sociétales et environnementales. Discriminations raciales, homophobie, sexisme, changement climatique, etc sont autant de thèmes débattus par les jeunes abonnés de TikTok, Instagram et Snapchat. Des sujets plus quotidiens comme la crise sanitaire de la Covid-19, le suivi de leurs études, la difficulté à trouver des stages ou des emplois ont également fait irruption à grand renfort de hashtags mobilisateurs comme par exemple le célébrissime #BlackLivesMatter.

Romain Pigenel fut un des conseillers pionniers à inciter les politiques à mettre un pied sur les réseaux sociaux malgré les réticences, voire le désintérêt ou la crainte de la boulette. Ex-directeur adjoint du Service d’information du gouvernement sous François Hollande et aujourd’hui, enseignant en communication politique à Sciences Po, il n’en démord pas (5) : « Si l’on veut parler à l’ensemble des Français, il faut aller sur TikTok, il faut aller sur Twitch. Les jeunes sont tellement friands de ce genre de médias qu’il faut absolument mettre en place des stratégies. Pour moi, il s’agit même une obligation républicaine et politique d’aller sur ces réseaux […] Les plus jeunes passent un temps considérable sur ces plateformes, beaucoup plus que sur les médias traditionnels. Et quand on est garant de l’intérêt public, il faut garder le lien avec l’ensemble des Français. Ce n’est pas juste une technique de communication, c’est une exigence républicaine d’aller sur ces réseaux ».

Premiers pas incertains

En France, les tribuns politiques sont encore globalement peu nombreux à oser communiquer sur ces nouveaux réseaux sociaux. Emmanuel Macron avait fait sensation début juillet en inaugurant son compte TikTok avec ses félicitations adressées à tous les nouveaux bacheliers. Le style est encore un peu figé, loin des chorégraphies et des scansions de la plateforme chinoise mais l’impact n’est pas si mauvais avec 12,2 millions de vues pour ce premier essai et 1,4 million de likes récoltés. Depuis, seulement 2 autres vidéos ont été publiées mais il n’en demeure pas moins que le compte est suivi actuellement par 982 000 abonnés.

Piqué au vif parce que souvent réputé pour avoir un coup d’avance sur les réseaux sociaux et les innovations technologiques (se souvenir notamment du double meeting tenu en live à Lyon et via un hologramme à Paris lors de la campagne présidentielle de 2017), Jean-Luc Mélenchon a aussitôt tenu à répliquer à sa cible favorite. Deux jours plus tard, le leader de la France Insoumise diffuse une vidéo depuis la place de la République à Paris en essayant péniblement de singer la gestuelle TikTok et de faire une référence branchée à la rappeuse Wedjene.

Malgré le relatif flop (4.8 millions de vues) en termes d’audience, le mini-clip est surtout moqué sur les réseaux sociaux pour son décalage surjoué et inauthentique. Il n’y a guère que le responsable de la communication numérique des Insoumis, Antoine Léaument pour se féliciter de cette incursion tiktokienne (6) : « Il n’y a pas que de l’humour dans cette vidéo ! On parle d’un sujet politique en évoquant le bazar de ParcourSup. Notre règle est toujours d’avoir une utilisation politique des réseaux sociaux en reprenant les codes spécifiques. Et sur Tik Tok, l’humour fait partie des codes ». Encore faut-il savoir le manier de façon crédible et éviter d’ânonner des ficelles discursives qui sont tout sauf spontanées. Et qui ne dupent en rien les plus jeunes.

De l’essence des nouveaux réseaux

Une autre personnalité politique s’est récemment essayée à TikTok. Il s’agit en l’occurrence de Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. Pour son coup d’essai, elle a accumulé à son tour les clichés avec une musique de Beyoncé et une allusion à Jean-Pierre Fanguin, pseudo influenceur suisse connu mais très moqué sur les réseaux pour ses vidéos perchées. Le tout emballé dans une improbable scénographie pixellisée au nom de « Salut jeune entrepreneur, je m’appelle Marlène Schiappa et j’arrive sur TikTok ». Le résultat assez pitoyable s’est évidemment fait étriller par les internautes d’autant plus que cette arrivée sur TikTok était censée attirer l’attention de la « Gen Z » (moins de 25 ans) sur la plateforme de signalement arretonslesviolences.gouv.fr . On cherche encore le rapport ?!

