29 janvier 2023

Et si Storker devenait un jour le nouveau Twitter européen ?

Infatigable agitateur d’idées, Nicolas Bordas, vice-président international du groupe de communication TBWA, vient justement de lancer une idée particulièrement audacieuse dans la foulée de la nouvelle édition augmentée de son fameux essai « L’Idée qui Tue ». Il s’agit ni plus ni moins de construire un Twitter européen en réplique aux errements actuels de l’oiseau bleu et de son propriétaire fantasque, Elon Musk. Baptisé « Storker » (qui signifie cigogne en anglais), ce projet un peu fou mais carrément pertinent a donné naissance dans un premier temps à un groupe de réflexion sur LinkedIn. Petit résumé des échanges à date des premiers « storkers ».

Du Nicolas Bordas tout craché ! Pour qui connaît un peu ce grand professionnel de la communication, il est une boîte à idées en éruption permanente. Curieux de tout et croisant sans cesse les disciplines pour dénicher les « idées qui tuent », Nicolas observe, défriche et lance à la cantonade ses différentes idéations. La dernière en date ne manque pas de piquant. Elle vise à damer le pion à ce sacré oiseau bleu de Twitter dont on ne sait plus vraiment si son nouvel acquéreur cherche à lui couper les ailes pour certaines visées politiques et économiques ou bien lui redonner du lustre. Toujours est-il que le sémillant communicant s’est mis en tête d’inventer un nouveau Twitter en beaucoup mieux en gardant ses points forts intrinsèques et en évacuant ses défauts actuels. Séance de rattrapage pour celles et ceux qui auraient loupé le début !

C’est quoi l’idée de Storker ?

Dans un entretien accordé à la newsletter Petit Web, Nicolas Bordas trace les premiers contours de ce que pourrait être Storker. L’idée repose d’abord sur un constat : l’exode régulier qui agite Twitter depuis qu’Elon Musk s’est emparé de sa gouvernance et détricote ce qui avait son efficacité. Problème : Mastodon, le substitut un temps considéré comme le refuge idéal, n’est pas vraiment au rendez-vous (lire ce billet du blog par ailleurs). Trop complexe, pas assez évolutif, il est peu probable qu’il puisse s’imposer comme l’alternative.

Aux yeux du sémillant communicant, il faudrait en fait repartir d’une feuille blanche en préservant les fonctionnalités essentielles de Twitter tout en y adjoignant d’autres qui permettraient aux flux d’information de ne plus être pollués par les trolls, les colporteurs de fake news, les bots et les haters (1) : « Le contexte est favorable. Beaucoup de personnes veulent quitter Twitter mais sans trouver d’alternative. Elon Musk n’a pas réussi le process de certification, et le réseau semble en panne. Par son comportement, il a perdu la confiance des annonceurs et des usagers. Le contexte est donc favorable. L’idée d’un réseau qui donne 100 % de ses sources est subversive. Tous les profils seront certifiés, via LinkedIn, la Poste, les impôts ou les coordonnées bancaires ».

Rejoignez le groupe LinkedIn

Plus concrètement, le réseau s’appuierait sur deux concepts phare : la fin de l’anonymat (ou du pseudonymat – sauf exceptions précises) des personnes disposant d’un profil (comme c’est d’ailleurs le cas sur LinkedIn) et l’indication de la source de l’information partagée par un « storker » (contraction sémantique des mots « story » et « speaker »), soit en signant soi-même, soit en précisant la publication d’origine. En cas d’information non fondée, l’utilisateur perdrait alors de son crédit auprès de la communauté.

Pour promouvoir l’idée, Nicolas Bordas a donc créé un groupe LinkedIn (accessible de demande préalable) afin d’enrichir les réflexions et également de considérer les différents pans qui sous-tendent pareille aventure. Sans jamais perdre de vue la promesse que Storker entend défendre : des news sans fake news 100% sourcées comme le souligne le patron de TBWA dans une brève vidéo pour la Netscouade.

Visage découvert ou visage couvert ?

En un mois d’existence, le groupe LinkedIn s’est déjà enrichi de nombreuses contributions. La première d’entre eux est consacrée à l’identité des profils. Le fait que l’anonymat soit banni est une approche saluée par l’immense majorité des participants du groupe. Pour qui a une longue expérience de Twitter, l’invasion des cagoulés numériques est devenue insupportable. Sans cesse agressifs, pourvoyeurs d’informations bidon, aboyeurs extrémisants et lâches bas de plafond se défoulant gratuitement derrière son clavier, cette populace a sérieusement dénaturé l’atmosphère de Twitter.

Avec Storker, la création d’un profil serait par exemple conditionnée à l’adossement à un profil LinkedIn existant. A la condition qu’il dispose de plus de 500 abonnés, afin de juguler un peu plus les tentations apocryphes. Christophe Depernet, un spécialiste et enseignant de la communication, suggère même que la carte d’identité soit exigée. Il rappelle à cet effet que le processus existe déjà pour les jeux en ligne des casinos et de la Française des Jeux.

