Romain Molina ou la pratique ambivalente du journalisme « borderline »

Adulé par les uns pour ses révélations croustillantes sur le sport-business ou exécré par les autres pour ses pratiques journalistiques hasardeuses, Romain Molina laisse rarement indifférent. Qu’il s’agisse de ses vidéos sur YouTube, ses livres d’investigation et ses multiples collaborations avec des médias plus ou moins réputés, ce journaliste youtubeur donne l’impression d’être dans une permanente croisade qui le conduit à épingler sans prévention quantité de dirigeants sportifs. Sa dernière diatribe en date vise nommément le président de la FFKMDA (Fédération française de kickboxing, muay thaï et disciplines associées) sans craindre d’affirmer à défaut de produire les preuves. Peut-on encore parler de journalisme ?

Entre ombre et lumière. Voilà l’expression qui sied le mieux pour résumer l’échevelé parcours journalistique de Romain Molina. Ce parcours ponctué de révélations de scandales sportifs à la cadence d’un métronome, a démarré en 2012 avec des piges livrées au webzine Sharkfoot où il dénonce les petits arrangements pas nets qui surviennent lors de transferts de joueurs de football de 2ème division suisse (1). Cependant, c’est clairement avec le lancement de sa chaîne YouTube en juin 2016 qu’il va connaître ses premiers faits d’armes marquants et une certaine notoriété, notamment dans le milieu du football professionnel.
Sa première vidéo consacrée aux racines historiques du football espagnol, est certes encore bien sage et n’enregistre qu’un peu plus de 5000 vus mais l’impétrant ne va guère tarder à taper dur et faire grimper le compteur. D’autant plus qu’il vient de signer un contrat d’édition chez Hugo Sport un an auparavant. La machine à scandales Molina est dorénavant en marche et les dents vont grincer.

2020, l’odyssée Molina commence

C’est en avril 2020 que son nom va devenir familier des enquêtes journalistiques traitant de dérives sportives. A l’époque, il collabore avec des confrères pour le quotidien britannique The Guardian qui publie un long reportage où le président de la fédération haïtienne de football (Yves Jean-Bart) est accusé de viols et de harcèlement sur des jeunes filles mineures. Une déflagration qui vaudra au dirigeant incriminé une éviction de ses fonctions par la FIFA avant qu’il ne soit relaxé en février 2023 par le Tribunal arbitral du sport, faute de preuves jugées probantes. En juin dernier, la 17ème chambre correctionnelle de Paris (qui juge les délits de presse) a par ailleurs condamné Romain Molina et son excessive liberté de ton à 500 € d’amende (ainsi que 2 000 € de remboursement de frais de justice et le retrait des propos diffamatoires dans ses vidéos) dans les développements sur l’affaire qu’il a mis en ligne par la suite sur sa chaîne YouTube. Décision dont il a fait appel depuis.

Pour autant, Romain Molina fait feu de tout bois en 2020. A peine avait-il épinglé la fédération haïtienne qu’il s’attaque aussitôt à la fédération française de football et son ex-président déchu Noël Le Graët. Il sort deux enquêtes dans le New York Times dans lesquelles il révèle pêle-mêle des histoires de harcèlement, de sexisme et les actes très déplacés d’un entraîneur évoluant au centre national de football de Clairefontaine. Depuis, il empile les polémiques et les indiscrétions au point de s’être constitué un solide fan-club sur les réseaux sociaux toujours prompt à s’enflammer à la moindre mèche allumée par Romain Molina. Bien qu’il se définisse lui-même comme « conteur d’histoires indépendant », l’homme n’est pas peu fier de ses communautés numériques avec 525 000 abonnés sur X (ex-Twitter), 313 000 sur YouTube, 118 000 sur Facebook et près de 49 000 sur Instagram.

Le clash pour attirer l’attention

A ceux qui le qualifient de fanfaron n’hésitant pas à verser dans l’approximation et la recherche éperdue du clash, il répond sans barguigner (2) que « les vidéos, je les fais pour attirer les gens vers moi, pour boucler certaines enquêtes parfois. Je ne suis pas dans un délire d’ego.». Si ses excès verbaux sont régulièrement plébiscités par ses aficionados sur les réseaux sociaux, ils lui valent néanmoins plusieurs poursuites judiciaires comme celle qui l’a opposé à Gérard Lopez, entrepreneur et investisseur hispano-luxembourgeois qui détient aujourd’hui le club de football des Girondins de Bordeaux après avoir possédé un temps le Lille Olympique Sporting Club. Ce dernier est régulièrement mis en cause par Romain Molina pour des dérives financières dont il se serait rendu coupable.