L’enseignement principal que procurent ces ratages est que débarquer sur Snapchat, TikTok, Instagram ou Twitch ne s’improvise pas. Chacune de ces plateformes fonctionnent sur des critères verbaux et gestuels bien précis. Toutes font référence à des cultures largement empruntées au gaming, au rap, au slam, au lifestyle, etc. Le tout avec des formats spécifiques et une tonalité qui est la plupart du temps décontractée, humoristique et directe (voire cash). Autant de thèmes et de repères que l’essentiel de la classe politique ignore. Croire qu’il suffit de faire un petit selfie vidéo avec une rapide punchline improvisée et deux/trois émojis, est l’assurance d’aller au casse-pipe et de « faire grave pitié » comme m’a dit ma propre fille lorsqu’elle a découvert la production de Marlène Schiappa.

Quelques exemples pour s’inspirer

A l’étranger, quelques figures de proue aux engagements pourtant radicalement différents ont su s’emparer de ces nouveaux réseaux avec une dextérité remarquable. L’une d’entre elles est le leader de l’extrême-droite italienne, Matteo Salvini. Au-delà des idées assez nauséabondes qu’il peut distiller, l’observation de ses comptes Instagram (2,5 millions d’abonnés) et TikTok (376 000) n’est pas inintéressante en termes d’approche communicante. A ses selfies sans filtre pris au débotté, il a su conférer une touche de légèreté. Jamais compassé, ni statutaire, il s’affiche au naturel. Il n’hésite pas à faire parfois de l’autodérision en se filmant en train de jouer au football comme un pied. Cette absence d’opportunisme artificiel engendre alors un sentiment de proximité qui ne peut qu’attirer même si le fond de ses discours reste très nettement empreint de populisme identitaire.

Autre cas pertinent mais à l’opposé de l’échiquier politique d’un Salvini : Alexandria Ocasio Cortez, jeune élue démocrate du 14ème district de New York à la Chambre des Représentants. Celle que l’on surnomme désormais de ses initiales devenues l’acronyme « AOC », a d’emblée compris le risque de déconnexion potentielle que son élection pourrait entraîner d’avec le terrain et des conditions modestes d’où elle vient. Forte de ce constat, elle a donc choisi de miser sur Instagram (8,1 millions d’abonnés) et Twitter (10,7 millions) dans un registre bien éloigné du compulsif Donald Trump ou des usages très amidonnés de nombreux élus.

Pour ce faire, elle utilise abondamment les stories et les directs pour interagir avec ses communautés. Auteur du livre « Génération Ocasio-Cortez » et journaliste à Mediapart, Mathieu Magnaudeix explique sa recette (7) : « Elle injecte surtout de la politique dans ses récits les plus anodins. Elle répond à des questions sur les discriminations raciales ou la corruption en cuisinant un gratin de pâtes en live depuis sa cuisine, promène ses « followers » dans les coulisses du Congrès, vante les mérites d’une alimentation équilibrée en faisant visiter un jardin partagé ». Un franc succès, notamment auprès des jeunes qui « kiffent » ce style relax et proche.

Savoir être agile avec les codes

En octobre dernier, Alexandria Ocasio-Cortez a de nouveau fait parler d’elle. Sur Twitch, une plateforme vidéo à l’origine dédiée aux gamers mais qui a considérablement élargi son audience chez les jeunes, elle a disputé pendant 3 heures 30, une partie d’Among Us, un jeu vidéo très populaire aux Etats-Unis. Tout en jouant, elle a incité les centaines de milliers d’internautes connectés à aller voter pour l’élection présidentielle. Avec de l’écho puisque sa chaîne Twitch compte dorénavant 832 000 abonnés.

