[Note de lecture] – « La marche du crabe » de Séverine Servat de Rugy

Il y a presqu’un an, l’affaire de Rugy éclatait à la une du site d’investigation Mediapart. En l’espace de quelques semaines, l’ancien ministre de la Transition écologique et son épouse ont été emportés dans un tourbillon médiatique impitoyable où les coups ne cesseront de pleuvoir jusqu’à la démission finale. A froid et avec le recul de l’épreuve subie, Séverine Servat de Rugy, par ailleurs journaliste à Gala, revient sur le fracas enduré dans un livre sans fard.

Le monde médiatique et politique n’est pas inconnu pour Séverine Servat. Journaliste de longue date au magazine Gala, elle connaît la superficialité récurrente des people qui s’allongent sur papier glacé. De même, elle est familière des ambitions politiques et des intrigues qui vont de pair pour avoir été l’épouse d’un élu avant d’être celle de François de Rugy. Pourtant, l’auteure l’avoue sans détours. Elle était loin du compte lorsque la photo du homard est venue ébranler la réputation de son ministre de mari.

Dans les coulisses

L’ouvrage s’ouvre sur la démission, le déménagement rapide qui s’ensuit et la passation avec la nouvelle figure ministérielle. Le couple est encore sous le choc de la tornade qui s’est abattue sur eux sans rien ne leur épargner. « Flatteries, hypocrites, fake news, possibles cabales sur les réseaux sociaux, trahisons amicales et attaques non seulement de leurs ennemis politiques mais aussi de ceux de leur propre camp », tel est le condensé que Séverine Servat brosse en guise de préambule de ce qu’elle décrira ensuite par le menu.

Le témoignage offert est pointu. Sans pathos excessif mais avec une précision délicate comme s’il fallait ne rien oublier de cette expérience sous les ors de l’hôtel de Lassay à l’Assemblée nationale puis dans l’appartement de fonction au ministère de la Transition écologique.

L’auteure narre le basculement progressif qui s’opère dans la vie commune : quasi absence d’intimité du fait des officiers de sécurité et des huissiers, agenda goinfré de rendez-vous et de déplacements mais aussi le carrousel des flagorneurs et des obséquieux qui toquent vite à la porte pour y décrocher de quelconques passe-droits fantasmés ou simplement le plaisir égotique de tutoyer le pouvoir.

Une pression sans fin

Tout ce décorum est conté avec justesse jusqu’au jour où survient la trahison d’une amie proche de Séverine Servat, celle par laquelle déboulera la photo des homards et s’enclenchera le feuilletonnage implacable de Mediapart. Ce qui fait écrire à la journaliste

« Il est difficile de décrire la violence que l’on subit à titre personnel quand une photo vient à bout de la réalité. Quand un hashtag vite dégainé ou quelques vannes rédigées à la hâte viennent écraser la vérité. Il est aussi difficile d’anticiper la vague de colère qui s’empare soudain de l’opinion, au point que toute forme d’explication devient inaudible tant elle est couverte par les invectives, les injures. Il est complexe d’encaisser l’infamie et de s’apercevoir que le vol d’un instant privé, un abus de confiance, soit célébré par tous comme une justice, sans même qu’aucun tribunal ne s’en mêle ».

Outre les explications et les mises au point précisions apportées sur les mises en cause qui se sont succédées sous les coups de boutoir des journalistes, ce livre présente également un grand intérêt pour qui s’intéresse à la politique, à la communication et à la vie médiatique à l’heure des réseaux sociaux. Le lecteur devine aisément entre les lignes combien le couple s’est vite retrouvé démuni face au barnum provoqué par l’affaire. Les communicants de service sont aux abonnés absents dans une crise qu’ils laissent enfler. Les méthodes journalistiques de Mediapart posent question. Les soutiens politiques s’esquivent poliment mais sans état d’âme. La pression est maximale, le temps court la seule ligne de crête oppressante.

L’ensemble se lit comme un roman mais qui n’a rien d’une fiction. Le texte est le reflet de la vie publique actuelle où tout et n’importe quoi est déballé, distordu ou même inventé. La sentence s’exerce sous la double pression de la couverture médiatique et de la cacophonie des réseaux sociaux. Lorsqu’on referme le livre, le lecteur se dit qu’il faut avoir l’estomac solide pour avaler tant de potions amères. A lire sans modération !

Le pitch de l’éditeur

« 10 juillet 2019. Des photos volées prises pour nuire prétendent résumer la vie que je mène auprès de celui que j’ai épousé. Le ministre François de Rugy. Je suis journaliste, j’accompagne un homme politique de premier plan. Sous mes yeux impuissants, une mécanique de la violence se met en marche. C’est un récit sur cette violence, sur la peur qu’elle génère, l’entourage qu’elle n’épargne pas, le never complain, never explain qui enserre et qui, peu à peu, parfois, étouffe. Sur les idées reçues aussi…
Témoin privilégié mais aussi potentiellement maillon faible et victime collatéral, le conjoint d’un responsable politique, d’autant plus quand il est une femme, une femme journaliste, une femme journaliste people, est-il en mesure de garder son espace de vie et son autonomie ? En a-t-il seulement le droit ?

Entre pressions, obligations, sollicitations et apprentissage de l’exceptionnel, peut-on rester soi-même ? Parce que derrière le fantasme de la vie de château des palais de la République, il y a des réalités féroces, abruptes qui mènent à l’apprentissage nécessaire de la force. »

Sept mois après la tempête médiatique qu’elle a traversée avec son époux et qui a valu à ce dernier son poste de ministre, Séverine Servat de Rugy revient sur son expérience et tente d’apporter une réponse sincère et savoureuse à ces questions. Protocole, sexisme, rapport aux médias, difficulté à se positionner dans un univers formaté et dévorant, elle se livre sans fard sur son quotidien et les difficultés – de bien d’autres avant elle – qu’elle a pu rencontrer.

A lire ou relire

– L’article du Blog du Communicant – « Communication politique & François de Rugy : Lynchage médiatique ou investigation journalistique aboutie ? » – 21 juillet 2019
– E.C – « Faveurs et menaces, Séverine Servat de Rugy revient sur la trahison de son amie » – Paris Match – 6 mars 2020
– Hervé Gattegno – « Séverine Servat de Rugy : « C’était une cabale, ni plus ni moins » » – Le JDD – 7 mars 2020



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