Toutefois, il a été évoqué également la possibilité d’accepter des pseudonymes certifiés pour des cas très spécifiques comme les lanceurs d’alerte, les journalistes opérant dans des pays autoritaires ou encore des dissidents politiques dont la vie est menacée. Directrice de la communication internationale d’Unity (un leader technologique dans l’industrie du jeu vidéo), Pascale Marchand suggère de s’inspirer de Blind, une plateforme déjà existante aux Etats-Unis où les utilisateurs ont des discussions anonymes sur leur vie professionnelle mais où Blind intervient comme tiers de confiance pour certifier la véracité des profils.

Lutter contre les déviances

Toujours dans ce souci de rehausser la qualité des contenus échangés, d’autres contributeurs ont souligné la nécessité de combattre les faux comptes et les bots qui pullulent tant sur Twitter. Plusieurs pistes ont été esquissées : la possibilité pour un « storker » de bénéficier de crédits de parrainage pour accepter de nouveaux utilisateurs. Crédit qui serait en nombre limité et renouvelé au bout d’une certaine période pour éviter quelques indélicatesses de part et d’autre.

Autre axe avancé dans la discussion : le recours à l’intelligence artificielle pour détecter les bots mais également les trolls et les spammeurs (tels ceux qui pratiquent encore le mass-following sur Twitter). Pour autant, l’inclusion d’une modération manuelle et humaine est également souhaitée. Même si l’IA a récemment effectué des bonds qualitatifs, elle est encore capable d’être dupée par un cerveau humain. D’où la nécessite de s’adjoindre les services de modérateurs dûment formés.

Quel modèle économique ?

Ces orientations ont très vite débouché sur un autre enjeu et non des moindres : le modèle économique de Storker. Selon Cyrille Attias, fondateur et patron d’ID, une agence de médias sociaux, il faudrait sortir du modèle de financement par la publicité en s’appuyant sur des abonnements payants, des dons et des mécènes. Bien qu’intellectuellement séduisante, cette solution semble toutefois précaire. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer les nombreux sites d’information en ligne qui reposent sur ce modèle. Quasiment tous sont en permanence en train de tirer le diable par la queue pour boucler les fins de mois et essayer de survivre (malgré la qualité avéré des contenus proposés).

Le promoteur de Storker voit plutôt une approche où la publicité payante ne serait pas forcément exclue et où une tarification modulable serait appliquée selon les profils inscrits. Pour un individu, le prix pourrait être d’1 ou 2 euros par mois tandis qu’un média, une organisation ou une entreprise régleraient un abonnement de 100 euros par mois. Il n’en demeure pas moins que la question du financement passera aussi par l’arrivée d’investisseurs aux moyens solides et conséquents pour permettre à la plateforme de se développer mais aussi d’absorber des coûts fixes à mesure que le nombre d’utilisateurs grandira. C’est d’ailleurs pour cela que Nicolas Bordas a déjà adressé un clin d’œil à Xavier Niel et Rodolphe Saadé, supposés avoir formulé récemment une offre d’acquisition du média en ligne Brut.

Quel statut ? Et le web3 alors ?

D’autres interrogations cruciales sont venues dernièrement élargir la réflexion : quel statut adopter pour l’entreprise Storker et avec quelle approche technologique pour la structurer ? Nicolas Bordas formule ainsi les pistes potentielles (2) : « non profit (à la Wikipédia) ou for profit (à la Twitter) ». De même sur la technologie qui doit sous-tendre le fonctionnement de Storker, quatre options sont aujourd’hui ouvertes (3) : « Une organisation For Profit (société commerciale) web classique, une organisation For Profit (société commerciale) web 3 (décentralisé), une organisation Non-Profit (Fondation, Association …) web classique, une organisation Non-Profit (Fondation, Association …) web 3 (décentralisé)».

A l’heure où le Web3 laisse entrevoir des promesses particulièrement intéressants (notamment avec la tokenisation et la blockchain), il semble en effet que la décentralisation constitue une voie plus viable que la centralisation actuellement en vigueur dans la majorité des grands réseaux sociaux. Il reste cependant à voir la viabilité économique d’un tel projet qui a en tout cas le grand mérite de nous faire poser de profondes questions et remises en cause à la lumière de ce que devient Twitter sous la houlette du punk libertarien et alt-right qu’est Elon Musk. Alors, si vous aussi, vous avez envie d’apporter une petite pierre à l’édifice Storker, n’hésitez pas à rejoindre le groupe LinkedIn.

Sources

Sites de réseaux sociaux cités

Pitch sur « L’Idée qui Tue » de Nicolas Bordas

Comprendre comment naissent, vivent et meurent les idées, c’est se donner une chance d’imposer les siennes sans se laisser manipuler par celles des autres. Un enjeu crucial dans une société de communication où les idées qui triomphent décident de notre avenir politique, économique et culturel.

Par engagement professionnel et passion personnelle, Nicolas Bordas a longuement étudié les idées, leurs comportements, leurs modes de diffusion et les lois qui les régissent dans toutes les sphères de l’activité humaine.

Examinant toutes sortes d’idées, grandes ou petites, il fournit les clés pour comprendre leur succès ou leur échec : pourquoi continuons-nous à écrire avec des claviers mal conçus ? Comment une publicité peut-elle être célèbre auprès de gens qui n’étaient pas nés quand elle a été diffusée ? Comment Saint-Paul a-t-il « marketé » le christianisme ? Ou comment formuler l’idée directrice de notre vie ?

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