Sa force digitale ? Alexandria Ocasio-Cortez la tient dans sa capacité à rester au contact des jeunes populations (elle a elle-même 31 ans) et à s’imprégner des codes prégnants selon le spécialiste du discours Adrien Rivierre (8) : « Préparées avec minutie, ces prises de parole ont fait le tour du monde à plusieurs reprises grâce aux réseaux sociaux. Or, voici ici le premier secret de communication pour parler aux jeunes générations : la brièveté. Grandir avec Twitter et ses 280 caractères maximum (140 auparavant) ou TikTok dont les vidéos ne peuvent dépasser 60 secondes, change le rapport aux mots et au temps ». Vu sous cet angle, il apparaît évident que les élus politiques (souvent biberonnés aux concepts rhétoriques en trois parties des grands écoles) éprouvent des difficultés à varier les registres discursifs.

Interdiction de faire l’impasse !

Romain Pigenel en est convaincu. Lui qui avait déjà poussé un cran plus loin la communication gouvernementale sur le digital durant la présidence de François Hollande, estime que cela relèverait de l’erreur stratégique que de mettre de côté ces nouveaux réseaux d’autant plus que les jeunes les privilégient (9) : « Cela va devenir de plus en plus normal. Il faut aujourd’hui considérer dans un même continuum les journalistes, les influenceurs et les médias sociaux. Ce doit être désormais le matériel de travail des communicants de politique publique. On ne peut plus dire “c’est internet”, avec le sous-entendu “ce n’est pas sérieux”. Les communicants ont raison de tenter ce genre d’opérations, il faut que ça soit intégré dans le dispositif de communication publique ».

A l’heure d’aujourd’hui, il persiste en effet cette vision que le Web est un canal de deuxième classe. Même si les médias traditionnels continuent de toute évidence d’être des vecteurs majeurs, ce mépris plus ou moins assumé peut conduire à des omissions regrettables. Humer et comprendre l’ère du temps passe aussi par une implication accrue sur les réseaux sociaux. A une condition essentielle toutefois : éviter de transformer l’affaire en gadget cosmétique à deux balles pour faire « djeun ou stylax » comme le piteux exemple de Marlène Schiappa.

Il est d’ailleurs un acteur au gouvernement qui ne se débrouille pas si mal avec ces nouveaux réseaux, en la personne de Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement. Celui-ci a compris l’intérêt de consacrer du temps à ces nouveaux espaces. Il s’est créé une chaîne Twitch (certes encore confidentielle avec 1300 abonnés) et surtout un compte Instagram (47 000 abonnés) où il publie quantité de stories, répond à des « live » Instagram (comme dernièrement avec l’influenceuse EnjoyPhoenix qui a obtenu 375 000 vus) et n’hésite pas à tacler la farfelue influenceuse Kim Glow sur le futur vaccin anti-Covid 19. La crédibilité et la recevabilité de la communication politique auprès des jeunes générations passera par là … ou ne passera pas !

Sources

(1) – « Brut : quel est ce média auquel Emmanuel Macron accorde une interview ? » – Le JDD – 4 décembre 2020
(2) – « Selon Brut, l’interview d’Emmanuel Macron a été vue par plus de 7 millions de jeunes sur les réseaux sociaux » – 20minutes.fr – 6 décembre 2020
(3) – Pierre Lepelletier – « Sur TikTok, quand les politiques essaient de parler aux jeunes » – Le Figaro – 9 juillet 2020
(4) – Cyrielle Maurice – « Les 15-24 ans passent en moyenne 28 minutes par jour sur les réseaux sociaux » – Le Blog du Modérateur – 6 juillet 2018
(5) – Emeline Burckel – « Macron s’invite sur Brut et Snapchat : « Plus qu’une stratégie de communication, une nécessité » – L’Obs – 3 décembre 2020
(6) – Pierre Lepelletier – « Sur TikTok, quand les politiques essaient de parler aux jeunes » – Le Figaro – 9 juillet 2020
(7) – Mathieu Magnaudeix – Génération Ocasio-Cortez: Les nouveaux activistes américains – Editions La Découverte – 2020
(8) – Hadrien Rivierre – « AOC, reine de la « com’ pol’» » – Les Echos – 16 novembre 2020
(9) – Emeline Burckel – « Macron s’invite sur Brut et Snapchat : « Plus qu’une stratégie de communication, une nécessité » – L’Obs – 3 décembre 2020