Basile Ader, l’avocat du financier, a décrit à Libération, l’approche éditoriale et discursive de Romain Molina pour attaquer (3) : « M. Molina est assez adroit pour faire un discours confus, difficile à décrypter.». Autrement dit, le journaliste youtubeur collecte quantité de faits (plus ou moins vérifiés) pour les agencer ensuite dans une trame narrative offensive qui vise à mettre en scène la « justesse » de son propos. Il n’en demeure pas moins que la plainte exercée par Gérard Lopez pour diffamation a été déboutée par le tribunal jugeant le dossier en septembre 2023. Une décision dont s’est évidemment largement vanté Romain Molina, cultivant ainsi l’image du preux chevalier dévoilant des vérités que certains milieux veulent occulter. En ces temps où le conspirationnisme se porte malheureusement bien, une telle posture a en effet de quoi susciter de l’attrait. A tel point qu’il fut même convié à témoigner en juillet 2023 lors des auditions de la Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport.

Des égarements éditoriaux vers les extrêmes qui intriguent

Si Romain Molina a incontestablement divulgué des informations qui ont conduit actuellement à des procédures judiciaires (notamment pour des abus sexuels et des réseaux de pédocriminalité), certains errements du personnage sèment le trouble quant à sa déontologie et ses accointances. L’une d’entre elles lui est d’ailleurs souvent renvoyée à la figure depuis 2018. En janvier de cette année-là, il accepte de participer comme intervenant à un voyage d’études en Corée du Nord intitulé « Fun, football et socialisme » et organisé par une officine proche du site d’extrême-droite Egalité & Réconciliation tenu par le polémiste Alain Soral, maintes fois condamné en justice pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Romain Molina se défend pourtant d’être proche des idées véhiculées par ce site sulfureux. Face aux objections, il balaye d’un revers de main (4) : « Je parle avec tout le monde, à gauche comme à droite, tant qu’on discute de foot, je me fiche de la politique. Mais je n’ai rien à voir avec eux, ils ne m’ont jamais donné un centime. Je n’ai parlé à Alain Soral que vingt minutes dans ma vie, à la sortie de l’émission, de foot et de cyclisme ». Donc acte ! Mais dès lors, comment expliquer la persistance qu’a Romain Molina à continuer de partager ses vidéos sur le site même d’Egalité & Réconciliation. La dernière en date remonte au 12 septembre 2023 et constitue la 8ème de l’année. Les années précédentes en comportent autant. Cette surprenante (et dérangeante) collaboration a de quoi susciter des réserves sur la déontologie à géométrie variable du Rouletabille et redresseur de torts autoproclamé.

Capture d’écran d’une page du site Egalité & Réconciliation

En ce début d’année, Romain Molina continue pourtant de susciter un vif intérêt dans les cercles de droite extrême. Le 4 janvier, le site intitulé Résistance Républicaine a ainsi repris et publié de larges extraits concernant les déclarations de Romain Molina faites à la commission d’enquête. Au point d’y consacrer deux longs articles. Or, ce site crée en 2009 est notoirement connu pour propager des contenus à caractère conspirationniste ou des fausses informations ainsi que le précise la notice de Conspiracy Watch à l’égard de celui-ci. Etrange d’aimanter autant cette communauté et pas d’autres ?

Une autre zone d’ombre intrigue également sur le sérieux de Romain Molina. Fâché avec son éditeur Hugo Sport, l’auteur officie désormais chez Exuvie, une modeste maison d’édition créée en 2019 par un certain Fabien Moine. Le pedigree professionnel de ce dernier laisse dubitatif. Officiellement naturopathe et accompagnateur de jeûne, il est surtout connu comme covidosceptique et suivi de très près par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). Ensuite parmi ses auteurs, on trouve en particulier le Dr Louis Fouché, médecin antivax notoire condamné à 3 mois d’interdiction d’exercer en novembre 2023 pour ses propos sans retenue contre les mesures sanitaires durant la pandémie du Covid-19. Enfin, le site Web d’Exuvie est une véritable apologie des élucubrations du Pr Luc Montagnier. Comme partenaire éditorial solide, on a connu mieux dans le genre !

Un nouveau combat à … 30 erreurs factuelles !

Très récemment, Romain Molina a ouvert un autre front. Dans un long article publié en novembre dernier sur le site d’information Blast, le journaliste youtubeur entreprend une œuvre de démolition en règle de la fédération française de kickboxing, muay thaï et disciplines associées. Avec dans le viseur son actuel président, Nadir Allouache. Les accusations portées sont particulièrement graves : détournements de fonds, gestion opaque, abus de biens sociaux, trafic d’influence, agressions physiques, violences sexistes et sexuelles et liens avec le grand banditisme. Accusations que Romain Molina avait déjà tenues en juillet 2023 lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire citée plus haut.

Ces propos oraux et écrits ont alors valu le dépôt d’une plainte pour diffamation et cyber harcèlement contre lui ainsi que la saisine de la justice pour l’article publié qui reprend des éléments que le président de la FFKMDA avait pourtant fermement démentis devant la commission d’enquête. Dans un courrier auquel le Blog du Communicant a pu avoir accès et repris intégralement par le blog spécialisé Décideurs du Sport, l’avocat de la Fédération précise les raisons de la procédure entamée (5) : « Cet article, pour lequel j’ai mandat de saisir la justice, contient 30 erreurs factuelles et pratique des constructions intellectuelles spécieuses ainsi que des amalgames qui ne sont pas dignes d’un média comme le vôtre. Plus encore, la teneur de cet article confirme que Monsieur Romain Molina semble s’éloigner assez régulièrement de la déontologie minimale d’un journaliste ».

Scalps et buzz, la recette Molina ?

30 erreurs factuelles auxquelles le courrier d’avocat répond point par point et démonte l’argumentation quelque peu biaisée développée dans l’article disponible sur Blast. Or, avec 30 erreurs factuelles dans un article, cela commence à représenter un lourd passif pour quelqu’un qui se veut attaché à faire éclater la (sa ?) vérité. Ceci d’autant plus que Romain Molina est par ailleurs enferré dans une douzaine d’autres plaintes du même acabit. L’ancienne joueuse du Paris Saint-Germain Kheira Hamraoui ,l’a attaqué (entre autres) pour diffamation publique dans l’affaire liée à son agression en 2021. Enfin, depuis avril 2023, une autre plainte a été déposée par Christophe Galtier (ex-entraîneur du PSG) sur le même motif après avoir divulgué des mails internes à l’OGC Nice (où Galtier était entraîneur jusqu’en 2022).

En attendant, Romain Molina maintient ses accusations sans ciller (à défaut de partager publiquement des éléments avérés et probants) et continue d’exciter son fan-club sur Twitter. Au point d’être repris et cité par d’autres comptes à la démarche complotiste patentée comme le délirant profil du nom de Zoé Sagan qui accuse en permanence sans jamais rien livrer de concret. Le vibrionnant plumitif et vidéaste populiste serait-il à son tour à deux doigts du carton rouge et de l’expulsion ?

 

Sources

– (1) – Adrien Franque – « Rendez-vous parano avec Romain Molina, journaliste youtubeur : «Je ne suis pas dans un délire d’ego » – Libération – 7 juin 2023
– (2) – Ibid.
– (3) – Renaud Lecadre – « Romain Molina, des scoops qui passent par la case tribunal » – Libération – 7 juin 2023
– (4) – CheckNews – « Entre buzz sur YouTube et scoops dans le «New York Times»: qui est Romain Molina, ovni du journalisme sportif français ? » – Libération – 13 janvier 2022
– (5) – Courrier de Me Jean-Baptiste Reynaud en date du 20 novembre 2023 à l’attention du directeur de la publication de Blast



2 commentaires sur “Romain Molina ou la pratique ambivalente du journalisme « borderline »

    1. belga  - 

      Qui vous dit qu’il fait du bon travail? lui? par expérience cet homme est menteur et dangereux pour les victimes.
      Il balance des scoops sans même vérifier ses expéditeurs et si ça ne fonctionne pas et qu’il s’est trompé il ment. c’est ça la vérité.

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